Venance Konan in Fraternité Matin
Nos chers bambins ont célébré mardi-gras le mardi 21 février dernier, comme les années précédentes, en se déguisant du mieux qu’ils ont pu. Cette année une très jolie fillette a fait fondre bon nombre d’entre nous en réussissant à devenir le presque sosie en miniature de la Première dame.
L’année dernière, c’est une autre gamine qui nous avait fait fondre en se déguisant en commissaire de police. C’est charmant, tout cela.
Mais ma préoccupation est de savoir ce que nous sommes en train de faire de ce fameux mardi-gras. C’est, pour ceux qui ne le savent pas encore, une fête chrétienne qui se situe juste avant la période du carême chrétien. C’est dans cette période que généralement l’on organise les carnavals. En principe donc cette fête ne devrait concerner que les chrétiens. Mais voici que dans notre pays très laïc, cette fête chrétienne est en train de devenir une obligation dans bon nombre d’écoles privées, sans distinction des religions des enfants, entrainant de dépenses parfois exorbitantes à des parents souvent déjà bien éprouvés par diverses charges. Personnellement j’ai fait mes études primaires à la mission catholique de Ouellé, et je n’ai aucune souvenance d’une obligation de se déguiser le jour de mardi-gras. Et lorsque j’étudiais en France, je n’ai pas constaté une obligation de se grimer ce jour de l’année. A Nice où je vivais, c’était la période du carnaval, grande fête populaire au cours de laquelle l’on se déguisait, mais ce n’était nullement imposé aux enfants.
L’année dernière en Côte d’Ivoire, le thème du mardi-gras dans l’école de l’un de mes neveux fut la tenue du diplomate. Son père m’appela pour que je lui dise ce qu’était la tenue officielle d’un diplomate. Je n’en savais rien du tout. Après recherche, il apprit que c’était un costume cravate classique avec des bretelles. Le père dut, en râlant, débourser plus de cent mille francs pour habiller correctement son fils en diplomate. Heureusement qu’il n’avait qu’un seul diplomate à habiller. Gare au parent qui n’habillera pas son enfant le jour de mardi-gras. Il devra d’abord faire face à la frustration de son rejeton, qui lui devra affronter les moqueries de ses camarades, ce qui n’est pas le moins grave, et aussi à l’opprobre de la direction de l’école, voire du quartier qui serait capable de le qualifier de « bourreau d’enfant ». Ne parlons pas de cette espèce de mendicité qui pousse des parents à chercher à faire de leurs enfants des sosies de certaines personnalités, dans l’espoir que cette dernière sera très généreuse envers l’enfant et indirectement envers eux.
Nous nous plaignons tous les jours de la vie chère. Mais comment ne deviendrait-elle pas chère lorsque nous inventons chaque jour des dépenses inutiles à faire ? Qui nous a contraint à fêter mardi-gras, avec toutes les dépenses que cela implique ? On nous dira que c’est pour le bonheur de nos chers enfants. Mais, nous l’ont-ils demandé ? C’est au contraire nous qui le leur imposons. Qui nous oblige à fêter la Saint-Valentin, la fête des mères, des pères, des femmes ? Qui oblige certains hommes à entretenir un, deux, trois ou plusieurs « bureaux » ? Qui nous oblige à organiser des funérailles ou des mariages grandioses ? Concernant les mariages justement, la tendance actuelle est de se chercher, en dehors des témoins, des parrains du mariage. C’est-à-dire que l’on veut faire un mariage coûteux, pour démontrer on ne sait trop quoi, et comme on n’en n’a pas les moyens, on cherche l’idiot qui sera prêt à ouvrir son portefeuille en échange du titre de parrain du mariage.
Il est temps de nous ressaisir et d’arrêter de faire du mimétisme qui n’a aucune raison d’être, pour nous contraindre à vivre au-dessus de nos moyens. Si nous arrivions, dans nos vies, à faire la part entre le nécessaire et l’inutile, nous verrons que notre vie serait beaucoup plus simple que nous ne le croyons. Lorsque l’on veut s’imposer des coutumes auxquelles l’on ne comprend absolument rien, par pur mimétisme, lorsque l’on veut faire comme le voisin sans connaître ses revenus, l’on s’expose à des lendemains souvent très difficiles. De nombreux parents qui sortent des fêtes de Noël, de fin d’année, et de Saint Valentin, ont dû s’endetter pour acheter les déguisements imposés dans les écoles de leurs enfants. Pour que leur enfant, et par ricochet eux-mêmes, n’aient pas honte. Mais comme ils auront honte de dire qu’ils sont fauchés, ils vont se déguiser en riches en s’endettant davantage. Et c’est mardi-gras qui continuera pour les parents.
Venance Konan
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