Le putsch en Guinée est totalement regrettable. C’est vrai que le président Condé était un dictateur « style années 70 », bien parti pour une présidence à vie. Tout laisse à penser qu’il n’aurait jamais rendu le pouvoir. Il n’avait pas remporté la dernière présidentielle, et les chiffres concernant le « Oui » à sa réforme constitutionnelle étaient vivement décriés.
Pour autant, il est clair que ce putsch est un retour en arrière pas seulement pour le pays ou la sous-région, mais pour l’Afrique, pour la simple raison que cela peut faire des émules partout sur le continent. Le putsch au Mali voisin y est pour quelque chose. Le Lieutenant-Colonel Doumouya (l’auteur du putsch, le commandant des forces spéciales), s’est senti poussé des ailes par ce qui s’est passé au Mali en 2020. D’ailleurs, son arrestation était prévue. En cause, ses contacts assez ‘’suspects’’ avec Assimi Goita, l’auteur du putsch au Mali voisin. Dans ce pays, les militaires traînent les pieds, et tout porte à croire que la date du 22 Février 2022 arrêtée pour la tenue des élections générales, ne sera pas respectée. Ils seront confortés dans leur démarche par ce qui vient de se passer en Guinée, ils ne se sentiront plus isolés. Vice versa, les nouveaux maîtres de la Guinée Conakry voient en ceux du Mali des alliés naturels. Tout cela nous ramène en arrière.
Ce coup de force est le troisième que connaît la Guinée. En 1984, au décès du président Sékou Touré, le Chef d’Etat major, le Colonel Lansana Conté prend alors facilement le pouvoir. En Décembre 2008, à la mort de ce dernier, le capitaine Dadis Camara s’empare du pouvoir le jour même de l’annonce du décès du président. Les dix-huit derniers mois de la présidence du général Conté ont été marqués trois mutineries. Personne n’est remonté jusqu’à l’instigateur, le capitaine Dadis. C’est donc facilement que l’homme s’est imposé.
Ce troisième putsch est différent des deux autres parce que cette fois, le président a été arrêté, il est donc sur place. Alpha Condé est quelqu’un de déterminé. Contrairement à Ibrahim Boubacar Keita qui, dans la vidéo qui le montrait aux mains des militaires, pleurait à chaudes larmes, le président Condé avait sur le visage un profond mépris, et n’ a pas daigné répondre à la question qui lui avait été posée, preuve qu’il n’éprouvait aucune peur vis à vis des militaire qui le détiennent. Alpha Condé un « dur », et de toute évidence, en l’état actuel des choses, l’histoire n’est pas encore close.
Au Burkina en 2015, lorsque les médiateurs de la cedeao ont pu faire libérer le Président de transition michel Kafando, l’armée avait alors donné « 48 heures » au Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l’ex-garde prétorienne du président Compaoré, pour désarmer et rendre le pouvoir. Ce fut en même temps l’échec du putsch, car le RSP, même en étant l’élite de l’armée burkinabé, ne pouvait soutenir à lui seul un ’’assaut compact’’ des troupes. Un scénario similaire n’est pas à exclure en Guinée, même si les différents chefs d’unités ont fait allégeance au Lieutenant-Colonel Doumouya. Il faut se souvenir qu’au Burkina, ce ne sont pas les chefs de corps, mais bien des officiers subalternes qui étaient à la manœuvre.
Dans l’article intitulé Comment déjouer ou mâter un putsch, ( https://lettrededefense.blogspot.com/2021/08/comment-dejouer-ou-mater-un-putsch.html ), il a été clairement expliqué pourquoi une armée est toujours en capacité de briser un putsch quel qu’il soit. Il faut pour cela que le pouvoir renversé parvienne d’une manière ou d’une autre à s’adresser à l’armée. Car celle-ci ne se battra pas dans le vide, pour un pouvoir déchu, qui n’existe plus. Pour intervenir, l’armée a besoin de savoir que le pouvoir est bel et bien en place. C’est ainsi que les putsch au Burundi en 2015, au Gabon en 2019, et plus récemment au Niger en 2021 ont été matés parce que les autorités en place ont directement intimé à l’armée l’ordre d’intervenir, quand bien même les putschistes avaient annoncé leur renversement dans les médias.
