L’Editorial de FOUA Ernest De Saint Sauveur
Ancien président de l’Association des Écrivains de Côte d’Ivoire
Un événement d’une extrême gravité s’est produit, au début du mois de juillet 2018, le 7 juillet exactement, dans la bonne ville de Korhogo, qui requiert que l’on s’y arrête pour son caractère dramatique et antisocial. Cet évènement, c’est l’assassinat de Soro Kognon, à l’arme blanche, par des individus que ses activités devaient fortement hérisser.
En effet, comme on l’a appris, ce drame a eu lieu alors que ce jeune homme, présenté comme un militant du RACI (Réseau des Amis de la Côte d’Ivoire), participait à un rassemblement de cette plateforme dirigée par L’Honorable Kanigui Soro, que l’on dit proche du Chef du Parlement ivoirien, Guillaume Kigbafori Soro.
Un certain nombre de paramètres liés à cet événement, a pesé dans notre choix de lui réserver une réflexion publique, dans l’emballement que la perspective désormais proche de la présidentielle de 2020 imprime, ces derniers temps, à l’actualité socio-politique : le meurtre, froid et presque gratuit, d’un jeune citoyen ivoirien, plein de vie et d’enthousiasme ; la ville de Korhogo, théâtre de ce meurtre ; et les liens, relations et autres connexions que l’on voit esquisser dans l’opinion, et qui ne sont pas dénués d’intérêt ni de sens.
C’est pourquoi, nous allons, dans les lignes qui suivent, analyser ces paramètres, les uns après les autres, dans l’intention de dénoncer une hystérie ambiante que rien ne saurait justifier. Et, parce que cet événement pourrait être le prodrome d’un affreux désastre, nous lancerons, au moment de conclure cette réflexion, une sorte d’appel à la raison et à la sérénité, en direction des différents acteurs politiques et sociaux de la région et, par extension, du pays.
Premier paramètre : le meurtre, à l’arme blanche, du jeune Soro Kognon. Il faut avoir été forgé d’une matière assimilable à une eau d’inhumanité, au sein des Adama Déniou (enfants d’Adam) ; pour, dans un premier temps, concevoir de tuer un être identique à soi, s’emparer d’une arme létale, dans un second temps et sortir de sa demeure, dans un troisième temps, pour aller froidement exécuter sa funeste décision ! C’est d’une bestialité et d’un obscurantisme qui renvoie aux aubes premières et lointaines du proto-humanisme. Mais n’est-ce pas que la Civilisation, depuis ces âges obscurs, nous a projetés très avant dans la raison et le droit, la liberté et la démocratie ? Très avant, dans le culte de l’altérité, afin d’humaniser nos êtres ? Au regard de quoi l’on est stupéfié de constater qu’aujourd’hui, au 21ème siècle, dans un État autoproclamé de droit, moderne, démocratique et tout, il y a des individus qui s’arrogent le droit de dénier à leurs semblables et concitoyens, l’exercice de leurs droits et libertés et même leur droit à la vie !
Le jeune Soro Kognon était membre du RACI. Soit. En quoi cela nuisait-il aux intérêts de ceux qui l’ont tué ? De quelle façon cela entravait-il l’exercice de leurs propres droits individuels et collectifs ? Le fait que ce garçon ait des sympathies pour le RACI, empêchait-il ses tueurs de respirer, d’aller et venir librement, d’exercer leur citoyenneté et d’assumer leur existence d’humains ? Et puis, en quoi la présence même de cette plateforme (le RACI) constitue-t-elle un péril, une catastrophe, pour et à l’intérieur de la cité du patriarche Péléforo Gbon Coulbaly ?
Quel que soit l’angle sous lequel on l’envisage, le caractère absurde et gratuit de ce meurtre reste incontournable. Comme il m’apparaît à moi, tout aussi absurde, incompréhensible et inexplicable, la tendance mortifère et hystérique que, de loin, je vois le peuple sénoufo prendre, ces dernières années. Et cela signe le second paramètre de ma présente réflexion. Comment la ville de Korhogo s’est-elle inscrite dans l’irrespect de la valeur essentielle et capitale qu’est la vie humaine ? Comment le peuple sénoufo que nos pères et mères, tant à l’Ouest qu’au Centre, à l’Est qu’au Sud du pays, nous ont toujours présenté, à nous qui ne sommes pas natifs du Nord, comme un peuple pacifiste, ouvert et hospitalier, s’est-il rabaissé jusqu’aux puanteurs de l’intolérance, de l’incivilité et de la violence ? Or, c’est en m’ancrant dans ce préjugé favorable, que, personnellement, j’ai toujours accordé, à tout Sénoufo avec qui j’ai commerce, le bénéfice de la probité, de l’élévation dans le Môgôya (dignité ou culte de l’humain), du respect de la vie, de la nature et de l’environnement.
