Des centaines de milliers de Français sont descendus dans la rue ce jeudi. En fin de journée, les débordements étaient limités.
En ce début de soirée [jeudi 5 décembre], retour sur une journée de mobilisation exceptionnelle contre la réforme des retraites. Retrouvez les dernières informations et les grandes annonces de la journée.
«Retraites par points, tous perdants!»: des centaines de milliers de personnes ont défilé dans la rue jeudi partout en France pour protester contre la réforme des retraites, alors que des secteurs entiers d’activité tournaient au ralenti. En fin d’après-midi, on comptait plus de 806.000 manifestants dans toute la France dont 65.000 à Paris, selon le ministère de l’Intérieur. La CGT, elle, annonçait le chiffre de 1,5 million de personnes. À Paris, des incidents ont éclaté en fin d’après-midi en marge d’un cortège particulièrement fourni. Une remorque de chantier a été retournée et incendiée et plusieurs vitrines brisées tandis que les forces de l’ordre essuyaient des jets de projectiles et répliquaient par des tirs de gaz lacrymogène. En fin d’après-midi, la police avait procédé à 88 interpellations. Et quelque 57 personnes avaient été placées en garde à vue à 17 heures Des chiffres très faibles par rapport aux violences engendrées lors des manifestations des «gilets jaunes».
À lire aussi : EN DIRECT – Grève: 1,5 million de manifestants en France selon la CGT, 806.000 selon l’Intérieur
Avec 90 % de TGV et 80 % de TER annulés, les métros et bus bloqués, les écoles fermées, et nombre de fonctionnaires en grève, la France semblait tourner à vide jeudi. À Paris, Lille ou Marseille, les gares étaient désertées, loin du tumulte quotidien habituel. Et en Île-de-France, on ne comptait que 90 km d’embouteillages dans la matinée, contre 300 en temps normal. Usagers, salariés et entreprises avaient pris leurs dispositions. Dans les rues, beaucoup de vélos et de trottinettes.
Cheminots, policiers, avocats, enseignants, pompiers, routiers, personnels hospitaliers, étudiants, retraités étaient largement mobilisés. À leurs côtés, des «gilets jaunes», et 180 intellectuels, dont Thomas Piketty et Ariane Ascaride, dénonçant les «offensives d’un gouvernement néolibéral et autoritaire». Une mobilisation que 68 % des Français estiment «justifiée», selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour Le Figaro et Franceinfo. L’exécutif promet un système «plus lisible» et «plus juste», quand les opposants s’attendent à une «précarisation» des retraités. Dans ce bras de fer, les syndicats jouent gros.
Retraite par points, tous perdants, retraite à 60 ans, tous gagnants, Macron retire ton plan
La manifestation parisienne était encadrée d’un important service d’ordre syndical et de quelque 6000 policiers et gendarmes. «Ça s’annonce bien, c’est une très forte mobilisation dans le public comme dans le privé», s’est réjoui Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, dans le carré de tête du défilé dont la banderole de tête assurait: «Retraite par points, tous perdants, retraite à 60 ans, tous gagnants, Macron retire ton plan».
Sa confédération avait appelé à cette «première journée» de mobilisation avec Force ouvrière, Solidaires, FSU et les organisations lycéennes Fidl, MNL, UNL et étudiante Unef. «On n’a pas vu depuis très, très longtemps une telle adhésion à la mobilisation. Ce qu’on attend maintenant, c’est que le gouvernement prenne la mesure de cette mobilisation, qu’il comprenne que ce système universel est une mauvaise idée», déclare Yves Veyrier, secrétaire général de FO, présent dans le cortège. Roger, 66 ans, militant syndicaliste, nourrit un espoir: «En 1995, j’étais déjà dans la rue. Il avait fallu des semaines pour faire lâcher Juppé. Il faut faire pareil!», lance-t-il, persuadé que «les pensions, ça va baisser, forcément».
À lire aussi : «Régime spécial» de retraite: ces très chers avantages des agents de la RATP
«Le gouvernement a trompé tout le monde, sa réforme affaiblit le régime par répartition», ajoute François Hommeril, patron de la CFE-CGC, qui, fait exceptionnel, était aussi présent dans la manifestation. «On sent une détermination chez les enseignants à continuer si le gouvernement ne répond pas», ajoute Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU. «Au rythme où ça va, je vais partir à la retraite à 70-80 ans, déplore Adrien, 20 ans, dans le cortège. Actuellement je gagne 1105 euros donc ça va me faire une retraite à moins de 500 euros», ajoute ce membre du PCF Jeunes, qui travaille dans la restauration. «On est là pour nos enfants. Aujourd’hui on est de repos, pas en grève bien sûr, car c’est interdit, mais on voulait soutenir nos femmes qui sont enseignantes», expliquent trois policiers présents.
