La découverte du gisement Calao confirme que le pays a un bassin sédimentaire fertile et durablement prometteur

Propos recueillis par Anzoumana Cissé
Interview Serge DIOMAN Parfait
Expert International en Industries Pétrolières et Énergies

Comment expliquer cette série à succès de découvertes pétro-gazières en Côte d’Ivoire dont notamment la toute dernière qui vient d’être annoncée ?

SERGE DIOMAN PARFAIT : Bien loin d’être un fait du hasard, cette série de nouvelles découvertes pétro-gazières en Côte d’Ivoire n’est point du tout à l’improviste. Elle résulte en fait de l’application de paradigmes technologiques nouveaux en matière de forages et explorations en mers très profondes.

Là où l’on était limité par la rudesse des courants des grands fonds marins par exemple, des méthodes de contrôle avancé plus robustes et précises donnent aujourd’hui d’y mener des épreuves sismiques efficientes grâce à des algorithmes numériques intégrant l’intelligence artificielle pour bâtir de très bonnes modélisations des profondeurs géologiques et obtenir des clés permettant d’orienter la recherche vers des zones à haute potentialité de découverte probante d’or noir.

• LP : Serait-ce donc le fruit d’avancés scientifiques ?

SDP : De nos jours en réalité, les progrès de la science et des mathématiques supérieures appliquées sont au service de tous et permettent d’aller de plus en plus loin en mer et plus profondément sous terre pour y extraire des hydrocarbures grâce à des méthodes prédictives en amélioration continue.

Par la suite, l’expérience et le savoir-faire feront la différence.

L’on peut ainsi sonder avec une bien meilleure lisibilité des formations géologiques de plus de 100 millions d’années d’âges par exemple et obtenir des images diagraphiques très claires de même que des données opératoires utiles sur la morphologie, l’envergure, la composition, la perméabilité, etc. des strates du Crétacé Supérieur et Inférieur enfouies à plus de 2 voire 5 kilomètres sous terre selon les zones explorées.

• LP : Toute cette technologie est-elle désormais donc à la portée des explorateurs présents en Côte d’Ivoire ?

SDP : Ils n’en ignorent pas l’existence pour ce qui est sûr. L’on imagine bien au demeurant que chaque explorateur pétrolier a ses petits secrets qui lui sont propres pour découvrir plus ou moins rapidement du pétrole. Et c’est bien vrai d’ailleurs.

Mais en Côte d’Ivoire, l’implémentation de ces technologies nouvelles est à l’actif de la vision proactive du Président de la République, Son Excellence Alassane Ouattara, d’intensifier la recherche pétrolière et doter le pays de mécanismes d’appel attractifs, à commencer par le code pétrolier revisité en 2012, pour davantage motiver les opérateurs nationaux et internationaux à s’investir dans le secteur de l’or noir ivoirien.

C’est à l’écho donc de cet appel que des investisseurs, dont le groupe pétrolier italien ENI et bien d’autres témoins de la bonne gouvernance pétrolière ivoirienne, répondent par ces heureuses découvertes, car rassurés sont-ils par les Contrats de Partage de Production (CPP) sécurisés que proposent le Ministère des Mines, du Pétrole et de l’Energie conduit par Monsieur Mamadou Sangafowa-Coulibaly. Pour eux en fait, contribuer ainsi à l’essor énergétique de la Côte d‘Ivoire va bien au-delà des aspects de gains financiers pour contribuer efficacement au développement socio-économique du pays.

LP : Le groupe pétrolier italien ENI qui enchaîne ces grandes découvertes aurait-il alors une exclusivité particulière pour l’exploration pétrolière en Côte d’Ivoire ?

SDP : Ce ne saurait être le cas car les opérateurs ont toujours été logés à la même enseigne d’équité et de transparence au regard du code pétrolier ivoirien. Chacun a ses blocs onshore et offshore qui lui sont attribués pour y réaliser ses activités dans un intervalle de temps contractuellement connu et ce, avec ses propres moyens techniques et technologiques pour rechercher du pétrole selon ses méthodes opératoires.

ENI est un explorateur favorablement connu à l’international où il a d’ailleurs pignon sur rue. Il est plutôt en démonstration de son savoir-faire et n’a donc aucunement besoin de faveur particulière pour faire ici ce qui fait déjà ailleurs. Il est connu être à l’origine de la découverte du gisement de rang majeur BALEINE en août 2021 et poursuit sa montée en puissance en consortium avec son partenaire local PETROCI HOLDING.

