La digitalisation devient ainsi un élément moteur dans la lutte contre la corruption. Aussi bien en matière de prévention que de répression contre la corruption.
Par Patrick N’Guessan
« Incroyable mais vrai. Je viens de créer mon entreprise en un clic. Sans recours à un agent. Et surtout sans avoir eu à verser de pourboire. Je suis satisfait », s’exprime, ravi, Jean-Daniel Yeboua, entrepreneur ivoirien, assis devant son ordinateur portable le 20 juillet 2023, dans la commune de Cocody. S’il est si heureux, c’est parce que des personnes avaient tenté de le dissuader de monter son entreprise. « On m’a dit que c’était la croix et la bannière et que je devrais verser des dessous de table si je voulais obtenir les documents nécessaires pour mon entreprise. »
Depuis quelques années, les pouvoirs publics ivoiriens ont décidé de miser sur la numérisation, avec le double objectif de faire obstacle à la corruption en réduisant les tentatives d’arrangement sous le manteau ; et d’alléger les procédures administratives.
En Côte d’Ivoire, la lutte contre la corruption se digitalise par la réduction du contact humain dans l’administration. Depuis l’arrivée du Président Alassane Ouattara au pouvoir, plusieurs plateformes multicanales ont, en effet, été mises en place pour renforcer la stratégie nationale de lutte contre ce mal qui plombe l’économie nationale. L’un des objectifs de cette numérisation est d’éradiquer la corruption. Ou à tout le moins de la réduire à une portion congrue. Il n’est pas uniquement question de réduire la consommation de papier pour préserver l’environnement ou d’alléger le millefeuille bureaucratique.
La principale motivation est de réduire au maximum les contacts des usagers avec les fonctionnaires ou agents de l’État, qui engendrent souvent des bakchich et des pots-de-vin. Et d’éviter de « mouiller la barbe », ou « d’entrer dans le contexte » ou « de parler français ». Plus besoin de « déposer des cailloux » sur son dossier, comme le disent les Ivoiriens dans leur langage imagé.
Les causes de la corruption sont, entre autres, la faiblesse des mécanismes de contrôle interne de l’administration, la faiblesse des rémunérations, la lourdeur administrative ainsi que l’absence de mécanisme de protection sociale.
Ainsi, des moyens numériques ont été mis en place pour lutter contre la petite corruption dans l’administration publique. Au point qu’un Guichet unique des formalités d’entreprises (Gufe) du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici) a été créé pour simplifier et faciliter les démarches des entrepreneurs.
Il est désormais possible de créer son entreprise en 48 heures et à coût réduit. Grâce à l’e-régulations Côte d’Ivoire qui est un service d’information en ligne proposé par le Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici). Ce processus facilite les démarches administratives des entrepreneurs et des investisseurs.
Le paiement des frais d’inscription et d’examen désormais en ligne
Plus besoin de faire de longue distance grace à la digitalisation. (Atsain Désiré)
Plus besoin de faire de longue distance grace à la digitalisation. (Atsain Désiré)
Au niveau des concours administratifs, le paiement des frais d’inscription se fait désormais par voie électronique. Pour s’acquitter des frais d’entrée à l’Institut national de la formation des agents de la santé (Infas), Emma Yao n’a eu aucun contact avec un agent.
Elle a procédé au remplissage de son formulaire de préinscription ; ensuite, elle a choisi son ou ses concours, a effectué le paiement en ligne via son compte mobile money, puis a choisi son lieu d’inscription (Abidjan, Bouaké, Korhogo, Daloa, Abengourou) ainsi que sa date de visite médicale.
« J’ai trouvé le processus très simple. On n’a pas besoin d’être un expert en informatique pour remplir les formulaires. Tout a été conçu pour que tout le monde puisse le faire », se réjouit-elle. Et de renchérir : « Plus de longues files devant les guichets et donner des pourboires. »
En ce qui concerne le ministère de l’Éducation nationale et de l’alphabétisation, les candidats aux examens scolaires du Cepe, Bepc/Test d’Orientation en classe de seconde et au Baccalauréat sont invités à s’acquitter de leurs frais d’inscription sur la plateforme TrésorPay en utilisant uniquement la monnaie électronique.
