Les recettes parallèles générées dans nos administrations: Permis de construire, ACD, titre foncier

…Pourquoi ne pas concéder au privé la délivrance de ces documents ?

100 milliards de FCFA !!! C’est le montant du scandale du moment en Côte d’Ivoire. D’anciens employés du Ministère de la construction et de l’urbanisme accusent l’actuel Ministre, Bruno Nabagné Koné, en poste depuis Juillet 2018, d’avoir puisé dans la caisse du guichet unique du foncier et de l’habitat, principalement sur le post ” des retenues de 5% opérés sur les frais payés pour les demandes d’approbation des plans de lotissement”. Ce n’est pas le premier scandale du genre. Le Ministre de la construction est régulièrement accusé de puiser dans cette caisse du guichet unique. Ces ex-employés disent avoir compilé les données issues de documents confidentiels, pour aboutir à ce montant de ‘’100 milliards’’. Il s’agit donc du cumul de sommes “retirées” depuis que l’actuel ministre est en poste.

D’emblée ce scandale pose le problème de toutes ces recettes internes aux administrations publiques. Un ministère n’est ni une régie financière, ni un établissement public à caractère industriel ou commercial. Il n’a pas vocation à mobiliser des recettes, du moins directement. Et pourtant aujourd’hui les ministères collectent directement des sommes, qui étaient certainement marginales au départ, mais ont fini par prendre de l’ampleur. Des prestations autrefois gratuites sont désormais payantes. Les ressources générées sont utilisées en interne dans ces administrations, généralement versées aux agents sous formes de primes. Tout cela n’est pas formellement encadré par la loi, et cela constitue une anomalie juridique, ces recettes ne sont pas rétrocédées à l’Etat, mais utilisées en interne.

Bruno Koné, ministre de la construction du logement et de l’urbanisme. Ce ministère est
régulièrement secoué par des scandales et décrit comme l’un des plus corrompus. Bien sûr,
cela ne date pas d’hier.

La question de fond est donc le statut des recettes collectées au sein des administrations. Aujourd’hui ce phénomène constitue une gangrène. Partout il y a des frais à payer, et la destination de l’argent n’est pas précisée par la loi. Pour un ministre ou le directeur d’une administration, la tentation est grande de « se servir », formellement ce n’est pas de l’argent de l’Etat, donc aucun contrôle ne s’exerce, du moins de la part de l’Etat. Il faut au passage féliciter les autorités pour avoir interdit la chose dans les établissements scolaires du public, des frais qui ne participaient qu’à l’enrichissement personnel des proviseurs et directeurs d’école, même si on peut regretter les frais payées pour l’inscription en ligne, de l’argent dont la destination reste toujours un mystère pour l’opinion.

Le Ministre Bruno Nabagné ne s’est pas encore exprimé, et tout porte à croire qu’il ne le fera jamais. Il est régulièrement au cœur d’ accusations similaires. Mais cette fois, les syndicats du Ministère font bloc autour de lui, en le défendant dans la presse, ce qui est assez curieux, les syndicats entretenant en général des rapports plutôt conflictuels avec leur hiérarchie. Les ex-employés à l’origine des fuites sont présentés comme désirant se venger, pour avoir été mis à la porte depuis 2014 suite à des malversations. Une plainte pour diffamation est annoncée. L’affaire ira-t-elle plus loin ou va-t-elle se tasser d’elle-même ? Il faut rappeler qu’on parle bien de ‘’100 milliards FCFA’’, un tel montant devrait amener les autorités à diligenter une enquête. Mais hélas, tout porte à croire qu’encore une fois, ” rien ne bougera “.

Il faut sortir des solutions timides

Parallèlement au phénomène des recettes collectées par nos administrations, ce scandale pose aussi la question plus large de la concession au privé de certaines missions de l’administration publique. Dans les années 2000, le passeport et le permis de conduire ont été respectivement retirés au ministère de l’intérieur et à celui des transports pour être concédés au privée. En 2014, c’était au tour de la vignette automobile. La visite technique automobile est concédée au privée depuis les années 90. Enfin tous les documents relatifs au transport sont aujourd’hui délivrés par une structure unique, la même qui délivre le permis de conduire.

Autrefois le Ministère des Transports était perçu comme l’un des plus corrompus. En cause les multiples documents qu’il délivrait. Aujourd’hui ces missions sont allégées, et plus lisibles. Il ne délivre quasiment plus aucun document, hormis l’examen du code et de la conduite dans le cadre du permis de conduire. Il s’est recentré sur son rôle d’organisation, de régulation, de prospective du secteur du transport. La réforme a été saluée par tous les acteurs. Quant au passeport, il se délivre en une semaine et son renouvellement ou l’établissement d’un duplicata se fait en moins de trois jours. A titre de comparaison, la carte nationale d’identité s’établit dans un délai compris entre quatre et six mois !!!

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l’ancien ministre des transports Gaoussou Touré. L’homme a initié une réforme qui

a consisté à concéder au privé la délivrance de l’ensemble des documents requis

dans le secteur des transports, une réforme saluée par tous aujourd’hui.

Cette approche de concession au privé a fait ses preuves, puisque l’Etat n’est plus revenu en arrière là où elle a été mise en œuvre. Le service est rapide, fiable et nous ne déplorons plus aucun scandale. Il n’ y a plus de déperditions de ressources pour l’Etat. Pourquoi ne pas l’étendre à la construction ? Quand on parle de BTP on voit surtout les grands projets d’infrastructure. Pourtant il y a aussi les petits chantiers, les petits immeubles dans la partie sud d’Abidjan, les constructions dans les zones d’agrandissement du district que sont Bingerville, Ebimpé, Songon, et Modeste. Et là, les services du ministère de la construction sont dépassés, ils n’arrivent pas à suivre, ils agissent comme de véritables goulots d’étranglement.

D’autre part, entre le district, la commune et le ministère, on ne sait plus qui a le véritable pouvoir. Les documents exigés sont multiples, on s’y perd. Le guichet unique du foncier et de l’habitat n’en est pas un, puisque lorsque vous sortez de là, vous avez encore le district et la commune sur le dos, et le même ministère peut encore revenir vers vous pour exiger d’autres documents !!! Le parcours est sans fin, et cela freine, décourage, est source de corruption. Aujourd’hui du fait du boom immobilier, la demande en documents relatifs à la construction est forte (Permis de construire, ACP, ACD, titre foncier, approbation de lotissement, arbitrage de conflits fonciers, etc……).

Cette situation met à nu les dysfonctionnements, les lacunes du ministère de la construction. Les effondrements d’immeubles que l’on constate aujourd’hui ne sont que la partie visible de l’iceberg. Pourquoi ne pas concéder à une entité privée unique la délivrance de tous les documents, à l’instar du secteur du transport ? Il faut sortir des postures idéologiques, et adopter des démarches plus pragmatiques, des démarches qui ont fait leur preuve. Les Américains ont coutume de dire, « What is true is what works », ce qui est vrai c’est ce qui marche. Dans l’attente, pour en finir avec les déperditions de recettes et les scandales récurrents, les règlements effectués au guichet unique du foncier et de l’habitat, devraient désormais s’effectuer dans les guichets du trésor. C’est aussi simple que cela.

Douglas Mountain

oceanpremier4@gmail.com

Le Cercle des Réflexions Libérales

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