(2e partie) De la révolte des populations africaines contre la France: Causes, enjeux et perspectives/Analyse du mouvement «Les Démocrates de Côte-d’Ivoire»

Cette seconde partie [lire la première partie ici] de la contribution montre comment la France, par les choix de ses dirigeants, est elle-même la cause de ses déboires en Afrique et indique la voie à suivre si ces dirigeants ne veulent la voir être remplacée par des puissances concurrentes.

III/ La France est son propre bourreau en Afrique

Le projet de coopération proposé par la France n’incite pas les intellectuels et certains hommes politiques à y adhérer parce qu’il semble décalé au regard des besoins croissants de développement des pays africains. Les accords de défense aux clauses secrètes qui ne protègent pas les pays africains des attaques des rebelles ni de l’avancée du terrorisme djihadiste mais protègent les régimes amis tripatouilleurs de constitution et d’élections ne sont pas adaptés aux défis sécuritaires du moment. La chute de ces pouvoirs portés à bout de bras par le parrainage françafricain est célébrée par les populations comme leur victoire sur les réseaux françafricains et l’occasion pour les régimes militaires qui s’installent de rompre avec le pacte colonial et ses servitudes. C’est, semble-t-il, la nouvelle donne en Afrique face au défi sécuritaire et à la problématique de l’alternance politique empêchée.

Le mécanisme du franc CFA, outrageusement avantageux à l’économie française car ses entreprises bénéficient gratuitement de cette authentique assurance à l’encontre des fluctuations monétaires susceptibles d’affecter leurs marges, coûte cher, en revanche, aux citoyens africains qui paient le prix de la stabilité du taux de change par des ponctions opérées par le Trésor français sur leurs réserves monétaires placées en France. Cette monnaie, rebaptisée Eco pour couper l’herbe sous le pied au projet africain de l’Eco, est au service de l’impérialisme français et, sa réforme cosmétique reste une stratégie très policée de la France pour maintenir sa domination dans ses ex-colonies. La France, en réalité, ne veut rien lâcher du franc Cfa.

Elle demande aux dirigeants africains de formuler eux-mêmes la demande de renégociation des clauses de cette monnaie tout en sachant qu’aucun n’aura le courage de le faire de peur de perdre le pouvoir dans son pays. L’élite politique de pouvoir, quel qu’il soit, de gauche ou de droite, en France, reste enfermée dans un paradigme politique et économique colonialiste qui est l’ADN de la Françafrique hors de laquelle il n’y aurait apparemment point de salut possible. Non contente de dominer économiquement, financièrement et militairement ses anciennes colonies, la France veut aussi avoir sous sa coupe politique les dirigeants africains et ceux-ci, après chaque élection présidentielle, partent en France renouveler l’allégeance nationale et personnelle au souverain. Le pèlerinage au Quai d’Orsay par des hommes politiques africains (opposants comme des pouvoirs en place) est devenu un rituel obligé pour se faire adouber avant des élections présidentielles en Afrique. Ce paradigme de la politique africaine de la France entretenu par les africains eux-mêmes leur enlève l’initiative stratégique.

La mainmise économique, politique, diplomatique, financière et militaire de la France sur les pays africains reste l’une des causes structurelles de leur retard de développement et l’expose grandement en cas de détérioration économique ou sécuritaire de la situation. L’on rétorquera que la responsabilité première incombe aux dirigeants africains eux-mêmes qui préfèrent s’enrichir que d’enrichir leurs peuples. Cela est tellement juste que ces dirigeants, conscients de ne pas avoir doté le système de santé de leur pays du plateau technique adéquat courent se soigner en France ou ailleurs en Europe lorsqu’ils sont malades. Mais, dans cette contribution, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » interroge le système dans lequel ils baignent. Le système est tout ; c’est un logiciel doté de séquences d’instructions interprétables par les individus aux postes de commande des Etats africains. C’est le logiciel qui leur confère leur utilité fonctionnelle dans l’ensemble du système mis en place depuis des générations pour assurer le bon fonctionnement de l’empire qui ne veut pas mourir.

Quoi qu’on dise, les pays africains restent encore ancrés dans des objectifs colonialistes avec les servitudes du pacte colonial. Ils sont essentiellement des appendices agricoles et des pourvoyeurs de matières premières et des importateurs de biens et de services en provenance d’Europe et du reste du monde. Le tissu industriel qui y a été créé sert juste à couvrir la consommation locale. Même la monnaie utilisée sert à faciliter les transactions courantes des entreprises françaises (règlements des importations et des exportations, rapatriement des profits et dividendes, envois de fonds des travailleurs expatriés, investir dans la zone, etc.) sans risquer de dépréciation monétaire, sans avoir à débourser la moindre devise étrangère et sans aucun risque de change. La structure de l’industrie ainsi dépeinte ne favorise pas un grand développement économique puisqu’elle n’est pas tournée vers l’exportation.

