*(in L’alchimiste de Paulo Coelho)
Parodiant l’immense écrivain Paulo Coelho, je dirai que Gbagbo est un combattant de la
lumière. Son engagement et son combat pour la dignité de ses concitoyens date de bien plus
longtemps que l’irruption d’un nouvel acteur bien visible sur l’échiquier politique. Les prémices
de l’engagement de Gbagbo se situent dans la première décennie de l’indépendance nominale
de notre pays. C’est en effet, après la vague d’arrestations d’innocents Ivoiriens perpétrées
par le régime d’Houphouët-Boigny (1962-1965) que l’étudiant Gbagbo s’éveille à l’injustice
subie par les Ivoiriens. Cette période est l’une des plus sombres de notre jeune histoire : le
« complot de janvier 1963 ». Des intellectuels ivoiriens, loin s’en faut qui ne sont pas
admirateurs de Gbagbo reconnaissent sa popularité dans le pays. « « S’il est lui aussi célèbre,
c’est-à-dire, connu, admiré, voire aimé par beaucoup de nos compatriotes de toutes les
régions et de toutes les ethnies, ce n’est pas pour ce qu’il a fait mais uniquement pour ce qu’il
représentait à leurs yeux ou, pour mieux dire pour ce qu’il « promettait » d’être…Cela
commença avec l’incident survenu au début des années 1970 dans sa classe d’histoire au
lycée classique d’Abidjan, entre lui et la fille de l’ambassadeur d’Israël ; incident qui avait
provoqué un véritable effet domino jusque dans les hautes sphères du ministère de l’Éducation
nationale. Lors de son procès, Laurent Akoun a évoqué cette affaire, qui serait l’évènement
fondateur de son attachement à la personne de Gbagbo. Comme lui, ils furent des dizaines,
dès cette époque, à voir en Gbagbo – je le dis cette fois sans ironie- notre Messie à nous les
Ivoiriens ».
Dès lors, Gbagbo qui n’a pas mordu à l’hameçon de la « Françafrique » ne peut
être vu comme un aventurier de la politique. Il ne peut non plus être perçu comme un
ethnocentriste, car tout au long de son parcours d’engagement, il s’est départi du repli
régionaliste et micro-nationaliste. Ses compagnons des premières heures de la clandestinité
viennent de tous les horizons et de toutes les confessions du pays. Les plus connus sont :
Abou Dramane Sangaré, Assoa Adou, Laurent Akoun, etc…
Je ne suis ni un « gbagblolâtre » aveugle, ni un thuriféraire. L’émotion tue la raison, c’est
pourquoi il faut apprécier la situation du pays à l’aune de plusieurs contingences. L’action vaut
mieux que l’inaction. La critique est justifiée lorsqu’elle est suivie de réponses aux
problématiques invoquées. La situation de notre pays est compliquée. Lorsque l’on a dit que
la Côte d’Ivoire n’est pas indépendante, qu’est-ce l’on fait après ? Quelle est la contradiction
principale des Ivoiriens ? C’est justement là que se situe la difficulté. Où sont-ils, tous ceux qui
sont sortis du bois au début des années 1990 pour réclamer la liberté et la démocratie à hue
et à dia ? Nombre d’entre eux, par pur calcul et/ou par adhésion au mirage de l’entrisme ont
gagné les rangs du système ; les moins endurants ont été happés ; les moins chanceux sont
tombés sous les balles du régime ; d’autres comme Gbagbo, sont de véritables miraculés.
Gbagbo, malgré lui, en est le représentant le plus visible car, il a opté pour l’action. Certains,
Regard critique sur un parcours (L. Gbagbo,28 octobre 1990-28 février 2013), in Blog Cercle Victor Biaka
Boda). Amondji Marcel.
loin du théâtre des joutes ont choisi une autre forme de résistance qui peut être saluée. En
tout état de cause, l’élite intellectuelle africaine des années 1980 dont fait partie Gbagbo a été
la plus exposée et la plus réprimée du fait de ses positionnements radicaux dans les critiques
des régimes en place dans les pays respectifs. On peut également comprendre ceux qui
choisissent le silence et « l’exil intérieur » face aux politiques répressives des régimes en
place selon l’expression de Pierre Kipré
Les faits sont têtus. Gbagbo est le véritable martyr de la résistance à la « Françafrique » en
Côte d’Ivoire. Aux différents séjours qu’il a passés dans les prisons sous les différents régimes,
s’ajoute sa déportation à la Haye organisée par le régime actuel avec la collusion des
puissances néocoloniales ; l’on se souvient des conditions grotesques et inhumaines de son
transfèrement à la Haye (avril 2011). Aujourd’hui, Gbagbo est libre. Il a été lavé de toutes les
ignominies dont il a été injustement couvert. Le temps n’est-il pas venu d’avoir une vision
objective, moins partiale que celle construite par les médias « françafricains » avec la
complicité des Africains et tous ceux qui y ont un intérêt particulier. Certains opposants et/ou
intellectuels et adversaires politiques imputent injustement à Gbagbo, la crise que le pays
connaît depuis la disparition du premier président de la Côte d’ivoire. Ils font d’énormes efforts
pour s’arracher à leur vraie nature qui est le tribalisme, l’ethnocentrisme, le national
régionalisme et une certaine ignorance des repères du monde dans lequel nous vivons. Il ne
faut pas se tromper de combat. Gbagbo n’est pas le problème de la Côte d’Ivoire. La violence
du verbe et la stratégie du coup de grâce utilisées contre lui par nombre d’entre ceux qui
étaient avec lui hier est inadmissible. Ils mènent par ailleurs, une campagne de dénigrement
sordide portant sur l’âge et la moralité, ce qui est pour ma part, une intrusion dans sa vie
privée. « Nous étouffons parmi les gens qui pensent avoir absolument raison ».