«Chili», «Algérie», «Hongkong»
La foule est très hétérogène. Et dans les rangs des manifestants, beaucoup s’opposent tout simplement à la politique du gouvernement. «Les grandes révolutions naissent des petites misères comme les grands fleuves des petits ruisseaux.» Une phrase de Victor Hugo, que l’on peut lire place de la République, sur une banderole géante accrochée au toit d’un immeuble. «Chili», «Algérie», «Hongkong»: ces lieux secoués ces derniers mois par des révoltes populaires y sont également inscrits, considérés comme inspirants.
Au milieu du boulevard de Magenta, au cœur du cortège syndical, sur fond sonore de lourds pétards, les responsables nationaux du PCF réunis à leur point fixe se réjouissent. À la tête du parti, Fabien Roussel note une mobilisation «dans toutes les provinces de France, mais particulièrement exceptionnelle dans les petites communes et dans les villes moyennes, beaucoup plus en tout cas qu’en 1995». Le député du Nord prévoit une mobilisation «longue». «Mais l’enjeu, dit-il, c’est que ça s’arrête! On ne veut pas que le pays soit bloqué, on veut que le gouvernement retire sa réforme…» Beaucoup plus haut dans le cortège qui n’avancera que très peu au fil de l’après-midi, La France insoumise et le Parti socialiste sont à quelques mètres l’un de l’autre. Leurs rangs ne sont pas très nourris. Beaucoup de militants ont fait le choix de défiler avec les cortèges syndicaux. Le sénateur PS Patrick Kanner et le député LFI Alexis Corbière sont allés se saluer malgré le fossé politique qui les sépare à gauche. «Avec l’opposition à la privatisation d’ADP et les retraites, cela nous fait deux points en commun mais on est quand même loin du Pacs!», ironise le socialiste. Quoi qu’il en soit, l’ambiance du jour n’est pas à la tension entre les formations de gauche. «C’est un mouvement social qui est puissamment soutenu par les gens, quelle que soit leur catégorie socioprofessionnelle, explique le député européen Emmanuel Maurel. Les Français savent qu’ils sont tous perdants avec cette réforme.» Beaucoup de bruit pour rien du côté du Rassemblement national. Alors que les cadres du parti faisaient, depuis plusieurs jours, le tour des plateaux pour affirmer leur soutien aux grévistes, peu d’entre eux ont finalement fait le déplacement, et chacun y est allé de son côté. «Nous n’avons pas formé de cortège RN, ni porté de signe distinctif, parce que nous ne voulions pas faire de récupération politique», assure l’eurodéputé Jean-Lin Lacapelle, qui a manifesté aux côtés de ses anciens collègues du privé. Pas de point de rendez-vous, pour les cadres du RN, par peur, également, de la réaction de la CGT. «Je ne souhaitais pas communiquer mon point de départ, pour des raisons évidentes de sécurité», soutient Gilbert Collard, qui garde en souvenir l’accueil musclé qui avait été réservé à Sébastien Chenu, porte-parole du parti, en 2018 par la CGT. Mais l’absence de forces vives sur le terrain n’empêche pas de communiquer. Et le parti de Marine Le Pen réitère son opposition à la réforme gouvernementale en demandant un référendum contre la réforme des retraites.
Aucune boîte n’est sortie du Grand Port Maritime aujourd’hui et cela va continuer dans les jours à venir
À Marseille, «on retrouve les niveaux des manifestations de 1995», estime Patrick Ruet, le patron des policiers municipaux de la Cité phocéenne, en tête du cortège de FO. Les manifestants sont venus en masse. Toutes les corporations sont représentées avec, parmi les bataillons les plus impressionnants, un fort contingent de dockers et de salariés du port. «Aucune boîte n’est sortie du Grand Port Maritime aujourd’hui et cela va continuer dans les jours à venir», assure Pierre, chasuble jaune des dockers de Fos sur le dos. À ses côtés, un technicien de maintenance confirme que les tankers et autres cargos vont rester à l’ancre un bon bout de temps si le gouvernement impose sa réforme des retraites. Le ton était le même dans les rangs des cheminots et des conducteurs de la RTM (Régie des transports marseillais). La gare Saint-Charles, comme les quais du métro ou les abribus, était déserte tandis que la région, le département, la mairie et d’une manière générale tous les services de l’État tournaient au ralenti. Dans les hôpitaux, les services d’urgence ont poursuivi leur mouvement de grève. Plus surprenant dans le défilé, la présence d’avocats, de chauffeurs de taxi, d’infirmiers et médecins libéraux.
