Fernand Dédeh
Le zouglou n’est plus seulement une musique urbaine mais un mode de vie et de pensée. 30 ans que les artistes, peu ou très inspirés, placent devant chaque ivoirien et chaque ivoirienne, devant chaque africain, le miroir pour refléter l’image de ses agissements et souvent de la pourriture de de la société…
Au commencement, un cri de cœur des étudiants. Un condensé en musique des souffrances et revendications des apprenants. Entre grèves et répressions, les jeunes gens ont l’ingénieuse idée de chanter et danser leurs douleurs, leurs conditions de vie. C’est tactique, c’est entraînant, c’est sur fond d’humour et d’ironie et ça passe mieux… Ça capte l’attention.
Le Zouglou nait alors dans les cités universitaires et le porte-étendard est Bilé Didier avec Gboklo Koffi. Certains analystes et historiens de la musique soutiennent que le zouglou est parti des ambiances populaires entretenues lors des matches de football, compétitions OISSU ou matches inter-villages pendant les vacances scolaires. La base du Zouglou est donc le Wôyô, ambiance facile, accapela tambouriné, accompagné de pas de danse, plutôt comiques pour attirer les foules et les regards…
À partir de 1990, le zouglou quitte les cités universitaires et s’installe dans les studios et les grandes salles. Le zouglou envahit la télévision et les médias. Georges Aboké, alors animateur-vedette à la télévision nationale, en fait un projet: accompagner et donner de la visibilité à la musique inspirée par les jeunes de Côte d’Ivoire.
Les titres et cassettes se succèdent et beaucoup connaissent plus ou moins de succès. Mais aussi, une vie de libellule. Au départ, les musiciens, beaucoup, aux voix approximatives, abordent des thèmes qui puisent leurs essences dans les faits de société, dans la vie courante avec une orchestration parfois médiocre. Tout le monde veut faire du zouglou, chanter, passer à la télévision, mais les mélomanes deviennent de plus en plus exigeants et se lassent vite des platitudes servies à longueur de journée.
L’enfant Yodé (c’est les côcôs), Les Salopards et les autres…
En 1995, un groupe de Yopougon apparaît sur le marché. 1995 est une année électorale et les thèmes abordés par ces jeunes qui se font appeler « les salauds de l’Art », les Salopards, sont d’une pertinence brûlante. Mais bien avant l’enfant Yodé aura fait danser les mélomanes ivoiriens au son de son titre mythique « les côcôs ».
Les campagnes électorales sont l’occasion des grandes promesses. « Une fois élus, on n’entend plus rien de tout ça ». Les jeunes donnent matière à réfléchir. Ils parlent d’environnement, de l’école, de « génération sacrifiée », de la politique avec des textes posés, des voix agréables et une base musicale plus travaillée. Le Zouglou prend de nouvelles couleurs, de nouvelles sonorités.
Dans la foulée , un autre groupe, sur le marché aborde les questions pertinentes de la société, les dérives de la jeunesse, Les textes sont bien élaborés et ciblent les femmes. Espoir 2000 parle de la condition de la femme, des rapports sociaux, de la politique, des coups d’Etat, de la gestion publique. Le groupe alerte, conseille, sensibilise.
En 1998, un autre groupe de jeunes, de Gbatanikro dans les faubourgs de Treichville, explose. Yodé et Soro en sont les leaders. Ils mettent en musique la crise diplomatique entre le Ghana et la Côte d’Ivoire née des violences et des morts consécutives au match Ashanti Kotoko-Asec Mimosas. La question est sensible et les artistes ont su l’aborder pour rappeler les liens séculaires entre les deux pays et appeler à la paix.
Le tournant du Zouglou: Magic System
Magic System a donné un autre ton au zouglou au début des années 2000. Le Zouglou, musique urbaine, danse philosophique, quitte les maquis et platine en Côte d’Ivoire pour irradier le monde. Asalfo et ses amis tournent dans le monde entier, apportent de nouvelles influences au Zouglou et l’imposent dans les grandes salles en Europe, à l’Elysée…
Le Zouglou devient ainsi l’arme des jeunes pour parler de leurs vies et conditions de vie, indexer les mauvaises pratiques dans la société, aiguillonner les pouvoirs et décideurs ivoiriens. Les artistes zouglou deviennent les porte-voix des sans voix. Ils le disent eux-mêmes, « Gbê est mieux que draps ».
En réalité, ces trente dernières années, si les autorités et les administrés écoutaient le Zouglou, les paroles des artistes, la Côte d’Ivoire aurait évité les crises vécues. Les créateurs ont tout dit, tout chanté… L’Etoile du Zouglou n’est pas prête de s’éteindre
Pour autant. Tant qu’il y a la vie, il y aura le Zouglou!
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