Théophile Kouamouo
Alors que le soleil se couche sur ce jour où l’amie Yvette Ayala Bakaka a été glissée dans la nuit noire de sa dernière demeure, cette parole de l’Ecclésiaste qui m’a longtemps semblé absolument mystérieuse remplit mon esprit :
“Mieux vaut aller dans une maison de deuil que d’aller dans une maison de festin ; car c’est là la fin de tout homme, et celui qui vit prend la chose à coeur.”
J’étais à l’enterrement d’Ayala, et j’approuve ce message.
La maison de deuil est un lieu de vérité, là où la maison de festin accueille avec joie mensonges et artifices.
Encore que… Sous nos contrées africaines, le mélange des genres est souvent de saison, et on vient aux “grands deuils” pour faire ripaille et réseauter.
Si Ayala avait trépassé au moment de sa “gloire” selon les critères humains, si elle était encore conseillère du président de la République de Côte d’Ivoire et administratrice du Palais de la culture, peut-être que les larmes de crocodile des éternels quêteurs se seraient mélangées aux larmes de tristesse de celles et ceux qui l’aimaient vraiment.
Mais voilà, Ayala s’en est allée après une longue maladie qui l’a mise à l’écart, et après de grands bouleversements politiques qui ont failli engloutir Sidiki, son mari, et elle-même. Après les pillages insensés des “chiens de guerre”. Après les mille et une humiliations sorties de la besace toujours remplie de “ceux qui ont gagné”. Mais aussi – plus surprenant – les manifestations d’amnésie et de dédain de nombreux camarades de lutte supposés.
La maison de deuil apparaît donc dans la pureté sans fard de son visage. Et elle nous apprend.
On a le droit de se demander pourquoi les officiels d’hier et d’aujourd’hui ont été si avares de leurs hommages, là où les citoyens ordinaires remplissaient leurs pages Facebook de leurs paroles de tristesse et de reconnaissance.
Mais la réponse me semble claire : encore plus sous nos tropiques amers qu’ailleurs – et ici, je parle particulièrement de la Côte d’Ivoire -, le cénacle des politiques est oublieux par définition.
Il ne se souvient pas, refuse de se souvenir et empêche tout travail de mémoire qui l’obligerait d’une manière ou d’une autre.
Or Ayala et Sidiki Bakaba ont été à plusieurs reprises dans l’histoire de ce pays des artisans de la mémoire. Dès le début de la guerre civile de septembre 2002. En particulier lors des douloureux événements de novembre 2004, durant lesquels des militaires français ont impunément supprimé des dizaines de jeunes vies ivoiriennes.
Comme le prophète de l’Ancien Testament, l’artisan de la mémoire gêne une classe politique ivoirienne contemporaine qui dit et se dédit, scande avant de murmurer, crie et puis se tait. Selon ses intérêts. Qu’elle soit d’un bord ou d’un autre, elle sait canaliser les colères et profiter du sacrifice “fou” de jeunes gens admirables qui veulent écrire l’histoire de leur terre. Puis souvent sans délai de décence, “dealer” sur un coin de table et sans plus de garanties l’impunité de leurs assassins. Naturellement, elle finit par préférer aux raides amoureux de la vérité les lestes opportunistes qui savent retourner leurs vestes. Elle change d’avis comme de chemise. Elle enfouit le passé et elle tue l’avenir, c’est-à-dire tous les fils qui se meurent de ne pas pouvoir “tuer” des pères voulant faire leur temps et celui de leurs enfants. Elle célèbre donc à toute force le présent.
Or qu’est la maison de deuil, sinon le lieu où le passé de celui ou de celle qui s’en va est convoqué ? Et aussi le lieu qui nous rappelle une certitude : le futur sera à d’autres, nous devrons passer la main.
“Une bonne réputation vaut mieux que le bon parfum, et le jour de la mort que le jour de la naissance”, dit encore l’Ecclésiaste. Et au jour de la mort d’Ayala, alors qu’aucun hommage sponsorisé ne peut avoir cours, la beauté de son âme exhale de tous les témoignages, rendus ici et là par celles et ceux qui l’ont côtoyé, qu’elle a inspirés, accompagnés et aidés.
Heureuse Ayala qui s’en va sans s’être jamais reniée !
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