(Agence Ecofin) – Stanislas Zeze, PDG de l’agence de notation et d’analyses Bloomfield Investment Corporation a répondu aux questions sur la situation des entreprises et des pays en rapport au Covid-19. Il était de passage à Douala, comme principal intervenant de la rencontre Pro Meet-up & Learn. De son point de vue, l’Afrique devrait faire confiance à ses propres méthodes d’évaluation des risques et des impacts. Il est selon lui préférable de construire une convergence africaine face aux nouveaux enjeux du monde
Agence Ecofin : Vous êtes venus au Cameroun pour l’événement Pro Meet-up & Learn, une initiative lancée par des entrepreneurs locaux. Pourquoi, vous qui êtes plus souvent dans l’analyse des profils de risque des pays et des entreprises, avez-vous accepté de participer à cette initiative de partage d’expériences de gestion de crises par les entrepreneurs africains ?
Stanislas Zeze : En réalité je suis un grand partisan des discussions et des échanges entre Africains. Je crois que les solutions en matière de développement et d’émancipation des Africains, va se trouver entre Africains. Donc évidemment ces solutions ne peuvent se trouver que dans des discussions et des échanges de ce type. C’est la raison pour laquelle j’encourage ce genre d’évènement et que j’y suis toujours partant. Lorsqu’ils m’ont sollicité j’ai dit oui et c’est d’ailleurs toujours ma réponse, lorsqu’il y a une opportunité d’avoir des discussions constructives entre Africains, mettre en relief nos problématiques et justement de trouver des solutions. Pour le Cameroun, je dois dire que c’est ma deuxième maison et je suis toujours fier d’y être.
Agence Ecofin : Vous êtes venu partager avec les entrepreneurs locaux ce que vous avez accumulé comme connaissances dans la gestion des entreprises. Quel est le principal message que vous avez porté à ces entrepreneurs et, à travers eux, à tous les entrepreneurs d’Afrique ?
Stanislas Zeze : Le message il est très simple. Déjà nous traversons la crise de Covid-19 qui a démontré certaines faiblesses en terme de résilience de nos économies. Aujourd’hui, il est important de mener une vraie réflexion pour repenser notre modèle économique et même allez plus loin en repensant le modèle politique des Africains et voir comment nous pouvons arriver à un modèle qui nous permette d’être autosuffisants. Je crois qu’aujourd’hui c’est fondamental. L’impact de la crise a été limitée en terme de santé. La fermeture de leurs frontières par les Européens nous a permis de voir jusqu’où on peut aller en Afrique. Aujourd’hui il est important de se demander, quelle est notre capacité, à être résilient à ce genre de gros chocs extérieur. Il faut donc qu’on s’asseye, qu’on discute, qu’on se parle car on doit trouver des solutions. Cela permettra au continent africain d’être mieux préparé à faire face à des situations analogues dans le futur. Ce type de situation surviendra encore dans le futur et la question est de savoir si nous sommes prêts à y faire face. La réponse se trouve dans des échanges constructifs entre Africains, et dans des actions visant à trouver des solutions et les proposer aux politiciens, et d’ailleurs faire en sorte que ceux-ci fasse partie du processus d’élaboration des solutions proposées. Enfin, il faudra trouver des solutions adaptées à la réalité africaine.
Agence Ecofin : Parlant des pays, il faut dire que les agences de notations de dimension globale se sont montrées négatives sur l’Afrique et on parle de près de 60% de baisse des notes dans le monde. Est-ce que chez Bloomfield Investment, dont vous êtes le PDG et qui note aussi des pays et entreprises africaines, vous êtes arrivées aux mêmes conclusions ? Que pensez-vous de cette idée largement partagée selon laquelle l’Afrique est trop risquée et qu’elle doit payer beaucoup plus cher que les autres pays du monde pour emprunter, alors que certains bénéficient de taux nuls, voire négatifs ?
