- »En exil, on peut se laisser aller à tous les marchandages si… »
- »je continue de rêver d’une Côte d’Ivoire souveraine »
- Ce qu’il dit de ses rapports avec Hamed Bakayoko et de Stéphane Kipré
Fabrice Lago, de son vrai nom ou Steve Beko a pris le chemin de l’exil après avril 2011, à la chute de Laurent Gbagbo. Mais très vite il se révèle dans son exil mi doré mi difficile, un talent de cyberactiviste. Il aura marqué son auditoire par la pertinence de ses analyses et de ses vues sur le procès de Laurent Gbagbo. pendant toutes ces années qu’ont duré le procès, il aura été la source d’inspiration pour ne pas dire la source d’information, de consolation aussi de milliers d’internautes qui jurent par Laurent Gbagbo. Steve Beko, cadre de l’Ung, le parti de Stéphane Kipré met fin à son exil et s’apprête à regagner Abidjan où il a déjà pris ses repères durant une semaine. Avant son retour définitif, il s’est prêté aux questions de Connectionivoirienne.net. Il parle du procès de Gbagbo mais évoque la situation politique nationale dans le style et la franchise qu’on lui connaît…
2011 à 2021, 10 ans d’exil. Avec quel sentiment arrivez-vous au bout d’une si longue absence de votre terre natale ?
Le premier sentiment qui me traverse est bien entendu un sentiment de satisfaction. J’ai coutume de dire qu’on peut vous contraindre à l’exil mais ce que vous faites une fois que vous y êtes dépend de vous.
Je suis satisfait parce qu’au plan politique, nous nous étions donné la mission de faire éclater la véracité sur les évènements qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire. Il était important de faire savoir au monde l’annonce du président Gbagbo. Aujourd’hui c’est chose faite et l’audience du 31 mars devrait confirmer la fin du procès. Celui qu’on avait présenté comme un dictateur sanguinaire est maintenant réhabilité aux yeux du monde et c’est une fierté d’avoir apporté ma modeste contribution à cette fin heureuse pour la Côte d’Ivoire et pour l’Afrique.
Au plan strictement personnel, je suis aussi satisfait car j’ai pu continuer mes études et m’insérer professionnellement dans la vie active tout en défendant mes convictions politiques.
Pensez-vous avoir été transformé par l’exil du point de vue des convictions et de l’engagement politiques ?
Transformé ? Certainement car l’exil est un voyage et tout voyage transforme. Mais je pense avoir été transformé en bien. N’oublions pas qu’il y a quelques années, certains ivoiriens sont partis en exil et sont revenus avec des armes pour attaquer la mère patrie. Et donc oui, j’ai été transformé. J’ai muri politiquement. Je suis plus solide dans mes convictions politiques. J’ai une idée claire de ce que je veux que mon pays soit. Avec mon parti, nous avons travaillé durement sur le modèle politique que nous ambitionnons pour le pays.
Maintenant vous décidez de revenir au pays. Cette décision ne fût pas facile à prendre j’imagine. Comment finissez-vous par la prendre ?
Vous savez, durant toutes ces années, je ne me suis jamais considéré comme en voyage mais bien comme en exil. Je savais donc que le moment viendrait où je devrais retourner dans mon pays pour faire de la politique. Même si l’acquittement du président Gbagbo fut le déclic, la décision ne fut pas pour autant aisée à prendre. Revenir en Côte d’Ivoire, c’est abandonner tout ce qu’on a construit toutes ces années. C’est renoncer à la carrière professionnelle qu’on a bâti. C’est tout reprendre quasiment à partir de zéro. C’est chambouler le train de vie de sa petite famille et surtout des enfants qui sont en bas âge. Mais l’amour de son pays étant plus fort, nous allons nous y faire. Et comme vous le savez, je suis parti en exil avec le président de mon parti, le président Stéphane Kipré alors dès lors qu’il me dit qu’on rentre, je me considère en mission.
10 ans après quel est votre plus grand regret et quel enseignement tirez-vous de cette phase de votre vie d’exilé ?