Où sont passés ces cultes nobles et ces valeurs essentielles ? Peuple sénoufo, qu’as-tu fait de ton Poro et de ton Tchologo ? Des reliques usagées, décadentes et fades, sans plus d’essence vivifiante ? Dans ces ‘’comment’’ d’incompréhension que je lance, j’espère que l’on entend également de bruyants ‘’pourquoi’’ de dépit ! Oui. Par quel mécanisme ou phénomène, cette mutation involutive s’est-elle opérée, au sein d’un peuple qui, du point de vue du spiritualiste Médard Kouassi – que je partage aussi – est le peuple le plus ouvert à la spiritualité de notre Quadrilatère national ? L’acharnement que ses tueurs ont montré à ôter la vie au jeune Kognon, membre pacifique d’un RACI, lui-même, organisme pacifique, est-il digne d’un peuple qui a érigé, depuis des temps immémoriaux, le Poro et le Tchologo en institutions sacrées d’élévation, de dignité et d’accomplissement de l’homme ?
Ce qui nous conduit au troisième et dernier paramètre de notre réflexion : les liens, relations et connexions que l’opinion esquisse, au sujet de cette affaire. De ce qui s’est dit, ici et là, sur ce triste événement, l’on a entendu que ce drame survenu, le 7 juillet dernier, à Korhogo, serait illustratif d’une guéguerre d’influence et de positionnement, entre deux factions politiques rivales, rattachées, l’une et l’autre, aux deux leaders régionaux que sont : Amadou Gon Coulibaly, Premier Ministre et Chef du Gouvernement, et Guillaume Kigbafori Soro, Président de l’Assemblée Nationale.
Du reste, lorsque les gazettes nous ont appris, il n’y a guère, l’arrestation des assassins de Soro Kognon (les dénommés Sékongo Drissa dit Dey, et Konaté Ismaël), elles nous ont signifié, dans le même élan, que ces sinistres individus avaient des affinités fermes avec le Chef du Gouvernement ivoirien. A qui l’opinion prête des ambitions présidentialistes, à l’échéance de 2020. Et qui, dans cette perspective, est vu par les observateurs comme un rival potentiel de Guillaume Kigbafori Soro.
En reliant ces informations au limogeage, hier, par Amadou Gon Coulibaly, de certains de ses collaborateurs, à la Primature, et de hauts cadres dans l’Administration, reconnus ou suspectés de sympathie pour le RACI, on peut, sinon faire fond sur cette rumeur de rivalité entre leaders régionaux, du moins la prendre au sérieux. Lesdits leaders, pour leur part, n’ont encore nullement laissé transparaître une quelconque animosité, l’un envers l’autre, ni en paroles ni en actes univoques. Mais il est une évidence que, le bellicisme dans lequel les partisans d’Amadou Gon Coulibaly se sont raidis, à l’encontre de leurs frères, sympathisants de Guillaume Kigbafori Soro, s’origine dans ce limogeage auquel nous faisions allusion tantôt.
« Vous ne pouvez pas être à mes côtés (à la Primature) ou sous mes auspices (dans l’Administration), et afficher vos sympathies pour le Chef du Parlement ! » C’est ce que semblait signifier ce dégommage des cadres pro-Soro, hier. En extrapolant, cela peut donner ceci : « Vous ne pouvez pas résider à Korhogo, chez moi, et y tenir des manifestations favorables à Guillaume Soro ! » Le péché du roi étant le péché du peuple, les fidèles du Premier Ministre ont vu, dans leurs frères du clan Soro, des ennemis à éradiquer, à l’intérieur de la Cité du Poro. Ils ont ainsi passé la mesure du simple regard inamical, pour plonger dans la haine meurtrière.
Selon les informations que nous en avons – et qui restituent le drame du 7 juillet –, tout serait parti d’une violation de la liberté d’association et de réunion par les autorités politiques et administratives de la ville de Korhogo, qui ont refusé au RACI un lieu de manifestation. Les membres de cette plateforme se sont alors repliés devant la résidence du Député Soro Kanigui. Et c’est là que des partisans d’Amadou Gon Coulibaly, sont venus agresser la réunion et assassiner le jeune Soro Kognon. Comme pour signifier aux Soroïstes que leurs rassemblements ne sont pas les bienvenus, à Korhogo. Est-ce que, à Ferkessédougou ou dans toute autre ville de Côte d’Ivoire, l’on empêche pareillement les partisans du Premier Ministre de se réunir ? Cette violence et cet anti-républicanisme sont, bien évidemment, inacceptables.
