Dans le sillage du sentiment anti-français qui a cours en ce moment en Afrique francophone, il est de plus en plus question de « souveraineté monétaire » et beaucoup appellent à « rompre immédiatement » avec le CFA qui reste, selon eux, le « prolongement du colonialisme ». On réclame à cor et à cri la mise en place d’une » vraie » monnaie commune pour l’Afrique de l’Ouest. Pourtant personne n’est parvenu à montrer clairement comment ne plus utiliser le CFA va conduire nos économies vers plus de prospérité. C’est le flou à ce niveau. Il y aura –t-il plus d’emplois pour les jeunes ? D’abondance dans les magasins ? De pouvoir d’achat pour les ménages ? Ceux qui veulent voir le CFA disparaître sont incapables de se prononcer sur ces questions. Pourtant l’enjeu se situe bien là.
La stabilité des prix
La Côte d’Ivoire a traversé une décennie de crises. Son économie ne s’est pas effondrée, en partie parce que la valeur de la monnaie est restée constante. La misère et la pauvreté qui accompagnent toujours les conflits intérieurs (du fait de la perte de valeur de la monnaie locale), ont été fortement atténuées en Côte d’Ivoire, parce que la monnaie n’a pas perdu de sa valeur même lorsque les capitaux ont été retirés en masse du pays. La Côte d’Ivoire n’a pas connu la faillite, ce qui aurait été le cas si sa monnaie était fluctuante.
Les importations ne sont pas devenues hors de prix, la parité fixe CFA/Euro a permis de maintenir le pouvoir d’achat de la population. Le CFA a été un bouclier pour les Ivoiriens. On le voit également dans des pays tels que le Mali, ou la Centrafrique. En dépit de la situation que l’on sait, l’économie ne s’effondre pas du fait de la valeur constante de la monnaie que ces pays utilisent, le CFA. L’activité marchande n’a pas décroché dans ces pays. En zone CFA l’inflation (hausse des prix) existe mais est sans commune mesure avec celle qu’on rencontre dans certains pays africains, où les monnaies subissent des fluctuations incontrôlées, ce qui crée des pénuries en tout genre. Ce sont des phénomènes inconnus en zone CFA.
» Il n’ y a pas plus aveugle que celui qui refuse de voir » dit le diction
Dans les pays africains hors zone CFA, le commerce se fait en dollars, preuve que les monnaies africaines n’inspirent aucune confiance entre africains, malgré les discours qu’on peut entendre sur l’intégration du continent ou la « souveraineté monétaire ». Lorsque ces pays sont frontaliers d’un pays de la zone CFA, c’est cette monnaie qui est utilisée dans les échanges entre populations. Après le dollar américain, c’est le CFA qui est la monnaie la plus utilisée en Afrique dans les échanges.
Le CFA est la seule monnaie africaine acceptée par certains bailleurs de fonds internationaux, dans le cadre du remboursement des dettes, ce qui permet aux pays qui l’utilisent d’économiser leurs réserves de change. Aucune autre monnaie africaine ne peut être acceptée sur les marchés internationaux, ni le Rand sud-africain, ni la livre égyptienne, ni le naira du Nigéria, les trois premières économies du continent. Ainsi le CFA est presque devenu une ’’devise’’ en Afrique, certaines banques centrales le stockent dans leurs réserves sans vraiment l’avouer.
Sur le marché monétaire de l’UEMOA, quelque 1 500 milliards de francs CFA sont levés chaque année en moyenne depuis 2015. Ce marché sous régional rendu possible grâce au CFA, devient de « plus en plus profond » car chaque année, des records dans les fonds mobilisés sont enregistrés. Cette dynamique ne se retrouve qu’en zone CFA et nulle part ailleurs sur le continent. D’autre part, les Etats en zone CFA sont contraints à la discipline monétaire. Il leur est impossible de tricher en faisant « imprimer de la monnaie’’ pour financer leurs dépenses intérieures.
