En Côte-d’Ivoire une hausse historique des cours du cacao qui ne profite pas aux planteurs ?

La tonne a atteint 3 429 dollars à New York en juillet, mais les agriculteurs ont peu de chance d’en tirer avantage, les prix de vente étant fixés au début de chaque campagne.

Par Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)

La nouvelle n’aura pas échappé aux boursicoteurs ou aux amateurs de chocolat. Ces trois derniers mois, les cours du cacao se sont envolés jusqu’à atteindre 3 429 dollars (quelque 3 200 euros) la tonne à New York, le 18 juillet.

Du jamais vu depuis la crise politique ivoirienne de 2010-2011, lorsque Alassane Ouattara, vainqueur de l’élection, avait obtenu un arrêt des exportations de cacao pour couper les ressources de Laurent Gbagbo, qui ne voulait pas quitter le pouvoir. Les cours avaient alors atteint 3 666 dollars (environ 3 422 euros).

Cette année, c’est encore majoritairement de la Côte d’Ivoire – qui contribue à 45 % de la production mondiale d’« or brun » –, qu’est venue la hausse. La récolte du cacao se déroule en deux temps : la campagne principale, du 1er octobre à la fin du mois de mars, au cours de laquelle 80 % du cacao annuel est vendu, puis la campagne intermédiaire de début avril à fin septembre.

Le prix est fixé chaque 1er octobre et les ventes sont faites à terme, c’est-à-dire avant la récolte, sur promesse de livraison à une échéance donnée.

[La Côte-d’Ivoire se retrouve avec un manque à gagner sur la saison en cours ayant vendu sa récolte avant la flambée des prix]

La Côte d’Ivoire, qui avait produit, en 2022, 2,4 millions de tonnes de cacao, a dû resserrer son offre cette année. Ses ventes à terme de cacao pour 2023-2024 ont chuté de 1,3 million de tonnes (-13,3 %) entre le 1er octobre et le 7 juillet, date à laquelle le Conseil café-cacao, l’instance nationale de régulation, a décidé de les suspendre pour s’assurer de pouvoir honorer toutes les commandes. Car les récoltes ont été mauvaises, cette fois non pas pour des raisons politiques, mais climatiques. La saison des pluies, particulièrement intense, a affecté les plantations de cacaoyers, provoquant la chute des fleurs à peine formées et favorisant la propagation des maladies fongiques.

Des prix fixes pour les planteurs
Ce n’est pas la première fois que la filière connaît une crise liée à une inadéquation des prévisions et de la production effective. Mais, contrairement à ce qui s’était produit lors de la saison de surproduction 2016-2017, l’Organisation internationale du cacao prévoit cette année un déficit entre l’offre et la demande de 116 000 tonnes. Un écart qui pourrait tourner à l’avantage des pays producteurs si les acheteurs se pressent pour se disputer les stocks restants. Mais les planteurs ivoiriens, eux, ont peu de chance d’en profiter.

Pour les protéger contre la fluctuation des cours mondiaux, le cacao leur est acheté à prix fixe depuis 2012, avec un montant annoncé au début de chaque campagne. Le prix de la saison 2023-2024 sera annoncé le 1er octobre.

Pour la saison 2022-2023, il atteignait 900 francs CFA le kilogramme (1,37 euro). Un montant trop bas, plaide Edmond Konan, président en charge de la normalisation, de la certification, de l’étiquetage et du développement durable à la Confédération patronale des PME de Côte d’Ivoire.

Pour lui, la priorité devrait être de permettre aux petits producteurs d’atteindre un revenu minimum décent, pour les convaincre de rester dans la cacaoculture. « La plus grande menace de la filière cacao, rappelle Edmond Konan, c’est la diversification. Les planteurs ont un comportement rationnel : si une culture s’avère plus rentable que celle du cacao, ils quitteront la cacaoculture. » De la même manière que la caféiculture a été dépassée depuis quelques années par des cultures émergentes comme l’hévéa, l’anacarde et le coton.

Dans les régions cacaoyères, comme celles du Tonkpi et du Cavally à l’ouest du pays, la majorité des planteurs ne s’intéressent pas aux fluctuations du marché, mais tous se disent inquiets pour leur avenir. « Le cacao, ça peut monter, ça peut descendre, résume avec fatalisme Samuel Flin Kpalé, un cultivateur de Gouakpale dans le Tonkpi. On ne sait pas ce qui va se passer demain. Si un jour les Blancs veulent autre chose que le cacao, qu’est-ce qu’on va devenir ? »

Diversifier les cultures
Deux solutions existent et parfois coexistent. D’abord augmenter le rendement des plantations de cacao, tout en réduisant leur superficie : produire autant, sur moins d’hectares, pour réserver une place au maraîchage. « L’agriculture maraîchère, elle ne tombe pas, reprend Samuel Flin Kpalé. Tous les jours, nous mangeons. Même quand on n’aura plus besoin du cacao, on aura toujours besoin du maïs, de l’igname ou du gombo. »

Ensuite, l’industrie cacaoyère incite les producteurs à se tourner vers l’agroforesterie. A une petite centaine de kilomètres de Gouakpale, dans la région du Guémon, les agriculteurs de Guéhiébly regroupés en coopérative se partagent des essences d’arbres avant chaque saison humide. Une moitié d’arbres d’ombrage, précise Landry Touré, chargé de l’agroforesterie au village, une moitié d’arbres fruitiers : anacardiers, colatiers, mandariniers et orangers…

« Ça ne fait que trois ans qu’on a commencé, mais on commence déjà à voir les résultats », affirme l’agriculteur. Cette solution de compromis permet à la fois de réguler les bioagresseurs, comme la pourriture brune des cabosses de cacao, et de mieux absorber les fortes pluies. Leur fréquence en Côte d’Ivoire augmente d’année en année, alors que le cacao ivoirien, qui compte pour 14 % du PIB national, nourrit 24 % de sa population.

Marine Jeannin(Abidjan, correspondance)

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