Les dirigeants français sont prompts à parler de partenariat gagnant-gagnant, décomplexé et débarrassé des pesanteurs du passé. Les populations africaines constatent que rien n’est plus faux et démagogique que ce propos face à la réalité des rapports entre la France et les pays africains qui n’arrivent pas à se débarrasser justement de ces pesanteurs coloniales. Les accords coloniaux subordonnent les choix stratégiques des dirigeants africains à ceux de la France.
IV/ Les actuels dirigeants français face à une problématique ancienne mais sans la vision du « petit peu de bon sens »
La problématique qui s’est posée au général de Gaulle, avec un environnement international complexe mais légèrement en deçà de ce que nous vivons aujourd’hui, est sensiblement celle à laquelle font face les actuels dirigeants français. A l’époque, c’est en vain que les gouverneurs locaux ont combattu, traqué les partisans de l’indépendance qui étaient, à leurs yeux, des persona non grata. Pour que la paix revienne dans l’espace francophone, ils ont dû se résoudre à coopérer avec ceux-là plutôt qu’avec ceux jugés de collabos par les africains eux-mêmes et qui les entraineraient dans des voies sans issue. Aujourd’hui, les « influenceurs » panafricanistes sont stigmatisés, interdits de séjour sur le territoire français pour certains.

Et pourtant, si la France accepte de tenir compte des critiques formulées contre elle par ceux qu’elle brocarde, il sera possible au monde francophone de faire un bond en avant collectif au 21e siècle. En 2060, la langue française, selon les prévisions, sera la troisième langue la plus parlée dans le monde. Comment transformer ce poids linguistique et culturel en poids économique de sorte que les pays francophones, notamment africains, deviennent des maillons importants des chaînes de valeur, des chaînes commerciales mondiales, qui ne se construiront pas avec des matières premières brutes ? C’est une problématique importante qui mérite une réponse collective. Devant les tergiversations françaises, il reviendra à l’Afrique de répondre à cette préoccupation au 21e siècle.

Malheureusement, il leur manque la volonté de faire évoluer les choses, de transformer ces conseils lucides de Jacques Chirac donnés en 2001, en marge du sommet France-Afrique de Yaoundé au Cameroun, en instrument de réflexion stratégique prospective : « nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi. Ensuite, nous avons pillé ses matières premières. (…) Puis, on constate que la malheureuse Afrique n’est pas dans un état brillant, qu’elle ne génère pas d’élites. Après s’être enrichi à ses dépens, on lui donne des leçons. (…) On oublie seulement une chose. C’est qu’une grande partie de l’argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l’exploitation, depuis des siècles, de l’Afrique, pas uniquement mais beaucoup vient de l’exploitation de l’Afrique. Alors, il faut avoir un petit peu de bon sens, je ne dis pas de générosité, de bon sens, de justice, pour rendre aux africains, je dirais, ce qu’on leur a pris, d’autant que c’est nécessaire si on veut éviter les pires convulsions ou difficultés, avec les conséquences politiques que ça comporte dans un proche avenir ». Les convulsions ont commencé ; le mouvement est lancé et rien ne pourra l’arrêter. Soit le train sera pris en marche soit le train partira sans les passagers qui trainent. Telle est la logique qui s’impose à toutes les forces réfractaires.
Ce « petit peu de bon sens et de justice » dont parle Jacques Chirac, c’est dans un dialogue franc, sans tabou que français et africains pourront le trouver ensemble autour d’une table de négociations. Malheureusement, les autorités françaises ne veulent négocier qu’à leurs conditions, ne font que des concessions cosmétiques (comme l’initiative Eco-Cfa) qui laissent intactes les servitudes du pacte colonial et, cela irrite fortement certains africains. Après la rupture des accords de défense annoncée le 2 mai 2022, huit accords secrets de ce fameux pacte colonial viendraient d’être unilatéralement rompus par le président malien Assimi Goïta.

Et pourtant, si la France l’avait voulu, cela aurait été fait dans un cadre négocié et concerté qui aurait préservé la dignité de chacun en lieu et place de cette humiliation publique. En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo qui avait voulu leur révision s’est vite ravisé après la survenue de la rébellion de 2002. Devant les résistances de la France et la préférence de ses dirigeants pour les concessions cosmétiques, les faits accomplis risquent de s’imposer à eux de plus en plus. Les africains auront compris, sur cette question, que la voie de la négociation n’est pas possible, qu’il est plus facile de réaliser des avancées avec un pouvoir militaire qu’avec un pouvoir civil fragile et, ce serait vraiment dommage comme exemple encouragé, malgré elles, par les autorités françaises. Cela ne sert plus à rien de prendre les africains de haut.

