Au Soudan ces soi-disant « intérêts géopolitiques » de la France encore contrariés par un coup-d’état militaire

Comprende pourquoi les principaux médias français condamnent le récent putsch au Soudan.

La France confrontée en Afrique au défi des Emirats arabes unis

Photo: Emmanuel Macron accueillant à Paris, le 17 mai, le Premier ministre soudanais, Abdallah Hamdok, renversé le 25 octobre (Sipa)

Par Jean-Pierre Filiu

Le président Macron a condamné « avec la plus grande fermeté » le récent coup d’Etat au Soudan, pourtant soutenu par les Emirats arabes unis, dont l’opposition à la politique française en Afrique est de plus en plus ouverte.

Emmanuel Macron accueillant à Paris, le 17 mai, le Premier ministre soudanais, Abdallah Hamdok, renversé le 25 octobre (Sipa)

Le président Macron a « condamné avec la plus grande fermeté« , le 25 octobre, le coup d’Etat de la junte soudanaise qui, quelques heures plus tôt, avait renversé le gouvernement civil de transition. La sévérité de l’Elysée est à la mesure du camouflet qui lui est infligé par les putschistes et leurs parrains étrangers, au premier rang desquels les Emirats arabes unis. La France s’était en effet engagée sans réserve, depuis deux années, en faveur de la transition soudanaise qui, sous l’égide du Premier ministre Hamdok, travaillait à solder le calamiteux héritage de trois décennies de dictature militaro-islamiste du général Omar al-Bachir. L’opposition civile, dont le soulèvement pacifiste avait, en avril 2019, entraîné la chute de Bachir, avait ensuite accepté de partager temporairement le pouvoir avec le chef d’état-major Abdel Fattah al-Bourhane. C’est la perspective de la fin de cette période intérimaire, et donc d’une dévolution effective du pouvoir aux civils, qui a convaincu le général Bourhane de perpétrer le récent coup d’Etat.

LE SOUTIEN FRANÇAIS A LA TRANSITION SOUDANAISE

Emmanuel Macron avait, dès septembre 2019, accueilli Abdallah Hamdok à l’Elysée pour un entretien de trois longues heures. Il lui avait alors exprimé avec force « le soutien de la France » à « la reconstruction économique du Soudan et à la construction d’un régime civil et démocratique en vue d’élections libres fin 2022″. En mai dernier, le président français avait même pris l’initiative d’accueillir à Paris une « conférence internationale d’appui à la transition soudanaise ». Il l’avait symboliquement ouverte sur le Champ-de-Mars, en référence explicite à « la fête de la Fédération du 14 juillet 1790″, car « ce sont les mêmes idéaux que nous célébrons aujourd’hui ». Il avait alors invoqué, en arabe comme en français, « Liberté, paix, justice, trois mots qu’ont scandés les acteurs de la révolution soudanaise, trois mots qui résonnent fort dans l’histoire de notre pays, la France, trois mots qui traduisent des aspirations universelles ». La France avait alors obtenu pour le Soudan des mesures significatives d’allègement d’une dette de 60 milliards de dollars, héritée de la dictature déchue.

C’est peu de dire que Macron avait noué une relation de confiance avec Hamdok, économiste chevronné, homme de paix comme de principes. Les rapports étaient nettement plus formels avec le général Bourhane, lui aussi invité à Paris en mai dernier, mais au titre d’une présidence d’un conseil transitoire qu’il était censé abandonner dans les prochains mois. En revanche, le chef d’état-major soudanais était depuis longtemps l’interlocuteur privilégié à Khartoum des Emirats arabes unis et de leur dirigeant de fait, le prince héritier Mohammed Ben Zayed. Ce partenariat s’était noué, dès 2015, à la faveur de l’engagement du dictateur Béchir dans la coalition menée au Yémen par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Le général Bourhane, qui supervisait les opérations du contingent soudanais au Yémen, avait été alors remarqué par Mohammed Ben Zayed, au point de devenir son principal relais à Khartoum et de bénéficier de son soutien multiforme.

UNE STRATEGIE DES EMIRATS OPPOSEE A CELLE DE LA FRANCE

Le président Macron attache du prix à sa relation avec Mohammed Ben Zayed, avec qui il met volontiers en scène sa proximité, voire sa complicité. Le 15 septembre, il l’a reçu avec faste et chaleur au château de Fontainebleau, à l’occasion de l’inauguration, sous le nom du frère aîné de Mohammed Ben Zayed, de l’ancien théâtre Napoléon III, restauré sur fonds émiratis. Ce jour-là, l’homme fort d’Abou Dhabi s’est pourtant bien gardé de révéler à son hôte français la dynamique putschiste bientôt à l’oeuvre au Soudan. Le 21 septembre, une tentative avortée de coup d’Etat ouvrait en effet une séquence de turbulences qui, malgré les manifestations massives du 21 octobre en faveur du gouvernement civil, n’empêchaient pas son renversement par le général Bourhane, quatre jours plus tard. Les Emirats arabes unis sont ainsi cohérents avec la stratégie contre-révolutionnaire qui les a déjà conduits, en juillet dernier, à soutenir en Tunisie la suspension du processus constitutionnel par le président Saïed.

Cette option contre-révolutionnaire est, au Soudan ainsi qu’en Tunisie, partagée par l’Egypte et par l’Arabie saoudite. Mais elle représente moins pour les Emirats arabes unis un enjeu géopolitique qu’une approche doctrinaire, selon laquelle les transitions démocratiques doivent être enterrées dans tout le monde arabe, quitte à favoriser, comme à Khartoum, le rétablissement d’une junte militaire. Une telle vision est diamétralement opposée à celle exposée sur le Champ-de-Mars, en mai dernier, par le président Macron. Si l’on y ajoute le rôle de boute-feu que joue désormais Abou Dhabi en encourageant Rabat dans son bras de fer avec Alger, on mesure combien les contentieux avec Paris s’accumulent sur le continent africain. Il n’est sans doute pas trop tard pour que la France regarde enfin en face les visées des Emirats dans cette région à maints égards stratégique.

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