Photo a la Une: Avec le Rwanda et la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie forme le trio de tête des économies qui ont la plus forte croissance en Afrique depuis 2011. En témoigne Addis-Abeba (ci-dessus) avec son métro aérien (à gauche sur l’image), le seul en Afrique sub-saharienne. Pourtant ce vaste pays en vient à frôler de peu la dislocation en 2021.
Leçons d’Éthiopie
Le pouvoir en Éthiopie reposait sur des équilibres mis en place suite à la guerre de 1990, à l’issue de laquelle les troupes gouvernementales furent défaites par une coalition de groupes rebelles dont le TPLF (le Front de Libération du Peuple du Tigrée ). La guerre qui oppose actuellement le gouvernement fédéral au même TPLF résulte de la rupture de ces équilibres. Le pouvoir en Côte d’Ivoire est dans une configuration assez similaire. Il résulte des équilibres mis en place suite à la décennie de troubles des années 2000, qui a connu son épilogue avec la » crise post-électorale » de 2010-2011. Aussi, les événements d’Éthiopie contiennent des leçons précieuses que les dirigeants Ivoiriens, ou ceux qui aspirent à diriger le pays devraient méditer. La paix n’est pas acquise d’avance, elle s’entretient, elle exige un pilotage en fonction du contexte. En Afrique, des élections dites « apaisées », ne garantissent pas nécessairement la paix.
Le conflit en Éthiopie a débuté le 03 Novembre 2020 lorsque les autorités de la province du Tigrée, réunis au sein du TPLF ont attaqué des casernes de l’armée fédérale. Il a connu plusieurs phases. Après un offensif éclair victorieux, l’armée fédérale occupe facilement Mekele, la capitale du Tigré, contraignant le TPLF à un repli dans les montagnes environnantes. De décembre 2020 à Juin 2021, le conflit semble s’enliser, il n’y a pratiquement pas de combats, on pense alors la victoire de l’armée éthiopienne acquise. Mais à partir de Juillet 2021, le TPLF passe à l’offensive, prend les grandes villes les unes après les autres et parvient en Novembre 2021 à moins de 190 km de la capitale Addis-Abeba.
C’est la panique, les Occidentaux commencent à évacuer leur personnel. La chute de la ville paraît inévitable, les jours du régime du Premier Ministre Abiy Hamed semblent comptés. Celui-ci se rend en Turquie en Décembre 2021 pour signer des « accords de coopération ». En réalité il est y est allé négocier d’urgence l’acquisition de drones turcs, le fameux Bayraktar TB-2, la « kalachnikov du ciel » comme le désignent les experts. Dès que l’engin entre en action, il y a un retournement spectaculaire. Les rebelles tigréens abandonnent les unes après les autres les villes qu’ils contrôlent. Leurs canons, leurs véhicules de transport, leurs chars et toute leur artillerie sont ciblés par le Bayraktar TB2 avec une efficacité redoutable, leur ôtant toute possibilité de se regrouper et de riposter.
Alors qu’en Novembre 2021 ils étaient » aux portes » d’Addis-Abeba, en début du mois de Janvier 2022, soit en moins de cinq semaines, Ils sont repliés dans leur bastion du Tigrée d’où ils étaient sortis pour mener l’offensive vers la capitale Addis-Abeba. Un accord de paix est signé en Novembre 2022 en Afrique du Sud, quasiment deux ans après le déclenchement du conflit. La défaite des rebelles est désormais consommée. Il faut quand même souligner que les forces éthiopiennes ont bénéficié de l’appui de l’armée erythréenne.
Le premier enseignement à tirer est militaire. Le régime éthiopien était dans une situation désespérée lorsque les rebelles du TPLF sont parvenus à moins de 190 km de la capitale. L’entrée en scène du Bayraktar TB-2 a totalement changé la donne. Capable de voler 27 heures d’affilée et de frapper une cible de moins de 2 mètres d’envergure à 8 km de distance, ce drône est de l’avis des spécialistes « l’arme fatale » contre tout type de rébellion. Conçu pour traquer et frapper avec précision les petites cibles mobiles, ce drône est aujourd’hui ce qui se fait de mieux pour des « frappes chirurgicales » dans des conflits de » basse intensité « . Dans le Nord du Nigeria, le Bayraktar TB-2 a délogé les éléments de Boko Haram de la forêt de Sambisa, qui constituait leur bastion depuis les années 2000, et dans laquelle l’armée nigériane ne pouvait les traquer.
