Le cardinal Jean-Pierre Kutwã devait-il accompagner le président Ouattara au Vatican ?

Par Jean-Claude DJEREKE (opinion)

L’État du Vatican entretient des relations avec d’autres États existant dans le monde. Alassane Ouattara, que Nicolas Sarkozy a avoué avoir installé à la tête de l’État de Côte d’Ivoire en avril 2001 (cf. Nathalie Schuck et Frédéric Gerschel, ‘Ça reste entre nous, hein ? Deux ans de confidences de Nicolas Sarkozy’, Paris, Flammarion, 2014), a rendu visite aux autorités vaticanes, le 16 septembre 2022.

Cette visite en soi ne pose aucun problème. Ce qui pose problème, c’est la présence du cardinal Jean-Pierre Kutwã dans la délégation du président du RHDP. Pourquoi ? Parce que, de l’avis de son prédécesseur, “un évêque, à plus forte raison un Cardinal, ne peut accompagner un chef d’État au Vatican”. L’ancien archevêque d’Abidjan, qui s’exprimait dans “Le Nouveau Réveil”, faisait remarquer aussi que, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, il n’était pas avec Laurent Gbagbo à Rome, mais à Abidjan, que ni lui ni l’Église catholique n’avaient intérêt à ce que Robert Gueï soit physiquement éliminé (cf. Connectionivoirienne.net du 17 septembre 2012). Le second cardinal ivoirien rappelait, dans le même entretien, que toute dictature (militaire ou imposée par l’argent) était quelque chose d’anormal.

Les propos de Mgr Agré (“un Cardinal ne peut accompagner un chef d’État au Vatican”) sont-ils crédibles ? Oui, et je prendrai quelques exemples pour le prouver. Le premier exemple est celui du général de Gaulle. Lorsqu’il rend visite à Jean XXIII, le 27 juin 1959, il n’est accompagné que de sa femme Yvonne et du ministre des Affaires étrangères Maurice Couve de Murville. Deuxième cas : Évariste Ndayishimiye, le nouveau président burundais, était au Vatican, le 26 mars 2022. Aucun évêque catholique burundais ne faisait partie de sa délégation. Pareil pour Félix Tshisekedi, le 17 janvier 2020. Le cardinal Fridolin Ambongo n’avait pas fait le voyage avec le président de la RDC.

Pourquoi Kutwã a-t-il fait ce que les autres évêques se sont gardés de faire au nom de la séparation entre l’Église et l’État ? Il est de notoriété publique que l’archevêque d’Abidjan et le président reconnu par la communauté dite internationale sont des amis. C’est Ouattara lui-même qui l’a révélé, un jour. Or nous avons appris de la bouche de feu Charles Konan Banny que le même Ouattara ne conçoit l’amitié qu’en termes de soumission (cf ‘Jeune Afrique’, juin 2015). Où et quand a-t-on vu un soumis contredire celui qui le tient par la barbichette ? Kutwã ne peut donc pas s’opposer à Ouattara quand cela s’avère nécessaire. Effectivement, il n’a même pas été capable de lever le petit doigt quand les microbes de Ouattara promettaient d’agresser et de faire couler le sang des fidèles catholiques d’Abidjan qui voulaient organiser une marche pacifique le 15 février 2020. L’amitié entre les deux hommes empêcha Kutwã de voir que le recomptage des voix proposé par Laurent Gbagbo ferait moins de morts et de blessés que la solution militaire préconisée par le va-t-en-guerre Ouattara. Un pays, où le pouvoir spirituel se soumet volontairement au pouvoir temporel, est en danger.

Les “hommes de Dieu” qui, sans vergogne, se prostituent avec des dictateurs pour bénéficier des miettes de l’argent volé au peuple ne méritent que le mépris. Le cardinal Laurent Monsengwo était estimé et respecté parce que, le 2 janvier 2018, il avait osé interpeller Joseph Kabila qui voulait briguer un troisième mandat en ces termes : “Il est temps que les médiocres dégagent et que règnent la paix et la justice en RDC.” J’ai envie de dire que les médiocres se trouvent malheureusement aussi dans l’Église et qu’ils devraient dégager mais on a parfois l’impression que le Vatican est complaisant avec les évêques indignes et médiocres.

En France, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Église se fourvoya complètement en collaborant avec le régime du maréchal Pétain et l’Allemagne nazie. Seuls Mgr Jules Saliège (Toulouse), le cardinal Gerlier (Lyon), Mgr Jean Delay (Marseille), le cardinal Maurice Feltin (Bordeaux) et Mgr Pic (Valence) refusèrent de faire allégeance aux Allemands (cf. Frédéric Le Moigne, ‘Les évêques français de Verdun à Vatican II. Une génération en mal d’héroïsme’, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005).

Ce que nous dénonçons ici, c’est la compromission avec des dictatures immondes, le silence devant les dérives et abus de certains dirigeants. Certains pourraient en conclure que les clercs devraient se désintéresser de la politique. Rien n’est plus dangereux que “le faux apolitisme des mains pures” dont se prévalent certains prêtres et évêques. Ces derniers devraient comprendre que “la question politique est au cœur de nos vies” (François Varillon). Le jésuite français poursuit : “Tout le monde, le sachant ou ne le sachant pas, fait de la politique, le silence, le retrait, l’acceptation, le refus, la prise de parole, l’entrée en action sont autant de manières de laisser vibrer en chacun la corde politique. Se taire ou parler, se retirer ou s’engager sont des manières utiles de peser dans un sens ou dans un autre dans le rapport de force qui est le nœud central de la décision politique. En n’oubliant pas que la force d’inertie est une des toutes premières forces politiques” (‘Joie de croire, joie de vivre’, Paris, Bayard, 1981).

On ne reproche pas à Kutwã d’être un ami de Ouattara. Ce qui lui est reproché, c’est de ne pas dire la vérité à son ami, de parler de candidature au 3e mandat « pas nécessaire” là où il eût fallu dire que la constitution ivoirienne interdit de faire plus de deux mandats, de soutenir contre tout bon sens un régime coupable de nombreux massacres et de détournements de fonds publics. Ouattara a été accusé d’avoir tenté de renverser les autorités maliennes. Celles-ci affirment détenir des preuves accablantes en ce sens. Les explications d’Abidjan sur les 49 mercenaires arrêtés et détenus au Mali n’ont pas convaincu grand-monde. On peut se demander si la présence de Kutwã parmi les personnes ayant accompagné Ouattara au Vatican n’avait pas pour but de voler au secours d’un individu de plus en plus isolé en Afrique à cause de ses accointances avec la France, un pays dont les Africains ne supportent plus l’arrogance, la duplicité, les mensonges et la collusion avec des régimes autoritaires et sanguinaires.

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