Le possible retour de Laurent Gbagbo en Côte-d’Ivoire pourrait perturber les futures élections présidentielles de 2020. Une chronique de Michel Galy, ami de longue date de l’ex chef de l’État, auquel il rend régulièrement visite, d’abord en prison à la CPI et par la suite en Belgique. Michel Galy est aussi auteur du « Larousse du bricolage ».
Alors que les élections présidentielles d’octobre 2020 se rapprochent, les activités frénétiques des partis et les influences extérieures se croisent, se contrecarrent et se neutralisent dans une vaste partie de poker menteur. La situation est compliquée encore par le probable « come back » à Abidjan de l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, qui est resté très populaire.
Un tel retour qui serait un vrai séisme dépend de la décision du parquet de la Cour Pénale internationale (CPI) de faire appel de sa récente libération. Un nouveau procès face à la Cpi qui prendrait au moins deux ans éliminerait Laurent Gbagbo de la présidentielle de l’an prochain et l’écarterait compte tenu de ses 74 ans, des scrutins ultérieurs.
Le coup d’Etat franco-onusien de 2011
Chaque ivoirien se souvient du lourd prix à payer de la « crise post électorale » voici huit ans. Les milieux conservateurs français et africain n’avaient jamais accepté l’élection du président Laurent Gbagbo. Les tentatives de déstabilisation du régime avaient culminé par le « coup d’Etat franco-onusien » du 11 avril 2011. « On a enlevé Gbagbo pour installer Ouattara », avait résumé élégamment l’auteur du coup de force, Nicolas Sarkozy.
Il est difficile de donner des chiffres définitifs de cette quasi guerre civile. Le bilan est à coup sur très supérieur aux 3000 morts affichés par la doxa erronée des médias et de la propagande gouvernementale. La « commission vérité et réconciliation » de l’ancien Premier ministre Konan Banny, a livré dans son rapport non publié un chiffre de 16000 victimes. La plupart seraient dues aux forces de la rébellion patronnées par Alasssane Ouattara, commandées par Guillaume Soro et organisée par les forces françaises.
Petits arrangements constitutionnels
Le souvenir de ce carnage, notamment à Abidjan, pèse encore sur les esprits et explique l’absence de manifestation par une opposition tétanisée devant les violences potentielles. Paradoxalement, les mouvements de protestation sont le fait des milices du régime Ouattara, qui depuis leur fief de Bouaké ont exigé, avec succès, le paiement de « primes ». Ces groupes armés n’ont jamais cessé de rappeler aux dirigeants la dette due pour une prise du pouvoir obtenue dans le sang. A tel point qu’on pourrait parler d’une« aile militaire » du régime…
Comme dans d’autres « démocratures » africaines, le régime d’Ouattara , avec la complicité d’éminents juristes, a tripatouillé la Constitution. De sorte que l’actuel chef de l’Etat puisse se représenter en 2020.
Pour autant, le président Ouattara convoite-t-il un nouveau mandat ou une sortie par la grande porte? Que cherche-t-il vraiment? Le paysage politique ivoirien singulièrement mouvant, tout en scissions et alliances changeantes, laisse ouverts tous les scénarios.
C’est ainsi que Guillaume Soro, ex président de l’Assemblée Nationale et un des prédateurs du régime, vient de faire sécession. Depuis quelques mois, l’ancien chef de guerre d’Alassane Ouattara qui se tient à l’écart du RHDP (fondé par M. Ouattara sur les décombres du RDR), songe sérieusement à se présenter en 2020. Encore que Guillaume Soro reste sous l’épée de Damoclès de la justice internationale pour ses milliers de victimes civiles (notamment entre 2002 et 2011) et n’a pas encore de parti qui correspondrait à une base politique qui reste encore incertaine.
