Retour sur les violences qui ont changé l’image de Daoukro
Plus d’un mois après les évènements qui ont endeuillé notre pays et particulièrement la ville de Daoukro qui fut l’épicentre des violences liées au processus électoral du scrutin présidentiel d’octobre dernier, l’équipe de Connectionivoirienne.net est allée sur les lieux des évènements afin de comprendre comment des communautés qui se sont affrontés hier tentent de recoller les morceaux du tissu social. ? Comprendre ce qui s’est passé avant, pendant et après ces malheureux évènements. Loin toute idée de mettre la main ou de désigner les auteurs des crimes. Des voix plus indiquées ayant déjà annoncé que des enquêtes sont en cour. Nous avons simplement et naturellement cherché à écouter des acteurs clés, des témoins à l’effet de comprendre ce qui s’est réellement passé au point où cette ville jadis paisible où les différentes communautés vivaient en parfaite harmonie est devenue une ville martyr.
Daoukro est le fief de l’ex-président et principal opposant Henri Konan Bédié. Désormais, à la simple évocation du nom de cette ville, c’est l’image horrible de la décapitation du jeune Toussaint qui revient à l’esprit. Finit pour l’heure l’image d’une ville qui dans un passé très récent était une destination prisée des acteurs politiques. Qui ne se souvient de ces nombreux accords et appels politiques finalisés depuis Daoukro ? C’était la belle époque, Le temps de l’amour parfait, de la fraternité, de la bonne entente entre les héritiers d’Houphouët
RETOUR SUR LE LIEU DE LA DECAPITATION DU JEUNE N’GUESSAN TOUSSAINT
Pour rappel, Toussaint N’Guessan Koffi, 34 ans, de l’ethnie locale baoulé, a été tué et décapité lors de ces affrontements. L’image, diffusée sur les réseaux sociaux, d’un de ses bourreaux donnant un coup de pied dans sa tête a choqué tout le pays et provoqué une vague d’indignation. Certaines mauvaises langues avaient même parlé de grossier montage des cyberactivistes à des fins politiques. Un fait inédit dans l’histoire de notre pays. L’image qui avait fait le tour du monde s’est bien passée en Côte d’Ivoire et à Daoukro précisément au ‘‘carrefour 3 pneus’’ dans le quartier Sozoribougou .
A Baoulékro dans le quartier du jeune Toussaint, l’émotion est toujours grande alors que son corps a été porté en terre depuis le samedi 21 novembre dernier. Dans sa famille, les visites de compassion et de réconfort se suivent à longueur de journée face à la tragédie. Son père Kouakou Koffi Edouard que nous trouvons ce mercredi 9 décembre assis au milieu de sa cour et entouré des siens est un homme encore sous le choc, le visage grave, chaque mot prononcé est pesé et est plein de sens. Il s’explique encore difficilement la disparition brusque et atroce de son fils. « Mon fils est parti et ne va plus revenir, c’est déjà arrivé. Ce que je demande aux autorités, c’est de faire en sorte que les enquêtes promises aboutissent afin que je puisse faire définitivement le deuil de mon enfant », déclare-t-il avec un ton et un visage grave avant de lancer un appel aux différentes communautés de Daoukro. « Comme le veut un adage Akan, quelle que soit la gravité d’une faute commise, on finit toujours par se pardonner. Nous vivons ensemble depuis toujours en paix, il faut que cette paix revienne entre nous. Chaque communauté doit travailler à ce que la paix redevienne une réalité, la paix doit revenir à Daoukro » dira-t-il pour finir.