L’enseignement le plus évident est que la persévérance paye et que la loyauté doit être une valeur cardinale en politique. Durant ces 10 années, j’aurais pu me renier politiquement. J’aurais pu abandonner mes convictions politiques et me ranger du côté du pouvoir afin de jouir de ses bienfaits. Ce ne sont pas les propositions qui ont manqué dans ce sens mais je me serais senti mal à l’aise de laisser tomber mon chef dans cette période difficile. Parce que contrairement à ce que certains pourraient penser, l’exil n’est pas une partie de plaisir. Il m’est arrivé de ne pas savoir comment payer mon loyer ou de dormir le ventre creux. Du Ghana en passant par le Maroc avant d’arriver en Europe, j’ai connu les pires difficultés. En général, dans ces moments de doutes, des questionnements naissent sur l’opportunité de continuer un tel combat politique. Ce sont des moments flous et l’on peut se laisser aller à tous les marchandages si l’on n’a pas des convictions solides.
Mon plus grand regret restera de n’avoir pas été là pour dire au revoir à ma grand-mère et ma grande sœur qui nous ont quittés pour l’au-delà pendant que j’étais en exil. J’ai perdu mon père assez tôt et ma grand-mère a été le socle, celle qui m’a poussé à me surpasser pour continuer mes études. Ne pas pouvoir l’accompagner à sa dernière demeure a été une déchirure qui ne s’est pas encore refermée.
Steve Beko, vous vous êtes fait une réputation de cyberactiviste très suivi. Vous avez écrit un livre « comment je suis devenu cyberactiviste « . En deux mots expliquez-nous comment dès le début de l’exil vous vous êtes mis au clavier.
Aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé lire et écrire. Depuis le collège, j’écrivais déjà des manuscrits qui ne sont jamais sortis de ma chambre d’adolescent. Une fois que l’exil s’est imposé à moi et qu’il fallait continuer de défendre mes convictions politiques, j’ai décidé de le faire dans un domaine où les pro-Gbagbo cumulaient beaucoup de lacunes, c’est-à-dire celui de la communication. Puisque tous les médias traditionnels nous étaient fermés, j’ai donc jeté mon dévolu sur les réseaux sociaux qui étaient en plein essor. Et ce choix était bien inspiré puisque maintenant tous les partis politiques se battent pour maitriser cet outil.
Votre activisme était aussi orienté vers la défense du président Gbagbo et au résultat un acquittement. Revendiquez-vous une part dans cette victoire d’étape de Laurent Gbagbo ?
Je ne revendique rien. J’ai agi selon ce que me commandait ma conviction politique. J’ai apporté ma modeste contribution et je suis fier d’être de cette aventure. Mais je ne suis pas du genre à revendiquer des reconnaissances ou des héritages.
Que dire à ces adversaires qui continuent de croire que Gbagbo doit subir un nouveau procès ne comprenant pas pourquoi les tristes événements de la crise postélectorale n’aient finalement pas d’auteur ?
Je suis désolé pour ces gens mais ils ne comprennent rien. Ce n’est pas que les évènements en question n’ont pas d’auteur. Les juges ont estimé que le président Gbagbo n’est pas coupable. Cela signifie que les coupables sont certainement ailleurs. Pas qu’ils n’existent pas. Si l’on doit donc ouvrir un nouveau procès à la CPI relativement à la Côte d’Ivoire, il faut que cette fois-ci, les vrais auteurs soient dans le box des accusés. Et ceux-ci se connaissent et les Ivoiriens les connaissent. Mais est-ce qu’à ce jour, notre pays a encore besoin de tous ces procès interminables. La justice transitionnelle comme celle pratiquée en Afrique du Sud est une option plus sérieuse. Faudrait encore pour cela qu’on reconnaisse tous qu’il y a des plaies à panser.
Alassane Ouattara a quand même tenté cette justice transitionnelle en instituant dès le départ la Commission dialogue vérité et réconciliation Cdvr. Qu’est-ce qui a manqué selon vous ?