C’est pourquoi, ENI, autant que tous les autres explorateurs actuellement en activités en Côte d’Ivoire sont à encorager et même à féliciter d’avance car l’exploration pétrolière, surtout celle en mer, est tout aussi onéreuse que périlleuse. Elle est humainement éprouvante et, en tant qu’hommes de mers, nous le savons de par nos expériences et séjours en mer.

LP : Quels seraient donc les enjeux de cette découverte que vient encore de réaliser ENI en mers ivoiriennes ?

SDP : Il importe de savoir que cette découverte pétro-gazière s’inscrit dans un cheminement consolidant la Côte d’Ivoire dans ses hautes ambitions de hub énergétique de référence pour la sous-région. Du point de vue de l’aura géostratégique, elle la rapproche sereinement des portes d’entrée aux parvis des producteurs émergents d’or noir et vient confirmer que le pays, traditionnellement de culture agricole, a bien un bassin sédimentaire pétrolifère fertile et durablement prometteur.

Ce tout nouveau gisement, baptisé donc CALAO, du nom de l’oiseau symbole de protection qui inspire la prospérité et le bonheur chez les peuples Senoufos du Nord du pays, est très riche en gaz naturel et contient des reserves intéressantes de pétrole léger et condensats associés.

Cela est de très bonne augure pour la production d’électricité en Côte d’Ivoire et l’utilisation du gaz naturel, alors disponible en local comme intrant accessible, pour l’unité de production d’hydrogène alimentant l’hydrocraqueur (DHC) de la Société Ivoirienne de Raffinage (SIR) entre autres. Et pour l’avenir à n’en point douter, le gaz naturel offre de bonnes perspectives de développement de bien de produits dérivés du gaz du fait de sa richesse en méthane (CH4). Au final, cela se reflétera en terme d’embellie financière, de regain socio-économique et de renchérissement de l’employabilité dans ce secteur.

LP : Que devrions-nous comprendre par pétrole léger ?

SDP : C’est du pétrole brut qui a une faible densité en raison du fait qu’il est majoritairement constitué d’hydrocarbures légers par ailleurs très prisés pour certaines applications.

Il convient somme toute alors de savoir que plus un pétrole brut est léger et plus il est valorisé sur les places de marchés internationles. Car, en terme de produits finis du raffnage en l’occurence, il est une bonne base d’intrant pour fabriquer les essences qui sont bien d’ailleurs la tendance actuelle dans bon nombre de pays grands consommateurs de carburant et ce, au détriment du gasoil plus sujet à des surtaxes carbone.

Le pétrole brut léger dont dispose le gisement CALAO est donc en soi une très bonne nouvelle en cerise sur le gâteau.

LP : Où se situe exactement le nouveau gisement CALAO ?

SDP : Selon la géo-localisation officicielle communiquée par les autorités ivoiriennes, le gisement CALAO est logé en mer profonde, et plus précisément dans le bloc pétrolier CI-205 situé à 45 kilomètres au large des côtes, en projection en fait de Jacque-Ville. Sa colonne d’eau avant d’attendre le fond de mer est de l’ordre de 2 200 mètres. En terme géologique, il se trouve majoritairement présent dans le Cénomanien, à quelques 2 800 mètres de profondeur sous ledit fond marin.

Pour rappel, le Cénomanien est la dernière strate du Crétacé Supérieur formé dans l’intervalle géologiques de 94 millions à 100 millions d’années d’âge.

Au total, le nouveau gisement est géologiquement logé sous une profondeur de près de 5 kilomètres comptés depuis la surface libre de la mer. Les conditions opératoires pourraient s’avèrer à la fois contraignantes et périlleuses. Toutefois, le plan de développement est fort heureusement prévu d’être exécuté en toute sécurité selon dans les règles de l’art.

LP : Pourrions-nous le localiser par rapport à BALEINE ?

SDP : CALAO se trouve à l’Ouest de BALEINE duquel est-il par ailleurs distant de quelques 120 kilomètres à vol d’oiseau.