Sur les 55 pays que comptent l’Union africaine, seuls 15 utilisent le CFA. Une quarantaine de pays sont en dehors de cette zone. Sont-ils émergents ? Sont-ils mieux gérés sur le plan monétaire ? Aujourd’hui les chiffres montrent que les pays de la zone CFA sont en bien meilleur état, en dehors bien entendu des pays qui passent par des crises sécuritaires. Les détracteurs du CFA sont totalement dans l’idéologie, en refusant de prendre en compte tous ces aspects. Tout entier absorbés par leur ressentiment contre la France, ils sont incapables de discernement sur cette question, incapables de faire la part des choses.
Les vrais défis sont ailleurs que dans l’adoption d’une »monnaie unique ouest africaine »
Il faut être dans l’illusion la plus totale pour croire que les pays vont décoller parce qu’ils vont utiliser une ’’monnaie unique’’. En réalité, ces économies sont soumises à des dysfonctionnements profonds connus de tous, et qui ne sont en rien liés à la monnaie.
Ce sont entre autres des administrations pléthoriques avec des milliers de fonctionnaires fictifs et donc une masse salariale hors de contrôle, des pans entiers de l’économie qui échappent à l’impôt, des entreprises publiques gangrenées par la corruption et maintenus artificiellement en vie à coûts de subventions, des emprunts extérieurs dont on arrive pas toujours à tracer le parcours une fois réceptionnés par les pays, les dérapages budgétaires dans les projets d’infrastructures, les audits sans suite, la totale dépendance des Etats à un ou deux produits d’exportation etc….etc……
La liste est longue des plaies qui minent les économies africaines. Ce n’est pas avec une nouvelle monnaie que ces plaies vont disparaître comme par enchantement. Bien au contraire, cette nouvelle monnaie sera source de désordre en Afrique francophone. Il faut s’engager dans un processus continu d’assainissement, il faut de la discipline dans la gouvernance, de la rigueur, il faut des réformes en profondeur. Adopter une monnaie commune n’aura aucun impact sur ces plaies.
Le CFA n’est pas une barrière au commerce entre etats africains
On entend dire par ci par là que la monnaie unique va accélérer le commerce entre les pays membres de la CEDEAO comme ce fut le cas en Europe avec l’Euro. C’est un leurre. Les pays européens commerçaient déjà beaucoup entre eux avant la mise en place de l’Euro. La France par exemple a toujours été le premier partenaire commercial de l’Allemagne depuis les années 50. Dans un tel contexte, la mise en place de la monnaie unique accélère une dynamique déjà existante. Ce n’est pas le cas de nos pays.
Les flux intra CEDEAO existent, mais sont informels et restent de petite taille, pour la simple raison que c’est en Europe que se trouvent nos principaux marchés d’exportation. Si le commerce intra-africain est à encourager, il ne peut dans l’état actuel de nos économies, être une source suffisante de croissance pour nous. Ce n’est pas à ces partenaires de la sous-région que la Côte d’Ivoire va vendre son cacao, son café ou son anacarde. La CEDEAO est généralement vu comme un marché de 350 millions d’habitants. Mais avec quel pouvoir d’achat ? 70% des échanges de l’UEMOA se font avec l’Union européenne.
Au fil des années, des pays non colonisés par la France ont intégré la zone CFA. Ce sont la Guinée équatoriale en Afrique centrale, et la Guinée-Bissau en Afrique de l’Ouest. De même, certains pays francophones qui avaient quitté la zone comme le Mali et le Togo, y sont retournés. Aucune contrainte n’a été exercée. Ils ont compris d’eux-mêmes les avantages qu’ils gagnaient à intégrer ou réintégrer la zone.
Le CFA n’est pas une monnaie forte qui pénalise les exportations des pays comme certains veulent le faire croire. Un CFA vaut non pas 1 euro, mais 0, 0015 euro. D’ autre part les pays n’exportent pas des produits industriels, mais des matières premières qui ne supportent pas de concurrence en tant que telle, et dont les prix se déterminent selon l’offre et la demande. Le CFA n’intervient pas dans ces échanges, facturés en dollar.