Il a manqué la sincérité dans le processus. Vous avez vous même constaté que les conclusions de ce rapport n’ont jamais été publiées. Elles sont restées dans les tiroirs. Le premier ministre Charles Konan Banny s’en est plaint à plusieurs reprises en vain. Donc un processus inachevé ne peut pas produire les résultats escomptés.
Pour vous qui avez minutieusement suivi le procès Gbagbo quelle analyse et quel pronostic faites-vous de ce nouveau rendez-vous du 31 mars date à laquelle la chambre d’appel rend ses conclusions sur la requête du procureur ?
Ma conviction personnelle est que la date du 31 mars va marquer la fin du procès inique intenté contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Il ne saurait en être autrement au vu de l’injustice que ceux-ci ont subi durant toutes ces années.
Steve Beko des élections législatives ont eu lieu le 6 mars dernier auxquelles ont finalement pris part toutes les forces politiques. Les résultats qui en sont sortis et qui donnent la majorité des sièges au Rhdp appellent forcément analyse et commentaire de votre part !
C’était entendu que le parti au pouvoir conserve la majorité. La gauche a été absente pendant une décennie. Son leader naturel a été déporté et ses lieutenants asphyxiés économiquement lorsqu’ils n’étaient pas jetés en prison. On pourrait aussi évoquer une Cei partiale et inféodée au pouvoir, une liste électorale non révisée et des conditions sécuritaires difficiles qui ont eu pour conséquence la faible mobilisation des militants de l’opposition. Alors, oui le pouvoir conserve la majorité mais l’enjeu pour la gauche était de marquer son retour à l’hémicycle et les résultats même s’ils ne sont pas fameux sont encourageants. Après il y a des choix très discutables qui ont été faits quant aux candidatures entraînant des contestations et des multiplications de candidatures indépendantes dispersant ainsi les voix de l’opposition. Dans plusieurs localités, une union de l’opposition lui aurait permis de l’emporter. Il nous appartient de tirer les leçons objectives de ce scrutin afin de mieux préparer les municipales et les régionales qui arrivent
L’opposition a donc bien fait de participer après la désobéissance civile et le rejet du pouvoir Ouattara ?
C’est un choix politique qui peut réunir autant d’arguments pour et contre. Il y a autant d’arguments pour participer que pour boycotter. Malheureusement ou heureusement, c’est selon où on se trouve, la politique n’est pas toujours cartésienne. Tout est souvent question de stratégie. Maintenant que les élections sont terminées, les ivoiriens, je pense, attendent les résultats de cette stratégie. Voyons si les députés de l’opposition réussiront à obtenir des débats importants sur la vie de la nation et plus de clarté et de transparence dans la gestion de notre pays. C’est un défi que l’opposition est obligée de relever sous peine de rendre son message inaudible auprès du peuple.
D’aucuns ont évoqué un discours passéiste, un discours nationaliste, peu mobilisateur parmi les raisons de cette faible moisson. Êtes-vous d’avis que l’opposition, la gauche comme vous l’appelez doit changer son discours et son approche des réalités du moment ? Là, j’interroge le communicateur
Bien sûr qu’il faut du changement et je milite en faveur de celui-ci. On a souvent donné l’impression de subir les événements plutôt que de les impacter. Il faut rafraîchir le personnel politique et le discours. Il faut être plus proche des réalités des populations. Il faut des leaders qui cultivent la proximité avec le peuple. En clair, il nous faut nous réorganiser si nous voulons remporter les batailles à venir.
A son retour quel Psk les ivoiriens vont-ils découvrir après 10 ans d’absence ?