Le jeune Toussaint selon les témoignages de quelques habitants de Baoulékro que nous avons interrogés était décrit comme un jeune sans histoire. Comme les jeunes de son âge, il se battait pour assurer son quotidien et ses deux enfants. Il n’était pas quelqu’un de politiquement marqué. « Nous sommes aujourd’hui encore sans voix. Pourquoi cela est arrivé à Toussaint alors qu’il n’avait rien avoir avec la marche » nous dit Y. Eric qui se présente à nous comme étant un proche de Toussaint. Nos enquêtes nous permettent alors de comprendre que le jour du décès de Toussaint, il n’avait rien à voir avec la marche liée au mot d’ordre de la désobéissance civile lancé par l’opposition. Ce jour-là, Toussaint est allé à moto dans le quartier Sozoribougou pour apporter de la nourriture aux animaux dans la ferme d’un de ses grand-frères. Dans ce quartier, on y trouve une forte communauté Malinké. Il s’y est rendu tôt le matin bien avant le début de la marche. Quant Toussaint finit de nourrir les bêtes, il reprend le chemin du retour. C’est sur son chemin de retour qu’il prend rendez-vous avec la mort. Il tombe dans une embuscade au ‘’carrefour 3 pneus’’ où il a été purement et simplement décapité par ses bourreaux affirment unanimement ceux que nous avons interrogés. Nous avons pu constater les traces de sang de Toussaint encore visibles sur la chaussée du désormais tristement célèbre ‘’carrefour 3 pneus ‘’. Toussaint laisse derrière lui deux enfants et un père inconsolable mais aucunement animé par un sentiment de vengeance.
KEITA MALICK et BROU ELLA ROMUALD respectivement président des jeunes de la communauté malinké et de la communauté baoulé que nous avons pourtant séparément rencontrés ne tiennent pas de témoignages contradictoires. Ils ont pu nous expliquer dans les détails ce qui s’est passé dans leur ville. « Bien avant les élections, M. Traoré Adams Kolia, Président du conseil régional de l’Iffou nous avait réunis au sein d’un comité de veille de 24 membres dont 12 jeunes malinkés et 12 jeunes baoulés pour sensibiliser nos différentes communautés sur le vivre-ensemble. Ce comité de veille avait pour mission entre autres de prôner la paix et d’anticiper sur des éventuelles crises par la sensibilisation en véhiculant les bonnes informations. Ce comité a parfaitement travaillé et a pu circonscrire certaines tensions. Les membres de ce comité étaient des bénévoles soldats de la paix. Ce comité était apolitique et c’était une exigence de M. Traoré Adams Kolia. Nous avons travaillé en bonne intelligence. Quelques jours avant les évènements malheureux, des jeunes de l’opposition nous ont informé qu’ils projetaient organiser un ‘’seeting’’à la place Konan Bédié. Nous avons donc décidé d’être présent pour encadrer le seeting. A notre grande surprise, le seeting s’est transformé en une marche. Nous étions quand-même présents pour encadrer la marche. Tout se passait bien au début mais le nombre des marcheurs devenait important et le comité n’avait plus la maitrise. A un moment donné, nous avons entendu des tirs et c’était la débandade. Les gens couraient dans tous les sens, Il n’y avait pas de force de l’ordre. Nous-même étions obligés de fuir pour sauver notre propre vie. C’est depuis nos cachettes que nous avons appris ce qui est arrivé au jeune Toussaint. Toussaint n’était pas membre du comité de veille encore moins un militant actif d’un quelconque parti politique comme tentent de faire croire certaines langues.
Aujourd’hui, c’est un calme précaire, on tente de recoller les morceaux mais si on y prend garde, tout peut encore basculer. Aujourd’hui, un petit baoulé ne peut pas circuler à une certaine heure dans le quartier des malinkés et vice-versa ». Et de conclure « nous sommes condamnés à vivre ensemble. Que chaque communauté panse ses plaies afin que chacun puisse s’inscrire résolument dans le sens de la paix. Car, sans la paix, il ne peut y avoir de développement ».
Nous n’avons pas pu rencontrer Madame le Préfet de région, Mme Aka Julie pour avoir sa version sur les motifs de la colère des jeunes envers elle le jour des obsèques de Toussaint. Quant au Commandant de Brigade qui nous a reçus, peu bavard parce que n’ayant pas reçu d’autorisation de sa hiérarchie pour parler à la presse, il nous a simplement affirmé que la vie a repris son cours normal sans plus de précisions. Comme on peut le voir, la parole est devenue rare à Daoukro. Tout est devenu sensible à Daoukro. A Daoukro, chacun pèse ses mots, il faut tourner pour l’heure plusieurs fois la langue avant de parler. Il y a de la pédagogie à faire pour briser le mur de la défiance. Chaque acteur doit pleinement jouer sa partition sans calculs politiciens.
Emmanuel de Kouassi depuis Daoukro
Pour connectionivoiriennenet
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