Condamnation des Balkany: La lettre politique de Laurent Joffrin (Dura lex, Libération)

Les Balkany possédaient une villa des îles joliment nommée «Pamplemousse». Il faut la rebaptiser : «Citron vert», ou «orange amère» seraient plus adéquats. Patrick Balkany écope de quatre ans ferme pour fraude fiscale avec mandat de dépôt, son épouse de trois ans sans emprisonnement à l’audience, sans doute pour ménager sa santé, atteinte par ces affaires à répétition. On ne rit plus.

C’est un fait que Patrick Balkany et son épouse ont largement attigé. Outre les faits eux-mêmes, accablants et en partie reconnus par les accusés, c’est aussi leur attitude qui reçoit une sanction abrupte. Cyniques, hâbleurs, impudents, les époux Balkany avaient nargué la justice avec une arrogante faconde propre à indisposer le plus indulgent des magistrats. Leur avocat, usant d’un étrange argument, avait tenté de minimiser les pratiques de ses clients en expliquant qu’elles étaient en France un sport national, ce que les contribuables qui sont assez bêtes pour régler leurs impôts apprécieront. Ils paient cher ces écarts.

On ne s’attardera pas plus sur le couple de Levallois durement sanctionné. Le jugement est surtout un avertissement plus général et, peut-être, un tournant. La justice, de toute évidence, entend montrer qu’elle traitera désormais les contrevenants indépendamment de leur notoriété ou de leur pouvoir. Jérôme Cahuzac, lui aussi convaincu de fraude fiscale (alors qu’il était ministre du Budget et qu’il avait spectaculairement menti à la représentation nationale…), avait été condamné à une peine soigneusement ajustée pour lui éviter l’incarcération. Apparemment, cette époque de relative longanimité prend fin. On peut deviner les serrements de fesses subreptices qui étreignent désormais les augustes séants des puissants en délicatesse avec la justice et dont les procès se tiendront dans les mois et les années qui viennent.

Ce tournant concerne aussi une certaine culture longtemps en vigueur dans la classe politique. Personne au sein de la sarkozie, dont les Balkany étaient un ornement baroque, ne pouvait sérieusement ignorer les bizarreries du train de vie des tonitruants Thénardier de Levallois-Perret. Comme d’autres personnages ensuite rattrapés par la patrouille, ils continuaient de plastronner avec éclat au sein de leur mairie et de leur parti, sans que quiconque, apparemment, ne s’en soit inquiété, ni leurs proches, ni leurs amis ou alliés politiques, ni même celui qui était alors président de la République. Peut-être eussent-ils dû prendre quelques précautions…

Pour être complet, cette tolérance envers ceux qui mordent la ligne était aussi le fait des électeurs, qui fustigent à qui mieux mieux la classe politique prise comme un tout, mais reconduisent imperturbablement leur maire ou leur député, quels que soient ses ennuis judiciaires. Ce civisme affiché, sourcilleux en général et oublieux en particulier, tient plus du poujadisme à géométrie variable que de l’exigence républicaine. Malchanceux (peut-être), les Balkany servent dès lors de symbole pour les citoyens soucieux de rectitude publique. Personne parmi les puissants qui jouent avec la loi n’est plus à l’abri. Le couperet tombe tardivement sur des prévenus plus visibles que d’autres. C’est un jugement sévère. Mais c’est surtout un message à la cantonade.

LAURENT JOFFRIN dans Libération

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