En Guinée, les Dimanche 05 et Lundi 06 Septembre, deux communiqués circulaient. Celui des putschistes sur les réseaux sociaux, et celui du Ministère de la défense, lu à la télé d’Etat. C’est dire que même au Lundi 06 dans la matinée, nous étions toujours dans cette période de flottement et d’incertitude qui accompagne les premiers instants d’un putsch, cette période où l’on ne sait pas de quel côté va basculer l’armée. Pendant ce moment crucial, le temps travaille contre le pouvoir, la fenêtre d’opportunité pour rétablir les choses se referme au fil des heures.
Les putschistes n’étaient pas totalement maîtres de la situation le Lundi 06, même s’ils détenaient le Président. Il appartenait au Ministère guinéen de la défense de mobiliser rapidement quelques troupes de façon visible dans la capitale, en les faisant converger vers la télé pour sécuriser le bâtiment, et en se positionnant vers les points stratégiques de la capitale. Juste cette manoeuvre. La perspective de combats est un élément qui dans la majorité des cas fait toujours reculer des putschistes ou des mutins. Un putsch est en réalité un coup de poker , les meneurs sont une minorité qui avancent dans le vide, faisant le pari que l’armée ne bougera pas, ce qui signifie de facto un ralliement. Ce n’est en rien un évènement fatal. Il échoue si l’armée a la certitude que le pouvoir est bel et bien en place, si une mobilisation est décrétée, ou si les putschistes perçoivent les choses comme telles, s’ils apprennent que des unités sont en train de se mobiliser.
A la vue de ces troupes déployées, aussi surentraînés ou suréquipées que sont les forces spéciales, le colonel Doumouya aurait certainement « temporisé », peut-être même qu’il ne se serait même pas montré, laissant les choses ’’dans le vide’’, comme cela se voit parfois, des mutineries ou des tentatives dont on ne parvient pas à remonter jusqu’au donneur d’ordre. Pour déjouer un putsch, pas le mâter mais le déjouer, c’est-à-dire le faire échouer sans combats, il est absolument nécessaire que les putschistes soient clairement conscients que des combats peuvent être engagés avec le reste de l’armée. C’est seulement dans ce cas, qu’ils vont reculer ou ’’chercher à négocier’’. Ils n’iront pas jusqu’au bout de leur initiative. En Guinée ils n’auraient pas touché un seul cheveu du président Condé. La facilité apparente constatée dans les putsch en Guinée et au Mali a été possible par le fait que les autorités en charge de la défense de ces pays n’ont rien compris en la dynamique du putsch, qui reste soulignons le encore à nouveau, un coup de poker.
Le Lieutenant Colonel Doumouya représente t-il réellement une « chance pour la restauration de la démocratie en Guinée » ? Il faut rappeler que son arrestation était prévue, et l’homme a pris les devants. Ainsi sa motivation première reste non pas la démocratie, mais bien son propre sort qu’il a d’abord cherché à préserver. Sa posture rappelle celle de Dadis Camara, ou même Yaya Jammeh avec beaucoup de paroles pas toujours compréhensibles. Alpha Condé se méfiait de l’armée guinéenne, aussi en 2018 sont créées les forces spéciales, une unité qu’il va particulièrement choyée, qui va recevoir l’essentiel des moyens alloués à l’armée, et qui dans le fond devait être le rempart contre toute sorte de déstabilisation. Ainsi Alpha Condé a mis « tous ses oeufs dans le même panier, » celui des forces spéciales. Et à la fin, celui qui détenait la clé du coffre fort a commis le cambriolage, lorsqu’il sentait son arrestation proche, parce qu’on avait justement deviné ses intentions. C’est quelque chose de classique. Mamady Doumouya : un voyou de plus dans la place ?
Entre Doumouya et Alpha Condé; QUI est le plus VOYOU ?
Le « courageux » contributeur n’a pas osé signer sa tribune. Comme quoi…
A sa place, je m’interrogerais sur cette terrible réalité : comment un voyou comme Doumouya, mû par l’instinct de survie que développe des années de Légion étrangère, peut être préféré par l’opinion guinéenne et africaine à l’opposant historique et président à vie (de facto) de la Guinée ? Plutôt que de vouloir instruire les pires crapules engoncées dans le confort jouissif des fauteuils présidentiels sur l’art de déjouer des putschs, vous devriez plutôt commencer à les éduquer au respect du consensus national contenu dans les Constitutions. Parce qu’un coup d’Etat constitutionnel a pour réponse un coup d’Etat militaire.