Dans cette triste affaire, il est à relever que les agressés du RACI ne se sont pas lancés dans la contre-violence et les représailles. Car, que ce serait-il passé, s’ils y avaient cédé à leur tour ? Qui aurait tiré profit de l’escalade des fureurs ? La posture pacifiste qu’ils ont adoptée, honore les hommes de L’Honorable Kanigui. En dépit de la cruelle et sauvage agression qu’ils ont subie. En dépit encore du fait que, selon nos sources, le procès des meurtriers du jeune Kognon n’a pas encore été ouvert, et que le corps de la victime est toujours confisqué par la Justice, depuis ce tragique 7 juillet 2018.
C’est le lieu d’inviter les autorités administratives et les politiques de la ville de Korhogo, à la sérénité. Les principes auxquels notre pays a librement souscrit (la démocratie, les libertés fondamentales, l’État de droit, la justice et l’équité pour tous), ne peuvent s’accommoder de ces fébrilités ni de ces fureurs. Non. De surcroît, il faut l’entendre clairement : si Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre et Chef du Gouvernement, et Guillaume Kigbafori Soro, Président de l’Assemblée Nationale, sont aujourd’hui élevés en leaders régionaux, cela n’en fait pas des ennemis irréductibles. Et l’idée que l’un ne saurait prospérer, sans que l’autre ait d’abord été anéanti ou écrasé, est illustrative d’un déficit manifeste de citoyenneté et de militantisme politique.
La contemporanéité dans laquelle ils sont placés, n’est aucunement une malédiction. Ni pour l’un, ni pour l’autre. Encore moins, pour la région du Nord ivoirien et le pays sénoufo. Bien au contraire, il s’agit là d’une grande richesse. Car, quoi, la région du Nord et le peuple sénoufo devraient se désoler et maudire le Ciel de leur avoir donné, dans la même période d’existence, des dirigeants politiques aussi brillants, honorables et généreusement investis dans le service public, qu’Amadou Gon Coulibaly et Guillaume Kigbafori Soro ? Si des gens pensent cela, c’est qu’ils n’entendent pas les pleurs de beaucoup d’autres régions du pays qui se désolent de manquer de cadres de l’envergure et de l’aura de ces deux hommes d’État ; collaborateurs attentifs et appliqués du Président de la République, Alassane Ouattara.
Oui, le leadership régional pourrait les opposer, en faire même des rivaux ! Et alors ? Et s’ils l’étaient et s’investissaient dans cette rivalité potentielle, de façon saine, en l’accompagnant de leurs génies respectifs, leurs intelligences et leurs humanismes, le suprême Môgôya dans lequel a dû les élever le Poro, pour l’un et le Tchologo, pour l’autre ? Les gagnants, dans un tel challenge, ne seraient-ce pas, incontestablement, la région du Nord et ses populations ?
C’est vrai, Amadou Gon Coulibaly et Guillaume Kigbafori Soro ressortent comme les figures tutélaires, politiquement parlant, de deux villes (Korhogo et Ferkessédougou) qui, sans doute du fait de l’histoire de la région, se posent en rivales et revendiquent une suprématie territoriale. Irréfutablement. Mais la rivalité n’est-elle pas le moteur du progrès ? En réalité, la vie, si l’on y réfléchit sérieusement, met en rivalité ou en concurrence les êtres, les États, les sociétés, les races et les civilisations, les peuples et groupements, les espaces, les cités et communautés. Dans le dessein final, d’évaluer et d’établir leurs créativités, leurs génies à refléter, à concevoir et bâtir la beauté, le bien et la positivité, pour le profit de la collectivité.
Dans cette donne, Amadou Gon Coulibaly et Guillaume Kigbafori Soro, chacun dans sa zone urbaine et rurale d’influence, ne pourraient-ils pas rivaliser de générosité, de créativité, d’intelligence et d’humanisme ? Pour faire, ici, de Korhogo et là, de Ferkessédougou, des espaces lumineux, émergents et dynamiques ? Où le bien-être et le bien-vivre, que nos édiles ont toujours promis trompeusement aux populations, d’une commune à l’autre, à travers le pays, seraient des choses concrètes et non des leurres. Et alors, par eux et grâce à eux, Korhogo, d’un côté, pourrait, orgueilleusement, lancer à Ferkessédougou : « Je suis plus lumineuse, plus moderne que toi ! » Ce à quoi, de l’autre côté, Ferkessédougou répliquerait, fièrement : « Que dis-tu de mon dynamisme, de mon rayonnement, de ma salubrité ? » D’ailleurs, qui peut contester le fait que, sous le leadership positif et dynamique de nos deux personnalités, Korhogo et Ferkessédougou ont pris, depuis maintenant une décade, un essor prometteur ?