Issu de la même génération qui a débuté au sein de la FESCI, le puissant syndicat estudiantin, l’ex ministre Charles Blé Goudé – acquitté lui aussi à la CPI, a transformé son mouvement, le Cojep, en parti politique. Jouant habilement de son rôle de cadet et d’ « élève » de Laurent Gbagbo, il serait prêt à se désister et à se positionner pour une candidature ultérieure à la présidentielle.
Parmi les outsiders se livrant à un battage médiatique inversement proportionnel à sa base électorale, on peut citer l’ancien premier ministre Affi n’Guessan, « retourné « par François Hollande en juillet 2014 et qui malgré son rapprochement avec M. Ouattara n’a eu que 9% des voix à la dernière élection législative. Soit un seul siège de député pour lui même.
Laurent Gbagbo, clé du scrutin
Toute la recomposition politique dépend effectivement du retour -ou non, de l’ancien président, renversé en avril 2011 et qui a été acquitté le 15 janvier 2019. Et ce malgré les tentatives de lobbying du régime Ouattara, de ses alliés français et des émissaires marocains infiltrés jusque dans la Cour d’appel de la Cpi. Nul doute que la décision d’appel du procureur Fatou Bensouda se négocie actuellement entre La Haye, Paris et Abidjan (1).
En cas d’acquittement définitif, les grandes manœuvres, déjà bien entamées, vont se poursuivre. D’ores et déja, la brouille entre Henri Konan Bédié , leader du Pdci et Alassane Ouattara, a rebattu les cartes .
Hier, chaque grand parti -le FPI de Laurent Gbagbo, le Pdci d’Henri Konan Bédié, l’ex RDR de Ouattara- contrôlait en gros un tiers de l’électorat. Ces dernières années, la géographie électorale a bien évolué . La ville d’Abidjan, mégalopole de 5 millions d’habitants, est devenue multiethnique. Une alliance Gbagbo -Bédié maîtriserait, au bas mot, les 2/3 de l’électorat. Sans compter les « déçus du ouattaruisme », un invisible tiers parti tenté par un abstentionnisme massif. Alassane Ouattara ne contrôlerait plus qu’entre 15% et 20% de l’électorat. Ce qui correspond aux résultats réels des derniers scrutins, si on ne tient pas compte des trucages massifs.
Le scénario de la fraude
Le régime Ouattara, très minoritaire, sera-t-il tenter de recourir à cette fraude que les ivoiriens appellent avec humour les « technologies électorales ». A savoir la « transhumance » par distributions de cartes d’électeurs aux nordistes et aux sahéliens, les bourrages d’urnes, le trucage des chiffes électoraux….
Face au régime, le mouvement de l’ancien président, le FPI, prône la « réconciliation nationale », sur un mode religieux pour Simone Gbagbo et sur un registre politique pour Laurent Gbagbo et son nouveau secrétaire général, le Dr Assoa Adou. Avec quel contenu ? Assistera-t-on à une amnistie générale ou à la recherche des coupables des massacres de 2011?
L’hypothèse la plus probable est une « justice transitionnelle » à la sud africaine, qui permette une catharsis collective. Pas question de prôner une nouvelle « justice des vainqueurs » ou d’exiler les partisans de Ouattara.
Cette politique d’apaisement cherche à neutraliser la diplomatie française dont il faut obtenir la non intervention dans le processus de transition politique. Il s’agit d’obtenir d’Emmanuel Macron qu’il renonce à toute action militaire, contrairement à ses prédécesseurs, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.
Gbagbo sera-t-il le « Godot » de la célèbre pièce de Samuel Beckett qui n’arrive jamais? En fait, ses chances sont réelles de revenir au pouvoir. A condition de composer avec la puissance des armes.
(1) Le dossier d’accusation de Laurent Gbagbo est vide, de l’avis de la CPI elle même. L’opinion internationale a entendu les 82 témoins de l’accusation disculper les deux prévenus. De sorte que le procès s’est conclu par un acquittement, sans que les témoins de la défense soient entendus!
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