En réalité, ce n’est ni la Russie ni la Chine qui va chasser la France d’Afrique mais bien les africains eux-mêmes qui, profitant de l’entêtement idéologique des dirigeants français qui ne peuvent accepter la cohabitation stratégique avec la Russie, la pousseront dehors en lui laissant l’initiative de cette action. La Russie ne fera que profiter de la brèche créée par les africains et qui s’élargit lorsque sa présence se matérialise.

La France n’a plus les moyens de sa position historique comme elle ne pouvant pas tuer dans l’œuf le désir d’indépendance avant 1960. Elle ne pourra pas tenir longtemps face à la poussée des africains qui deviendra intenable si des leaders souverainistes réussissent à la capitaliser dans leur pays respectif et à fédérer les efforts dans un cadre panafricaniste bien pensé. Le génie français doit sortir du confort de la ‟rente” coloniale et faire preuve de créativité pour que africains et français tirent profit ensemble d’une histoire commune dans le monde multipolaire en devenir. Avant que les extrêmes de gauche et de droite ne prennent les choses en main en Afrique, il est temps de trouver un juste milieu parce que tout processus social est dynamique et l’extrémisme naît du refus de la coopération, les mentalités n’étant pas statique.

Il semblerait, cependant, que l’issue de la guerre en Ukraine déterminera le sort de la France en Afrique. Son activisme en Ukraine s’expliquerait en partie par la donnée africaine comme l’a été son activisme contre Kadhafi. Si l’occident perd cette guerre, la France risque d’être finlandisée et devra concéder de libérer les pays africains de son emprise impérialiste. Si l’occident sort victorieux de sa confrontation avec la Russie qui risque d’être nucléaire, la France maintiendra sa position dominante en Afrique mais devra composer avec ses alliés qui ne lui laisseront pas seul profiter du gâteau des ressources africaines ou faire seule de l’Afrique sa réserve stratégique. Ceux-ci ont sciemment laissé la France s’embourber militairement et financièrement au Sahel, avec les conséquences prévisibles que l’on sait.

Détruite ou non par les effets collatéraux de la guerre en Ukraine à laquelle elle participe activement et ouvertement comme cobelligérante, l’Europe devrait craindre pour sa sécurité dans les années à venir. Il est une constance, depuis près de vingt ans, que les groupes terroristes djihadistes prolifèrent là où passe la guerre. Et, la disparition dans la nature de nombre des armes livrées à l’Ukraine devrait inciter à plus de circonspection. On verra bien si l’Europe réussira à échapper à ce paradigme.

Dans le monde tel qu’il est en train de se dessiner, l’Afrique sera un continent à conquérir et, le grand perdant risque d’être la France si ses dirigeants ne font pas preuve d’un « petit peu de bon sens » et continuent de s’accrocher au statu quo. Les autorités françaises doivent revoir leur copie au risque de perdre définitivement la zone franc. L’angle d’analyse adopté par le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » n’efface pas l’accompagnement français dans leur quête de développement par les africains depuis 1960. Il ne dédouane pas non plus les africains eux-mêmes de leurs responsabilités dans le retard de développement accusé par l’Afrique subsaharienne, eux qui préfèrent accumuler des milliards dans les banques occidentales et les paradis fiscaux pour assurer l’avenir de plusieurs générations de leur progéniture au lieu d’élever leur pays respectif au standard de développement de certains pays asiatiques.

Il est connu que l’industrie est un moteur de croissance économique et de développement. Or, elle est énergivore. Avant d’amorcer son développement industriel (l’industrie appelle le progrès sur tous les plans), l’Afrique doit commencer par résoudre la problématique énergétique, par rendre l’énergie disponible en quantité suffisante pour les ménages et pour l’industrie. Malheureusement, l’Afrique est loin de couvrir ses besoins énergétiques primaires. L’uranium du Niger sert à alimenter les centrales nucléaires françaises pendant que des villages entiers sont sans électricité au Niger. C’est une aberration.

Les pays africains doivent aussi revoir le niveau de leur système éducatif afin qu’il puisse produire la main d’œuvre qualifiée capable de rendre impérative l’installation sur leur sol de l’industrie lourde et des entreprises de la haute technologie. Le développement économique passe également par un système financier et monétaire efficace qui permet le financement de l’économie et agit sur la productivité. Alors que l’Afrique est considérée comme la Chine ou l’Inde de demain, elle ne semble pas encore prêtre à répondre au rendez-vous de son histoire à cause de la vision stratégique étriquée de ses dirigeants actuels et des pesanteurs systémiques qui la confinent à un rôle colonial de fournisseurs de matières premières brutes aux autres parties du monde.

Fait à Abidjan, le 18 octobre 2022.
Pour « Les Démocrates de Côte d’Ivoire ».
Le Président
Pr. Séraphin Prao

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