En effet, BALEINE est plutôt vers l’Est du pays, en projection d’Assinie, et à 70 kilomètres à peu près au large des côtes. Il est pour sa part à cheval sur deux blocs pétroliers voisins que sont CI-101 et CI-802. Sa formation géologique quant à elle est majoritairement localisée dans l’Albien, première strate du Crétacé Inférieur classée entre 100 millions et 113 millions d’années d’âge.

Notons toutefois que BALEINE a une colonne d’eau de mer de l’ordre de 1 400 mètres contre les 2 200 mètres de CALAO qui se situe donc en mer beaucoup plus profonde.

LP : Qu’en est-il de la comparaison des ressources pétro-gazières dont dispose chacun des gisements BALEINE et CALAO ?

SDP : BALEINE est bien indiscutablement de plus grande envergure. Il est classé au rang de gisement majeur et réputé contenir 2,5 milliards de barils de pétrole brut sans soufre et 3 300 milliards de pieds cube de gaz naturel associé.

CALAO est tout aussi immense mais un peu plus modeste, comparé à BALEINE, en terme de volume d’huile de pétrole brut plus précisément. Il englobe cependant d’énormes quantités de gaz naturel associé susceptible d’atteindre 5 000 milliards de pieds cube, soit plus de gaz que BALEINE en perspective et ce, sur le seul puit MURENE-1X pour l’instant foré sur ce bloc pétrolier CI-205.

Au final il couve bien une bonne ressource estimée entre 1 milliard à 1,5 milliard de barils équivalent pétrole (bep) selon l’opérateur ENI. Ce qui équivaut à ce jour à la seconde plus grande découverte en Côte d’Ivoire.

Au regard des normes internationales, comme celles des référentiels américains par exemple, ce potentiel donne à CALAO de revendiquer un profil typique de gisement riche en gaz humide et abritant du pétrole léger et des condensats. Tout autant que BALEINE, il pourrait être également envisagé que son développement se fasse en FAST-TRACK pour une mise en production rapide, sécurisée et net-zero émission de gaz à effet de serre de catégories 1 et 2.

• LP : Tantôt l’on entend parler de pétrole brut en terme de barils et à présent, l’on parle de barils équivalent pétrole (bep). Y aurait-il une différence entre ces deux unités ?

SDP : Vous faites bien de poser cette question car, sans y prêter attention, l’on pourrait se tromper à vouloir comparer les ressources d’un gisement pétrolifère exprimées en barils et celles d’un autre citées en barils équivalent pétrole (bep).

Le baril (b), communément désigné par blue baril (bbl) en fait, concerne unique la contenance du pétrole brut à l’état liquide alors que le baril équivalent pétrole (bep) est une unité de synthèse qui aide à additionner le pétrole et le gaz au lieu de les exprimer séparément en barils et pieds cube.

C’est ainsi que l’on dira que le gisement BALEINE dispose de 2,5 milliards de barils (bbl), quand l’on ne fait allusion qu’à la part de pétrole brut qu’il contient, alors que l’on dira en gros du nouveau gisement CALAO qu’il présente 1,5 milliards de barils équivalent pétrole (bep) pour englober le pétrole et gaz.

• LP : Alors globalement, peut-on dire que le bassin sédimentaire ivoirien est plutôt riche en pétrole ou gaz ?

SDP : Contrairement à d’autres États producteurs connus pour être de tendance plutôt « pétrole » que « gaz », ou vice-versa, la Côte d‘Ivoire jouit pour sa part d’un bassin sédimentaire mixte où l’on trouve du gaz et du pétrole.

Évidemment, certains gisements seront plus gazeux, comme CALAO, mais d’autres pourraient bien à l’inverse contenir plus de pétrole. Il nous souvient en effet que l’explorateur ENI avait tout récemment aussi annoncé une présence probante d’hydrocarbures dans les blocs pétroliers offshore CI-504, CI-526, CI-706 et CI-708. Preuve somme toute que le bassin sédimentaire ivoirien n’a pas encore livré son dernier mot.

Dans tous les cas, qu’il s’agisse de gaz ou de pétrole, la Côte d‘Ivoire, classée dans le top 10 des pays producteurs d’or noir en Afrique, est en marche pour un grand changement de son role dans la chaîne économique sous-régionale voire mondiale. Elle est davantage attractive car les investisseurs pétroliers y trouvent la sécurité propice à l’exercice du métier.

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