Il n’y a pas à dire, c’est dans les paramètres du bien-être et du bien-vivre, individuels et collectifs, que devrait se situer une suprématie éventuelle, de l’une de ces villes sur l’autre. Celle que l’opinion du cru attribue à Korhogo, du fait de l’histoire, du prestige et du rayonnement passés du patriarche Péléforo Gon Coulibaly, n’est manifestement plus pertinente, en cette modernité où le progrès, le bien-être et le bien-vivre sont jugés à l’aune du développement économique et humain. Quel bonheur énorme ce serait, si tous nos élus et cadres, qu’ils soient du champ politique ou du champ du privé, entraient dans une telle rivalité, une telle compétition ! Hélas, certaines de ces élites cèdent parfois à leurs ego, qu’elles peinent alors à discipliner, à tremper dans l’eau vive de l’humilité, pour les placer à hauteur humaine ! D’autant qu’à leurs incapacités propres de dépassement et d’élévation, ces élites-là amalgament et associent souvent, sans discernement, les flatteries et attentes de bas étage de leurs suiveurs.
Élevons-nous maintenant au plan national, et réfléchissons posément ! Oui, Amadou Gon Coulibaly et Guillaume Kigbafori Soro pourraient être des candidats rivaux, dans la perspective de la présidentielle de 2020, si ce challenge correspondait à leurs ambitions personnelles. Le premier, on ne l’a encore jamais entendu se prononcer sur la question, et personne ne l’a encore, à ma connaissance, titillé là-dessus. Quant au second, à force d’être interpellé, à ce sujet, par la presse – j’ai même envie de dire, harcelé –, il a fini par lâcher qu’il y réfléchirait plus sérieusement que par le passé.
En tout cas, si l’ambition d’Amadou Gon Coulibaly et celle de Guillaume Kigbafori Soro, pour l’échéance électorale de 2020, coïncidaient, ce serait, à mon avis, une bonne chose pour la région ; et non, une catastrophe. Parce que, pour moi, toutes proportions gardées, cette éventuelle opposition s’inscrirait dans le même schéma du leadership régional, brossé plus haut. Et il suffirait, ici aussi pareillement, que les intéressés conjuguent leurs intelligences et leurs visions, pour œuvrer, la main dans la main, pour le plus grand bénéfice de leur région et du pays. C’est cette démarche, synergétique et heureuse, qui les préserverait, tous les deux, du désastre qu’ils encourraient en s’engageant maladroitement dans un duel fratricide.
Exactement comme s’y sont engagés, désastreusement, lors de la régence de Laurent Gbagbo, ses fidèles lieutenants et compagnons qu’étaient Boga Doudou et Moïse Lida Kouassi. L’histoire est un enseignement, dont on peut retrouver les traces dans les livres. C’est le schéma de cet exemple d’animosité et d’hégémonie fratricide qui finit en tragédie, entre deux leaders régionaux (issus du Loh-Djiboua), que nous relate, entre autres thèmes, le Professeur Koné Abou Bakary Sidick, dans son ouvrage essentiel, L’étrange marche d’une prophétie (Éditions Saint Sauveur, Abidjan, 2014). Un ouvrage à lire, toutes affaires cessantes.
Cette œuvre de l’universitaire et grand chef de la communauté des Limmoudim de Côte d’Ivoire, nous situe sur le sort que leur irréductible antagonisme, sur fond d’ambitions présidentialistes, a valu, tour à tour, à Boga Doudou et à Moïse Lida Kouassi ; les leaders et champions d’alors du pays Dida, sur lesquels Laurent Gbagbo avait cru pouvoir compter pour asseoir sa Refondation. L’état lamentable de la région du Lôh-Djiboua et de ses villes phares de Divo et de Lakota, est par ailleurs édifiant, sur les malheurs auxquels une course calamiteuse à la suprématie régionale et nationale, a confronté ces deux hommes forts du régime frontiste passé. La leçon vaut pour le pays sénoufo, comme pour toutes les régions de Côte d’Ivoire.
Source: guillaumesoro.ci
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