Stanislas Zeze : Le défi avec les agences internationales de notation, c’est qu’elles sont dans une logique visant à être très réactives. On a l’impression qu’elles réagissent par émotion. Nous nous ne fonctionnons pas comme cela justement. Je pense que ces agences ne comprennent pas bien l’environnement africain, et les analyses qui sont faites ne le sont pas dans un contexte africain. Elles sont souvent faites dans un contexte dit global qui est plus occidental. Nous, en Afrique, analysons les situations en fonction de l’évolution des choses et de l’impact réel que peuvent avoir des situations comme cette pandémie, sur les économies africaines et leurs performances, et ensuite nous prenons des décisions. Nous ne prenons pas des décisions à chaud. Les agences de notation internationales ont l’impression qu’il faut qu’elles prennent des décisions à chaud lorsque survient une situation. Au contraire, nous ne réagissons pas par émotion, nous prenons notre temps et analysons, parce que chaque événement de risque n’affecte pas les pays de la même façon. Il s’agit donc de prendre le temps et d’évaluer et c’est ce que nous sommes en train de faire. Nous évaluons la situation pour chaque pays que nous suivons. En fonction de comment la pandémie affecte ces pays, nous prendrons des décisions. C’est une erreur de mon point de vue de prendre des décisions systématiques. En cela que les agences de notation africaines comprennent mieux le continent, car elles peuvent mieux appréhender l’ampleur du choc subit.
Agence Ecofin : Justement parlant d’un marché financier que vous connaissez bien, celui de la BRVM, on s’est rendu compte que les entreprises ont affiché cette résilience. Et si on parle uniquement des banques, on note que malgré une hausse des coûts du risques sur le compte de résultats, ces entreprises financières sont restées rentables. On a vu certaines d’entre elles connaître des croissances à deux chiffres de leurs bénéfices nets. Quel message renvoie cette dynamique selon vous ?
Stanislas Zeze : C’est un message d’espoir qui est très clair. Il dit aux entrepreneurs africains qu’il ne faut pas généraliser le risque. Le risque est contextuel et doit être évalué en fonction de l’environnement. La résilience des banques en Afrique, montre bien, qu’il y a des choses que les Africains font très bien. Maintenant il s’agit de regarder ce qui crée cette résilience et analyser si cela est suffisamment solide et surtout comment est-ce qu’on peut capitaliser dessus. C’est vrai pour les sociétés non-financières, et c’est vrai pour les banques. Cette crise a révélé quelque chose qui est fondamental. C’est qu’il est important que les Africains prennent leur destin en main. C’est quelque chose qui me semble important. Il faudrait que les analyses sur les marchés soient faites par eux-mêmes, de sorte à avoir des analyses qui soient adéquates et pertinentes, parce que comme je l’ai dit déjà, les analyses globales, on a vu ce que cela a donné. C’est donc une opportunité qu’on les pays africains de repenser leur modèle économique et de se dire : « On est dans une situation de grande fragilité, et comment est-ce qu’on renforce notre résilience ? ». Et c’est de cela que nous avons parlé au Cameroun. Il faut bien commencer les discussions quelque part. Les politiciens vont certainement faire leurs propres analyses, le secteur privé fera les siennes. Mais on ne doit pas oublier que le secteur privé est celui qui maintient les pays en vie. Ainsi la réflexion qui en émane est primordiale. On le dit davantage, qu’il est temps que les Africains comprennent la collaboration sud-sud. C’est en cela que des projets comme la ZLECAF (zone de libre échange commerciale africaine) sont importants. Cela permettra d’élargir le marché des Africains, baisser les barrières, qui à mon sens sont inutiles, comme les visas et autres, qui limitent le champ des possibilités des entreprises africaines et des pays africains. Dans cette logique des choses, on pourra voir les pays africains faire facilement des emprunts transfrontaliers, sans passer par des marchés internationaux des capitaux. Les besoins des africains vont ainsi être solutionnés par des décisions locales. C’est en cela que la notation en monnaie locale devient très importante.
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Entretien réalisé par Idriss Linge
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