L’Afrique, les bandits et le bon Samaritain

Dans leur déclaration finale, les laïcs, prêtres, évêques, religieux et religieuses ayant pris part au premier synode sur l’Afrique (10 avril-8 mai 1994) avaient comparé l’Afrique à l’homme dépouillé, roué de coups et laissé à demi mort par des bandits sur la route entre Jérusalem et Jéricho (Luc 10, 29-37). Cette comparaison sera reprise par Jean-Paul II (‘Ecclesia in Africa’, exhortation apostolique, 14 septembre 1995, n. 41).

Autant les pères synodaux peuvent se féliciter de cette trouvaille, autant on peut leur reprocher de n’avoir pas eu le courage de citer nommément les bandits qui ont mis l’Afrique en piteux état, courage qui “naît d’une lutte contre nos conditionnements et habitudes, d’une plongée dans nos zones d’ombre et surtout d’une confrontation avec nos culpabilités, avec la peur de décevoir, de ne pas être à la hauteur” (cf. Jacques Salomé, ‘Le courage d’être soi’, Paris, Éditions du Relié, 2005). Les participants au premier synode africain savaient tous quel pays occidental agresse l’Afrique dite francophone et fait main basse sur ses richeses depuis 6 décennies au moins. Ils connaissaient le sorcier mais n’avaient pas suffisamment de cran pour prononcer publiquement son nom. Pourquoi ? Parce qu’ils avaient peur que l’Église de ce pays ne ferme le robinet des subsides pour lesquels le “bienfaiteur” n’hésite pas quelquefois à les insulter, à les humilier ou à les faire poireauter.

Ici, nous ne tournerons pas autour du pot, ni ne prendrons de précautions oratoires, pour appeler un chat un chat. Les bandits, pour nous, c’est la France avec tous ses présidents de la Ve République et ses députés qui jamais ne condamnèrent les crimes de leur pays en Afrique, la France de droite, de gauche et du centre, la France catholique et protestante, la France des intellectuels. Cette France n’a eu de cesse de piller et de tuer sans pitié dans ses anciennes colonies. Et pourtant, les Africains avaient volé à son secours et sacrifié leurs vies au moment où elle était occupée et piétinée par l’Allemagne hitlérienne. Cette France ingrate et sans cœur était déjà présente dans la prière de paix du poète qui parlait alors de “ceux qui ont fait des Askia des maquisards, de mes princes des adjudants, de mes domestiques des boys et de mon peuple un peuple de prolétaires…, ceux qui ont donné la chasse à mes enfants comme à des éléphants sauvages et ils les ont dressés à coups de chicotte, et ils ont fait d’eux les mains noires de ceux dont les mains étaient blanches…, ceux qui ont exporté dix millions de mes fils dans les maladreries de leurs navires, qui en ont supprimé deux cents millions…, cette France qui aussi a porté la mort et le canon dans mes villages bleus, qui a dressé les miens les uns contre les autres comme des chiens se disputant un os, qui a traité les résistants de bandits, et craché sur les têtes-aux-vastes-desseins…, cette France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques, qui m’invite à sa table et me dit d’apporter mon pain, qui me donne de la main droite et de la main gauche enlève la moitié…, cette France qui hait les occupants et m’impose l’occupation si gravement, qui ouvre des voies triomphales aux héros et traite ses Sénégalais en mercenaires, faisant d’eux les dogues noirs de l’Empire, qui est la République et livre les pays aux Grands-Concessionnaires et de ma Mésopotamie, de mon Congo, ils ont fait un grand cimetière sous le soleil blanc” (Léopold Sédar Senghor, ‘Hosties noires’, Paris, Seuil, 1948). L’Afrique fut-elle traitée différemment après les indépendances nominales ? Les bandits battirent-ils une seule fois leur coulpe et se gardèrent-ils d’y perpétrer d’autres crimes contre l’humanité ? Non puisqu’il y eut le génocide des Tutsis (1994) pour lequel la France porte des “responsabilités lourdes et accablantes” selon le rapport de 14 historiens français, les tueries de la force Licorne en Côte d’Ivoire (2004 et 2010-2011), les 19 civils maliens tués par Barkhane le 3 janvier 2021. Au lieu de demander pardon et de réparer comme les Allemands le firent le 14 août 2004 pour les Héréros et Namas de Namibie massacrés entre 1904 et 1908, la France veut nous faire croire que tout cela est de notre faute, que nous refusons de reconnaître les “bienfaits” de la colonisation, que nous ne sommes pas assez entrés dans l’Histoire, et patati et patata.