Gbagbo n’a pas abdiqué ni passé de « deal » avec les puissances qui nous soumettent. Ceux qui nous
manipulent à notre insu et/ou avec notre acquiescement coupable sont identifiés et visibles.
Ce n’est pas Gbagbo qui a retenu comme sujet politique, les ambivalences du genre « NordSud ; Akan et les autres » etc. Gbagbo est connu pour sa verve crue, on pourrait même dire
permettez-moi l’expression pour « sa grande gueule ». Il utilise à dessein un langage imagé
pour être compris par tous les Ivoiriens. Il est courageux et pugnace. Quand il veut faire mal,
tel un boxeur, il esquive et frappe avec force. Un tel personnage ne trahit pas. C’est un amateur
de l’échange et du débat politique. Il a parcouru toute la Côte d’Ivoire afin de mieux
l’apprivoiser ; c’est ainsi qu’il s’est ouvert à toutes les différences et les nuances culturelles
possibles de notre pays. C’est un véritable atout. Je ne crois pas à cette idée saugrenue
d’homme providentiel, toutefois pour mener une telle action collective, il faut un porteur de
tison qui puisse éclairer la voie à prendre.
Historien de formation, universitaire, il est témoin de la transformation sociétale de notre jeune
nation en formation. Il sait mieux que quiconque de ses détracteurs toutes les problématiques
d’indépendance et de souveraineté dans notre pays et de l’Afrique en général. Son expérience
d’ancien président de la république lui a conféré la capacité de lecture plus ample et plus juste
des réalités de notre société et des relations internationales. C’est la raison pour laquelle nous
sommes persuadés que Gbagbo est toujours utile à la Côte d’Ivoire et la sous-région. Dans
sa solitude carcérale de la Haye, ses différentes réflexions l’ont convaincu de la continuité du
combat. Il estime qu’il faut partir d’un nouveau paradigme. Soyons lucides et honnêtes. La
société ivoirienne a changé à plusieurs égards. Ce sont ces raisons qui justifient une
identification de ces transformations de société sous un prisme plus exigeant que seuls les
plus avertis, comme lui, en sont capables Il est persuasif et persévérant, nous sommes
convaincus qu’il sortira de cette nouvelle initiative un rassemblement d’hommes et de femmes
véritablement engagés pour la cause nationale.
2P. Kipré in « Le concept de souveraineté en Afrique. » 189, Ed. L’Harmattan 2019
3A. camus cité dans l’article de Nicolas journet, P. 28 in Sciences Humaines numéros spécial, octobre 2021.
Bernard B. Dadié, ne nous mettait-il pas ainsi en garde : « Nous sommes en Afrique, les haines
sont terribles ; on n’aime pas entendre la vérité dès qu’on se nourrit de mensonge et notre
existence quotidienne est faite de mensonge… Attention, notre pays, c’est le silence organisé
et rentable… »
4. Gbagbo est un combattant, un guerrier de la lumière. Il paraît bourru de prime
abord car il a le goût du débat frontal, c’est en même temps pour lui, une façon plus vivante
de maintenir les liens sociaux. L’adage dit qu’il faut laisser le temps au temps. Malgré son âge
et les différentes épreuves de la vie qu’il a endurées, sa fidélité à ses idéaux n’a pas changé.
De son cachot à la Haye, le combattant de la lumière n’a pas eu peur de dénoncer les
injustices, les mascarades d’élections organisées en Afrique francophones sous la houlette de
la « Françafrique ». L’Afrique est prise en otage par les puissances internationales. Elles ne
desserrent pas l’étau. « Faire bouger les choses, s’opposer au diktat, ce n’est pas facile, ce
qui m’arrive en est l’illustration. Nous ne sommes libres qu’en apparence, à l’intérieur de la
cage où l’on nous a mis, nos finances et notre économie sous tutelle, sans poids réel au niveau
international, menacés d’être mis à l’amende si nous n’obéissons pas. » L’auteur de ces
propos est un homme courageux qui n’a pas abdiqué. Pour lui, malgré les tribulations de
l’Histoire, l’Afrique a résisté et continuera de résister. Ses filles et ses fils doivent œuvrer
collectivement afin d’identifier les stratégies gagnantes pour la communauté des citoyens
africains. Les défis qui se dressent devant nous sont nombreux. Ne nous trompons donc pas
d’ennemis.
4
In « Les faux complots d’Houphouët-Boigny ». S. Diarra. Préface de B. Dadié, P. 8 Ed. Karthala 1997.
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