Notons que l’aviation éthiopienne bombardait déjà le Tigrée, sans effet cependant. Il aura fallu le Bayraktar TB-2 pour renverser le cours du conflit. Des djihadistes à moto ou sur des pick-up n’auraient aucune chance d’en réchapper, même de nuit, ce drône est équipé d’une caméra à vision nocturne. Si aujourd’hui Boko Haram n’est plus une menace existentielle pour le Nigéria, le Bayraktar TB2 » y est pour quelque chose. Les pays du Sahel devraient retenir la leçon. L’armée ivoirienne doit aussi s’intéresser à cette arme, capable de repérer et de frapper de façon préventive tout regroupement hostile à nos frontières.
Le second enseignement à tirer est politique. Devant les défaites successives, l’armée éthiopienne n’a pas pour autant tenté de renverser le PM Abiy Hamed, sous le prétexte qu’il était inapable de « comprendre la menace », ou de conduire efficacement la guerre. Elle est restée républicaine, soudée derrière l’homme. C’est une leçon que les armées du Sahel devraient méditer, elles qui ont renversé des pouvoirs civils et se sont installées aux commandes, sans pour autant que la situation sécuritaire ne s’améliore vraiment.
Le troisième enseignement, et le plus important à tirer des événements d’Ethiopie est également d’ordre politique. Il tient aux réformes entreprises par le PM Abiy Ahmed en 2018, dès qu’il est nommé à ce poste. Il faut se souvenir que le TPLF coalisé à une plusieurs groupes rebelles, dirigeait l’Ethiopie depuis sa victoire sur les troupes gouvernementales en 1990, donc depuis trente ans. L’armée et la haute administration fédérale étaient aux mains des Tigréens.
Dès qu’il est nommé Premier Ministre, Abiy Ahmed un oromo (l’ethnie la plus importante d’Ethiopie ), entreprend d’écarter les tigréens de la gestion du pouvoir et de s’affranchir d’eux. Il remplace le Chef d’Etat-Major, un tigréen qui était en place depuis 2001. Ce qui entraîne un grand bouleversement dans cette institution. Il en fut de même dans pratiquement tous les postes sensibles de la haute administration. Sur le plan politique, il dissout la coalition qui était en place depuis 1995, dans laquelle le TPLF avait un quasi-monopole. Il crée un nouveau grand parti. Le TPLF refuse de se dissoudre dans cette nouvelle formation politique.
Il faut savoir que l’Ethiopie est un Etat fédéral dans lequel chacune des provinces dispose de ses propres services de sécurité. Au fur et à mesure qu’ils étaient écartés du pouvoir central à Addis-Abeba, les Tigréens renforçaient les unités de l’armée fédérale stationnés dans leur province, de même que les services de sécurité de la province, qu’ils ont transformés en une véritable armée. Dès lors, la confrontation avec le pouvoir central n’était qu’une question de temps. Ainsi le 03 Novembre 2020, le TPLF attaque et prend possession des casernes de l’armée fédérale situées dans la province du Tigrée.
Les observateurs ont noté que le PM Abiy Ahmed est allé trop vite dans ses réformes en écartant pratiquement du jour au lendemain des hommes qui géraient le pays depuis 1990 ! Il a rapidement démantelé des équilibres en place depuis plus de 30 ans. Il aurait fallu une approche graduelle afin d’amener par étapes le TPLF a relâché son étreinte autour du pouvoir central.
En Côte d’Ivoire nous avons des équilibres en place depuis 2011 principalement dans l’armée. Il serait dangereux de les remettre en cause du « jour au lendemain » si le pouvoir venait à « changer de camp » à la suite des élections. Le pays pourrait lui aussi connaître le « syndrome éthiopien », ou basculer dans une instabilité chronique de ses institutions, qui ne trouverait pas forcément sa solution dans les urnes. Le nouveau pouvoir devra faire preuve de perspicacité, de discernement, d’ouverture mais aussi de fermeté. Ce sera délicat mais pas chose impossible. Dieu bénisse la Côte d’Ivoire.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales
oceanpremier4@gmail.com
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