Inévitablement un naira qui ne dira pas son nom
De même que l’Euro s’est inscrit dans la continuité du Mark allemand du fait du poids économique de l’Allemagne vis-à-vis de ses partenaires, de même une éventuelle monnaie unique au sein de la CEDEAO va inévitablement s’inscrire dans la continuité du naira, du fait que le PIB du Nigéria pèse entre trois et quatre fois celui des autres pays réunis. Cette monnaie sera un naira qui ne dira pas son nom.
La banque centrale aura son siège à Abuja, et la politique monétaire sera menée en fonction des attentes du Nigéria, les autres Etats devront s’aligner. Ce sera une simple question de rapport de force. Ainsi tous les événements qui affectent le Nigéria vont aussi affecter les autres pays via cette monnaie unique. Les Etats de la zone CFA vont quitter le ’’parapluie français’’ pour se mettre sous le ‘’parapluie nigérian’’. Pas vraiment une bonne nouvelle.
Bien que première puissance économique du continent de par son PIB, le Nigéria n’est pas l’économie la mieux gérée en Afrique. Depuis toujours le pays se caractérise par une corruption et un désordre hors norme, qui va certainement affecter les pays francophones. Le naira est très volatile, il est sans cesse dévalué. Les Nigérians s’en accommodent, mais comment réagiront les autres, qui depuis les indépendances sont habitués à une monnaie stable ? Le remplacement du CFA par un « naira déguisé » serait une catastrophe pour les Etats francophones. Des émeutes ne sont pas à exclure dans ces pays face aux pénuries et à la volatilité des prix qui verront le jour inévitablement.
Mais nous n’en sommes pas encore là. Les Etats francophones doivent cesser de voir en cette monnaie leur planche de salut. Si elle est effectivement adoptée, ils n’auront que leurs yeux pour pleurer. Le dernier sommet ordinaire de la CEDEAO en Guinée Bissau tenu en Juillet dernier, a fait le constat de la divergence d’approche des Etats membres sur la monnaie unique. Il faut le répéter encore une fois, cette monnaie unique va conduire les Etats francophones dans l’abîme. C’est un projet qu’il faut tout simplement abandonner. Cette monnaie ne va pas conduire à plus de croissance dans nos Etats, mais à plus de désordre, à plus d’inflation, à plus de pauvreté.
Il faut espérer de tout cœur que le CFA soit toujours en place. Si une monnaie unique doit exister, alors ce sont les autres qui doivent intégrer le CFA, et non l’inverse, car jusqu’à présent, le CFA s’est avéré une bénédiction pour les pays qui l’utilisent.
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Merci pour cette réflexion. No comment, comme le dirait nos amis Anglo-saxons. En plus, c’est fait dans un langage accessible. On n’espère pas que les ignorants et autres idéologues qui raisonnent avec leurs émotions pourront comprendre. Si la monnaie rendait riche ou développé alors les 40 pays non-CFA en Afrique seraient des pays développés. Bien au contraire. En effet, le FCFA est bel et bien utilisé même dans les pays qui disent avoir leur soi-disant monnaie de je ne sais quelle souveraineté. Pourquoi donc ? Pour ma part, je crois que l’eco n’est pas en soi un mauvais projet. Ce serait salutaire si on la concrétise. C’est juste que le Nigéria a une très mauvaise monnaie et une très TRÈS TRÈS mauvaise politique monétaire pour une économie de sa taille. C’est ce qui crée problème. Il ne respecte se très très loin aucun des critères de convergence qui sont pourtant en majorité respectés par les pays de l’UEMOA. D’ailleurs, c’est aussi pareil pour le Ghana qui a aussi une politique monétaire bâclée. Juste un observateur de passage….
Plutôt lire :…de très très loin…