Ils vont découvrir un leader qui a mûri. Quand il partait de la Côte d’Ivoire, il avait une vision pour son pays. Aujourd’hui, il revient avec un projet. Une vision peut avoir un caractère philosophique mais un projet est en phase concrète avec les réalités des populations. Il a eu 10 années pour travailler à ce projet s’inspirant des exemples qui marchent dans les autres pays. Mais c’est aussi un homme d’affaires qui a su se relever après les événements de 2011 ayant abouti à la disparition de ses entreprises en Côte d’Ivoire. C’est aujourd’hui un leader accompli qui est résolument tourné vers l’avenir et ce qu’il peut apporter à son peuple. Ce n’est pas un homme nouveau car il est resté attaché aux valeurs qui ont justifié son entrée en politique mais c’est un homme qui a su se réinventer dans des contextes difficiles et tirer les leçons des crises successives qui secouent notre pays. Son projet pour la Côte d’Ivoire va assurément faire la différence.
Va-t-il redynamiser l’Ung ou va-t-il privilégier le combat du grand ensemble Eds ?
Il est d’abord président de l’union des Nouvelles Générations et c’est en cette qualité qu’il siège au sein de EDS. La logique voudrait donc qu’il donne de la force à son parti politique. Après, il appartient au parti d’analyser la situation socio-politique du pays et d’opérer les choix que ce soit de coalition ou de stratégie politique pour faire aboutir son projet. Les camarades du parti qui sont restés au pays ont été héroïques pour le faire vivre et exister dans un contexte politique très difficile et hostile. Le retour du président du parti va leur donner la force nécessaire pour asseoir encore plus notre implantation et notre notoriété au niveau national.
Certains le vilipendent jusqu’aujourd’hui, d’autres lui trouvent des similitudes à Hambak pour sa générosité. Feu Sangaré l’appelait à juste titre la caisse sociale. Quel est le Stéphane Kipré que vous souhaiterez retenir ?
Je pense que ceux qui le vilipendaient ont fini par se lasser. Je les comprends car ils ont été surpris par sa témérité et sa loyauté au président Gbagbo et à ses idéaux. Ils s’attendaient à ce qu’il quitte le navire et renie ses convictions profondes face aux difficultés de l’exil. Je pense qu’ils ont fini par se rendre a l’évidence qu’ils n’avaient aucune emprise sur son destin. Il a toujours été généreux sans aucun calcul politique. Pendant des années il a été un mécène pour les causes sociales et culturelles sans forcément le clamer sur tous les toits. Stéphane Kipré fait donc du Stéphane Kipré tout simplement.
Comment voyez-vous l’horizon 2025 ? Serez-vous candidat un jour à une élection et où ?
Laissez-moi trouver une maison et déposer mes bagages. On parlera d’ambitions personnelles par la suite.
Vous avez passé plus de temps en France au cours de votre exil. On a envie de vous demander si l’option souverainiste que vous défendez à des chances de succès ici en Côte d’ivoire. En d’autres termes après le long combat de la gauche couronné par la chute de Gbagbo comment entendez-vous envisager les rapports avec la France ?
Que l’on vive en France, en Chine ou sur Mars, l’on a toujours envie de voir son pays affirmer son leadership et préserver sa souveraineté. Ce n’est pas fonction d’où l’on vit. Oui je continue de rêver d’une Côte d’Ivoire souveraine et respectée dans le concert des nations. Et ce rêve est partagé par l’ensemble des ivoiriens. Vous n’allez pas me faire croire qu’il y a des ivoiriens qui rêvent de le voir inféodé à d’autres pays.
Comment avez-vous réagi au décès de Hambak, vous l’exilé ?
C’est une grande perte pour sa famille biologique et politique. Sa disparition brutale en rajoute à la douleur de ceux-ci. Que son âme repose en paix.
Il était la porte du retour des exilés aussi non ? Avez-vous eu personnellement contact avec lui avant votre retour ? Autrement dit, avez-vous négocié votre retour avec lui ?
Je ne saurais vous dire s’il était la porte du retour pour les exilés puisque les exilés ne reviennent pas tous ensemble mais en ce qui me concerne, je n’ai jamais eu à échanger avec lui, ni au téléphone, ni en présentiel. Je n’ai jamais participé à une discussion où il s’agissait de négocier mon retour en Côte d’Ivoire.
Merci Steve
C’est moi qui vous remercie
Par SD à Abidjan
sdebailly@yahoo.fr
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