Les résultats de l’utilisation du numérique pour contrer la corruption se sont vite fait ressentir. En effet, selon l’Ong Transparency International, la corruption a reculé en Côte d’Ivoire. Le pays est passé de la 130e en 2012 au 99e rang en 2022. Et chaque jour, le pays se dote de moyens digitaux de lutte contre ce fléau.
La dernière en date est une plateforme de signalement entièrement digitalisée, Signalis. «Si le public ne l’utilise pas, ce sera comme une arme sans munitions», a prévenu le président de la Haute autorité de la bonne gouvernance (Habg), N’Golo Coulibaly, lors de la cérémonie de lancement de cette plateforme le 25 mai 2023.
La dénonciation des actes de corruption par le signalement…
Le président de la Haute autorité de la Bonne gouvernance (HABG), N’Golo Coulibaly fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. (DR)
Le président de la Haute autorité de la Bonne gouvernance (HABG), N’Golo Coulibaly fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. (DR)
Deux mois après, sur la base d’une dénonciation anonyme reçue sur la plateforme Signalis faisant état de pratiques de corruption dans certains services du ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle, les enquêteurs de la Habg ont mis le grappin les 24, 26 et 27 juillet 2023 sur neuf agents de santé qui ont introduit dans le circuit de la vaccination des vaccins parallèles d’origine douteuse qu’ils commercialisaient à travers la mise en place d’une double comptabilité, l’une officielle et l’autre officieuse.
Cette plateforme est (précédée) d’une réputation de 20 ans d’expérience, et utilisée dans 197 États du monde. Elle a été mise en place grâce à l’appui technique et financier de la Coopération allemande et Giz.
La plateforme Signalis porte en elle deux solutions digitales. L’une web, accessible par ordinateur, tablette et smartphone. L’autre, un Call center au numéro 800 800 11. Les deux sont ouverts 24 h/24, 7 jours/7. Elles offrent des garanties de sécurité, les échanges entre le dénonciateur et la Habg étant chiffrés de bout en bout avec des algorithmes de pointe. Signalis, c’est enfin une solution robuste, selon ses concepteurs.
Comme au Cap-Vert, pays qui a l’indice la plus élevée de lutte contre la corruption en Afrique, la stratégie gouvernementale a été bâtie sur le numérique et en fonction des besoins des citoyens. La Côte d’Ivoire est en passe de réussir ce pari.
Le combat s’intensifie grâce au digital
Les citoyens n’ont plus besoin de parcourir des kilomètres de Vavoua à Abidjan pour dénoncer un cas de corruption ou d’infractions assimilées. Ainsi, désormais, il lui suffit de passer un coup de fil pour porter plainte, à travers une plateforme sécurisée.
Dispositif de recueil, de centralisation et de traitement des plaintes et dénonciations des actes ou soupçons d’actes de corruption et infractions assimilées, Signalis est la plateforme multicanale, multifonction et sécurisée de plainte et de dénonciation de la corruption que la Haute autorité pour la bonne gouvernance (Habg) met au service de la population ivoirienne.
Elle est disponible depuis le jeudi 25 mai 2023. « J’ai appelé la plateforme Signalis pour signaler des cas de corruption commis par des agents des forces de l’ordre. Ma plainte a été bien enregistrée », confie J. Kouamé, un fonctionnaire à la retraire qui, au volant de sa voiture, se rendait dans son village à Aboisso. A son retour de voyage, il nous a fait cette révélation le 25 juillet 2023 à Cocody.
De son côté, le directeur de la Sensibilisation et Éducation experte Anticorruption, Jacques III Achiaou, se félicite de ce dispositif qui permet la dématérialisation des courriers de plainte tout en renforçant la confidentialité, mais aussi l’archivage numérique des dossiers de plainte et dénonciation de la corruption.
« Cette plateforme est même essentielle dans la lutte contre la corruption. Elle renforce le centre d’appel que nous avons depuis 2015 », souligne-t-il.
