La France et l’Union Européenne complices de la xénophobie et du racisme en Tunisie ?

La dérive autoritaire du président de la Tunisie fait mollement réagir la France. Ce manque de réaction est critiqué par les défenseurs des droits de l’Homme mais n’étonne pas les spécialistes.

Les déclarations de la Tunisie répondent aux demandes de l’Europe

Pour Khadija Finan, politologue spécialiste du Maghreb, la position de la France doit surtout être analysée à l’aune des questions migratoires. Le président tunisien est perçu par certains pays comme la France mais aussi l’Italie voisine, comme celui capable de contrôler le phénomène migratoire.

« On a beaucoup mis l’accent sur le racisme mais pas suffisamment sur les politiques implicites d’externalisation du contrôle des flux migratoires », souligne la politologue, notant les aides et les formations « de l’administration, des gardes-côtes, d’une partie de la gendarmerie » pour faire de la rétention.

« De manière maladroite », le président tunisien a ainsi agi en réponse aux demandes des pays membres de l’Union européenne, à commencer par la France et l’Italie, opine-t-elle. Parallèlement, sa politique dénoncée comme xénophobe a trouvé un écho dans « un racisme latent » dans des franges de la population tunisienne qui subissent de plein fouet la crise économique.

La France est « gênée » par les déclarations racistes et xénophobes, reprend Vincent Geisser. « En même temps, elle n’est pas complètement opposée à cette orientation très sécuritaire sur les flux migratoires », observe le chercheur.

Mais au-delà, du phénomène migratoire, la France, qui est « en délicatesse avec le Maroc » et dont les relations sont « très variables » avec l’Algérie, essaie tant bien que mal de conserver de bonnes relations avec la Tunisie, opine-t-il enfin.

Les défenseurs des droits de l’Homme critiquent la position timorée de la France à l’égard de la dérive autoritaire du président tunisien, une diplomatie qui s’inscrit dans une longue tradition d’indulgence de Paris vis-à-vis de Tunis.

La prudence s’exprime aussi au moment où la position de l’ancienne puissance coloniale est fragilisée au Maghreb, et plus largement en Afrique francophone.

« La réaction de la France depuis la dérive autoritaire du président tunisien Kais Saied est très décevante », estime auprès de l’AFP Éric Goldstein, directeur adjoint de l’ONG Human Rights Watch (HRW), déplorant « des mots pesés ».

Un grand nombre d’agressions contre les migrants
Le 21 février, le chef d’État tunisien avait affirmé que la présence de « hordes » d’immigrés clandestins originaires d’Afrique subsaharienne était source de « violence et de crimes » et relevait d’une « entreprise criminelle » visant à « changer la composition démographique » du pays.

S’en est suivie une recrudescence d’agressions à leur encontre et des dizaines d’entre eux ont demandé à leurs ambassades à être rapatriés.

Cette sortie du président Saied sur les personnes migrantes était survenue après une série d’arrestations dans les milieux politiques dénoncés par l’opposition comme une nouvelle tentative du pouvoir de la museler. Quelques jours plus tard, le 24 février, la porte-parole du ministre français des Affaires étrangères avait réagi mais seulement « aux récentes vagues d’arrestations en Tunisie », en exprimant « la préoccupation » de la France.

Paris avait aussi appelé les autorités tunisiennes « à veiller au respect des libertés individuelles et des libertés publiques ».

Un silence « gênant et assourdissant » mais en rien étonnant

Pour Kamel Jendoubi, militant historique des droits de l’Homme et ancien ministre post-révolution, « c’est un silence gênant et assourdissant ».

Cette attitude n’étonne pourtant pas les spécialistes tels que Vincent Geisser, chercheur au CNRS et spécialiste de la Tunisie.

À de rares exceptions comme sous le gouvernement de l’ancien Premier ministre socialiste Lionel Jospin, « la France a toujours été très précautionneuse et a toujours prôné une forme de modération, avec des critiques très voilées » vis-à-vis du régime tunisien « quel qu’il soit », souligne-t-il.

Éric Goldstein, de HRW, rappelle que l’ancien président Nicolas Sarkozy s’était ainsi montré « très rétif à critiquer la répression » sous l’ère Zine el-Abidine Ben Ali.

La France a, certes, récemment appelé, à « préserver » les acquis démocratiques issus de la révolution de 2011.

Le Quai d’Orsay travaille mais « rien n’en sort »
Mais chercheurs et défenseurs des droits humains, soulignent que cela reste insuffisant face aux arrestations arbitraires, à la fin de l’indépendance judiciaire ou encore des lois liberticides.

« Les déclarations de la France sont loin d’être à la hauteur de cette crise », poursuit Éric Goldstein, exhortant Paris à se positionner clairement du côté des pays défendant les droits de l’Homme et à cesser de « prétexter » ne pouvoir agir en raison de son histoire « d’ancien pouvoir colonial ».

Selon Kamel Jendoubi, le Quai d’Orsay « au plus haut niveau fait son travail », signalant à l’Elysée « les évolutions inquiétantes de la Tunisie ». « Mais rien n’en sort, si ce n’est un langage très mesuré », regrette-t-il.

Il se dit convaincu que « dans l’analyse » du président français Emmanuel Macron, Kais Saied « a fait ce qu’aucun autre dirigeant n’a fait », à savoir « neutraliser l’islam politique », ce qui lui confère « une sorte de reconnaissance politique ».

Avec Lunion.fr

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