Nous venons de voir le comportement des bandits. Qu’en est-il du bon Samaritain ? “Le Samaritain voit le malheur de cet homme, sa misère, et ses entrailles en sont retournées. Il voit cet homme dans son dépouillement, dans sa faillite, il voit le fond de son être, il voit en lui la vie qui menace de se retirer, il veut la vie pour cet homme, pour tout homme… Il refuse la condamnation. Il ne voit pas d’impureté, car le regard du Christ ne voit que la pureté au fond de l’être, que son innocence lorsqu’un homme est à terre. À la différence du prêtre et du lévite qui ont peur d’être contaminés, le Samaritain, lui, rend pur ce qu’il touche. Il s’approche du blessé. Il vient près de lui”, écrit Anne Lécu, religieuse dominicaine et médecin, dans ‘La Croix’ du 30 mars 2015. Le Samaritain, en plus d’avoir pitié pour l’homme blessé car “la pitié commence et finit avec notre propre moi…, ne produit pas de fruits dans l’action…, finit le plus souvent par un soupir ou un haussement d’épaules” (cardinal Paul Poupard), se montre compatissant en partageant la douleur et les angoisses du malheureux mais aussi et surtout en le conduisant dans une auberge pour qu’il soit soigné. Qui peut faire de même aujourd’hui à l’endroit de l’Afrique ? Qui non seulement en a les moyens mais a déjà manifesté une telle compassion ? Bref, qui est bien placé pour jouer le rôle du bon Samaritain vis-à-vis de cette Afrique continuellement violentée et humiliée ? Pour moi, c’est la Russie. parce que, dans le passé, elle secourut des pays qui étaient occupés ou malmenés (la France en 1944-1945, le Mozambique, l’Angola, la Guinée-Bissau, le Cap-Vert, la Namibie, le Zimbabwe, l’Algérie entre 1950 et 1962, la Syrie à partir du 30 septembre 2015, la République centrafricaine depuis 2017), parce qu’elle n’est ni moralisatrice ni désireuse de contrôler les pays qu’elle aide, parce qu’elle est un partenaire loyal et fidèle contrairement à d’autres qui refusent de respecter les accords militaires signés avec tel ou tel pays africain quand ce pays, attaqué par des voyous, fait appel à eux.

Et, pour conclure, voici une histoire que j’emprunte à Paul Poupard : Un rabbin était avec ses disciples. Au cours de son enseignement, il leur posa la question suivante : “Quand le jour commence-t-il ?” Un disciple répondit : “lorsque le soleil se lève et que ses doux rayons embrasent la terre et la revêtent d’or.” Un autre déclara : “lorsque les oiseaux commencent à chanter en chœur leurs louanges et que la nature elle-même reprend vie après le sommeil de la nuit.” Ces deux réponses ne donnèrent pas satisfaction au rabbin. Les autres disciples, ne sachant pas quoi ajouter, demandèrent au rabbin : “Et toi, quelle est ta réponse ? Selon toi, quand le jour commence-t-il ?” Calmement, le rabbin leur dit : “lorsque vous voyez un étranger dans l’obscurité et que vous reconnaissez en lui votre frère, le jour est né. Si vous ne reconnaissez pas dans l’étranger votre frère ou votre sœur, le soleil peut se lever, les oiseaux peuvent bien chanter, la nature peut bien reprendre vie mais il fait encore nuit, et les ténèbres sont dans ton cœur.” Bien qu’il ne soit pas parfait, Poutine est intervenu aux côtés des Syriens et Centrafricains meurtris, il s’est fait proche d’eux, leur a apporté l’aide de son pays, parce qu’il les a reconnus comme des frères. Le président russe n’est pas dans les discours sur la fraternité, l’égalité, la liberté et la justice qui ne sont pas suivis d’actes. Il ne se contente pas d’avoir pitié des peuples que des bandits font souffrir et qu’ils prétendent aimer. On peut l’accuser ou le soupçonner de tout, sauf de passer son chemin comme le prêtre et le lévite de la parabole, quand des peuples sont opprimés et écrasés. Si j’étais le colonel Assimi Goïta, je m’empresserais d’ouvrir le Mali à cet homme à la fois humain, efficace et puissant.

Jean-Claude DJEREKE

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1 réflexion au sujet de « L’Afrique, les bandits et le bon Samaritain »

  1. Tel un chien chasse par son maitre et qui devient errant, le cher intello
    DJEREKE invite les uns et les autres a se joindre son nouveau combat.
    :: LA RECHERCHE D.UN NOUVEAU MAITRE:
    voila le vrai titre.
    honnêtement, ce que nous attendont tous c,est de voir des intellectuels
    proposer des solutions pour que l,afrique se prenne elle meme en charge
    comme ca se passe en asie oou nous voyons tous le Japon, la Coree du sud,
    la Chine l,Inde ect.. avancer en comptant sur eux memes.
    cette contribution est absolument nulle et indigne ,un soi-disant intello
    qui aime son afrique.
    triste DJEREKE!

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