Les temps ont-ils changé en France ?

Certains hommes politiques, journalistes et “intellectuels” français ne se gênent plus pour demander la fin de la relation incestueuse entre leur pays et ses anciennes colonies ou la fermeture des bases militaires françaises illégalement installées en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Gabon, au Tchad et à Djibouti. D’autres admettent l’échec de la lutte que leurs soldats étaient censés mener contre le terrorisme au Sahel. D’autres encore pensent qu’en 1960, année des pseudo-indépendances, la France aurait dû laisser les Africains se prendre en charge, ne plus leur dire comment marcher, ni où aller, qu’elle aurait dû partir vraiment sans regarder en arrière comme l’Angleterre, le Portugal ou l’Espagne qui jamais n’ont cherché à s’immiscer dans les affaires des pays colonisés par eux. Sarkozy est même allé plus loin en avouant que l’Europe, “continent le plus brutal et le plus barbare, est responsable des guerres les plus meurtrières” sur le vieux continent et à l’étranger.

Je voudrais ici m’attarder sur deux individus: Dominique de Villepin et Gérard Araud. Ils font partie des Français qui ne caressent plus la mère-patrie dans le sens du poil. Ils parlent comme des gens qui ont toujours été attachés à la morale et à la justice. Or Dominique de Villepin est celui qui, à Marcoussis en janvier 2003, permit à des voyous et assassins de devenir ministres en Côte d’Ivoire. Quant à Gérard Araud, il joua un rôle dans les résolutions sur la Syrie (résolution 2118), la Côte d’Ivoire (résolution 1975), le Mali (résolutions 2056 et 2071) et la République centrafricaine (résolution 2127). Ce n’est pas à tort que “Slate” le présente comme “l’un des diplomates les plus va-t-en-guerre de Paris”. L’un et l’autre s’expriment aujourd’hui comme Jacques Chirac au soir de sa vie. Celui qui dirigea la France de 1995 à 2007 disait ceci: “Nous avons saigné l’Afrique. Une grande partie de l’argent dans nos portefeuilles provient de l’exploitation séculaire de l’Afrique… Nous devons donc faire preuve d’un peu de bon sens, de justice, pour rendre aux Africains ce qui leur a été pris.”

Villepin et Araud ont-ils retrouvé un peu de lucidité ou bien ne sont-ils que de vulgaires opportunistes? Sont-ils sincères ou bien avons-nous affaire à une nouvelle ruse des fils de cet “empire qui ne veut pas mourir”? Quand présenteront-ils des excuses aux pays qu’ils ont essayé de détruire? S’ils ne le font pas, alors ils ne sont guère différents de Macron qui fait montre d’arrogance et de mépris en liant le départ de l’armée française du Niger à la réinstallation de Bazoum au pouvoir. Et dire que ce Macron côtoya Paul Ricœur qui à juste titre faisait remarquer que “l’autre n’est pas seulement en face de moi, il peut devenir mon semblable à condition de voir en lui une personne vis-à-vis de laquelle je m’oblige au respect” (“Soi-même comme un autre”, Paris, Seuil, 1990)!

Ceux qui actuellement bavardent beaucoup en France n’ont pas cessé de manquer de respect à l’homme noir. Ils gesticulent et s’égosillent parce qu’ils ont peur de ne plus disposer des richesses et privilèges qu’ils ont longtemps eus en Afrique grâce à la Françafrique qui est “un système érigé contre les intérêts des peuples africains avec l’assentiment d’une partie des élites africaines et qui profite toujours aux autocrates africains amis de la France, un système que tous les présidents français ont laissé prospérer en dépit des promesses de rupture”.

Ils espèrent nous attendrir et se faire pardonner à peu de frais mais ce sera difficile car l’Africain a compris qu’il n’y a aucune sincérité en eux et que les mentalités n’ont pas changé en France.

Jean-Claude DJEREKE

La France doit sortir du piège nigérien

ÉDITORIAL 12/09
Le Monde

A mesure que le général Tiani conforte son emprise sur le pays, il est temps que la France fasse preuve d’un certain pragmatisme. Alors que la réalité de nos liens institutionnels avec le continent africain est multiforme, il n’est pas sain que l’influence française apparaisse presque uniquement dans sa dimension militaire.

Depuis le renversement, le 26 juillet, du président nigérien, Mohamed Bazoum, par des putschistes menés par le général Abdourahamane Tiani, Emmanuel Macron est resté droit dans ses bottes. Paris ne reconnaît pas d’autre autorité légitime que le président Bazoum. Il est vrai que celui-ci, qui est séquestré par la junte, n’a jamais démissionné. Le président français affirme que ce coup d’Etat a été perpétré « contre le peuple nigérien » et refuse de céder aux exigences des putschistes. En dépit d’un climat de plus en plus hostile entretenu par la junte, Paris maintient à Niamey son ambassadeur dont les putschistes réclament le départ. Alors que ces derniers ont dénoncé les accords de coopération militaire avec Paris, les 1 500 soldats français stationnés au Niger, avec l’accord du président déchu, ont été maintenus.

Or de telles positions de principe ne résistent pas à l’examen de la réalité et sont de moins en moins tenables, à mesure que le général Tiani conforte son emprise sur le pays. Outre qu’une telle intransigeance nourrit la rhétorique antifrançaise, principal carburant politique de la junte, on voit mal quel objectif elle vise. Les opérations militaires antiterroristes conjointes avec l’armée nigérienne ayant de fait cessé, la raison du maintien du contingent français a, au moins provisoirement, disparu. Hypothétique, l’opération militaire antiputschistes décidée par les Etats voisins d’Afrique de l’Ouest mettrait les militaires français dans une position impossible si elle était déclenchée. Rester nourrit en outre une redoutable ambiguïté, alors que la fin de la coopération militaire avec les Occidentaux se traduit par une multiplication des attaques djihadistes.

Mezza voce, Paris a lancé des discussions avec les militaires au pouvoir à Niamey sur les modalités du « retrait de certains éléments ». Il est temps, en effet, de sortir de la nasse et de préférer un certain pragmatisme à une fermeté sans issue et d’ailleurs modérément crédible. S’agissant des coups d’Etat en Afrique, la position française reste à géométrie variable, comme en atteste la mansuétude de Paris depuis le renversement d’Ali Bongo au Gabon. Le relatif isolement français en Europe sur le Sahel pousse dans le même sens.

Certes, négocier le départ des soldats français du Niger est d’autant plus délicat, voire humiliant, qu’ils y cohabitent avec 1 100 militaires américains dont le gouvernement, lui, manœuvre pour qu’ils restent, au prix d’un compromis avec les putschistes. C’est pourtant une nécessité, tout comme la redéfinition des relations de la France avec le Niger, alors que le premier ministre nommé par les putschistes dit vouloir « maintenir une coopération » avec Paris.

Au-delà, la succession de putschs visant des pays francophones impose une réorientation globale de notre relation avec l’ex-« pré carré », en particulier de notre présence militaire dont la justification a largement évolué au fil des décennies et mérite d’être questionnée. Conçue comme un facteur de stabilité, n’est-elle pas devenue un facteur de troubles ? Alors que la réalité de nos liens institutionnels avec le continent africain est multiforme (financement de projets, aide humanitaire, immigration, culture, etc.), il n’est pas sain que l’influence française apparaisse presque uniquement dans sa dimension militaire. Le débat parlementaire sur la stratégie de la France au Sahel que vient d’annoncer M. Macron pour l’automne est indispensable. Mais d’ici là, laisser la France s’enfoncer dans le piège nigérien serait une faute.

Le Monde
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