Expliquant que cette plateforme protège les personnes par l’anonymat. « Cette plateforme renforce le système de prévention et de répression », justifie-t-il. Non sans souligner qu’au lendemain de sa mise en place, plus de 500 personnes ont appelé pour dénoncer des cas de corruption. Tout en soulignant que l’objectif de cette plateforme, c’est de produire des statistiques sur le profil des personnes, les types d’infractions…
D’après le directeur de la sensibilisation et éducation de la Habg, le système mis en place est « infaillible ». Il explique : « Ce n’est pas une panacée. Mais, c’est un élément d’efficacité. Les actes de corruption sont dus généralement à des contacts humains. Quand vous commencez à digitaliser, vous réduisez de façon drastique le contact humain. Plus personne ne se touche. L’implication de l’informatique dans la lutte contre la corruption est primordiale et recommandée sur le plan international. »
Au ministère des Transports, le Centre de gestion intégrée (Cgi) qui est une plateforme technologique alliant le confort et l’optimisation des processus administratifs sous forme d’un guichet unique a pour but la modernisation de l’activité du transport routier en Côte d’Ivoire. Il facilite, dans un premier temps, toutes les procédures liées au traitement, à l’édition et à la délivrance des documents administratifs du transport.
La digitalisation, la solution
Dans un second temps, cette plateforme rend possible la gestion des données du secteur du transport en temps réel sur l’ensemble du territoire national. Où que vous vous trouviez sur l’ensemble du territoire, dès lors que vous vous adressez à l’administration des transports, vous bénéficiez de la même qualité de service.
En plus d’améliorer l’accessibilité aux services de transport, un certain nombre d’avantages tels que la production de statistiques, le suivi opérationnel, la coordination sur l’ensemble du territoire sont liés à la gestion en temps réel qui en découle.
Le Cgi du ministère des Transports, en plus de contribuer à la stabilisation des politiques de transport et de circulation, aide à réduire la violation des normes et accroit la transparence administrative grâce aux outils technologiques qui sont implémentés tant bien au niveau de la sécurité que dans le traitement de l’information.
Le déploiement de la vidéo-verbalisation pour lutter contre l’incivisme est entré dans sa phase active le 7 septembre 2021, dans le Grand Abidjan. En plus d’être un moyen de répression, il est un système de lutte contre la fraude.
« Elle va consister à relever les infractions commises sur la route par les usagers, à travers un système digital doté de caméras de surveillance et de radars. Les caméras ont la capacité de lire les plaques d’immatriculation, d’avoir un certain nombre d’informations en ce qui concerne l’état de la voiture relativement à la visite technique », explique le ministre des Transports, Amadou Koné, dans un entretien accordé à Fraternité Matin, en septembre 2021.
En soi, cette digitalisation n’est pas suffisante pour éradiquer définitivement la corruption, mais c’est un progrès considérable. Ainsi, la corrélation entre numérisation et corruption est bien établie.
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Encadré 1
La dématérialisation des actes, un atout majeur
Remplacer les démarches administratives et documentaires par l’accès en ligne aux informations, formulaires de demandes et le dépôt sécurisé de documents, constitue donc un atout majeur dans la lutte contre la corruption.
En Côte d’Ivoire, des administrations publiques, notamment les Impôts, le Trésor (…) plusieurs mairies ont digitalisé leurs services. On fait une demande d’extrait d’acte de naissance depuis son lieu d’habitation. En un clin d’œil, ce document est disponible. Cela a permis de réduire drastiquement la délivrance de faux actes administratifs.
En plus, en l’absence de contact physique, de relation directe avec des agents désignés, les possibilités de chantage et d’extorsion sont extrêmement réduites : le fonctionnaire ou l’agent d’une administration publique ne peut plus user de son pouvoir pour des sollicitations indues auprès des citoyens ou des entreprises.
Au niveau de la direction générale des Impôts, du Trésor, des Marchés publics…, la dématérialisation obligatoire a permis en effet d’assurer la traçabilité des opérations contractuelles, le bon usage des deniers publics et de partager les données non confidentielles des contrats dans le cadre du mouvement d’Open Data.
Cette métamorphose des marchés publics en contrats électroniques constitue un nouveau moyen de lutte contre la corruption.
Toutefois, il reste un certain nombre de défis à relever comme celui de l’adaptation humaine aux nouveaux usages, de l’interopérabilité entre les différentes plateformes de marchés publics et la modernisation des techniques de travail des enquêteurs pour détecter efficacement les différentes formes de corruption.
Fratmat
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