Le député de la France Insoumise était en direct de Marseille pour réagir après cette journée de grève et de manifestations contre la réforme des retraites.
À Nantes, c’est dans un brouillard glaçant qu’un imposant cortège est parti à 11 heures du château des ducs de Bretagne, avec à sa tête une centaine de sapeurs-pompiers. Elle a drainé des participants nantais de tous secteurs, public en tête, et de toutes générations, notamment des jeunes. Les autonomes et les black blocs étaient beaucoup moins visibles – ils ont même été hués par des manifestants – que ces cinq derrières années, de l’opposition à Notre-Dame-des-Landes au mouvement «Justice pour Steve» en passant par les «gilets jaunes». Certains bâtiments de l’université de Nantes ont été un temps occupé le matin, avant le départ des étudiants au défilé. Tout comme… le commissariat central, place Waldeck-Rousseau, bloqué symboliquement par des policiers grévistes dès 6 heures.
«Du jamais vu»
À Nice, à 10 heures, plus de 10.000 manifestants se sont rassemblés place Masséna pour défiler derrière une grande banderole de la CGT floquée du slogan «Non à la retraite à points, on veut une vraie retraite, point!». Quant aux policiers du syndicat Alliance Police Nationale, ils ont appelé à une grève du zèle à la frontière italienne ainsi qu’à l’aéroport, où 20 % des vols ont été supprimés. Résultat: une longue file d’attente de passagers à l’embarquement et, à la frontière avec l’Italie, des automobilistes au ralenti qui se sont vus remettre par les fonctionnaires des timbres-amendes factices et ont dû écouter les doléances des policiers. Leurs représentants syndicaux demandaient au gouvernement de «sortir du flou artistique» au profit de propositions «concrètes» quant à leur régime de retraite.
À Toulouse, 33.000 personnes selon la préfecture et 100.000 selon les syndicats, ont manifesté, en faisant le tour des grands boulevards de 14 heures à 16h30. Le défilé mêlant les salariés du public en grand nombre mais aussi du secteur privé s’est longtemps déroulé dans une ambiance bon enfant. Mais à la fin du parcours peu après 16 heures, un groupe de jeunes a commencé à lancer des projectiles sur les forces de l’ordre dans le quartier Saint-Georges. Des Black Blocs ont ensuite affronté la police dans la rue de Metz, près de la préfecture.
Partout sur le territoire, sept des huit raffineries françaises étaient en grève et «aucun produit ne sort, par pipeline ou par chargement de camion», indique Emmanuel Lépine, secrétaire fédéral CGT Chimie. «Du jamais vu», ajoute-t-il. Tête de file de la mobilisation, les cheminots étaient en grève à 55,6 % en moyenne, selon la direction du groupe ferroviaire, avec 85,7 % des conducteurs et 73,3 % des contrôleurs en grève. On pouvait compter environ 26 % de grévistes dans la fonction publique, selon une source gouvernementale, soit le même étiage que celui de 2010, mais au plus fort de la mobilisation… On est encore loin toutefois du chiffre de 57,7 % de mobilisation atteint en 2003 dans la fonction publique.
Parmi les professions les plus représentées dans les cortèges, les enseignants. Le taux de grévistes était de 51,15 % dans le primaire et de 42,32 % dans le secondaire, selon le ministère de l’Éducation. Comme d’habitude, les chiffres officiels sont inférieurs à ceux communiqués par les syndicats. «70 % des enseignants du primaire sont en grève», affirme Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire. Il y a «75 % de grévistes dans les collèges et les lycées, c’est historique», a aussi déclaré Sophie Vénétitay, du Snes-FSU (premier syndicat du secondaire). Au SE-Unsa, on avance des chiffres assez similaires: «70 % de grévistes dans le premier degré, 66 % dans le second degré», selon Stéphane Crochet, secrétaire général du syndicat. «C’est du jamais vu, selon lui, depuis le printemps 2003» où un projet de décentralisation dans l’Éducation nationale et de réforme des retraites avait fortement mobilisé les enseignants. «On ne peut pas nier que c’est une assez forte mobilisation», a reconnu jeudi matin le ministre Jean-Michel Blanquer. «En 2003, au plus fort de la mobilisation, on a eu 70 % de grévistes dans les collèges, 60 % dans les lycées, rappelle Mme Vénétitay. Mais c’était après plusieurs journées de grève. Donc nous sommes quasiment au niveau de 2003, mais dès le début», dit-elle. La plupart des syndicats avaient appelé les 850.000 enseignants à la grève. Selon eux, la réforme des retraites pourrait pénaliser la profession si elle ne s’accompagne pas de revalorisations salariales.
Par Le Figaro Service politique
Commentaires Facebook