Mireille Patricia Abié
En Côte d’Ivoire, l’orpaillage clandestin est un fléau que l’Etat peine encore à éradiquer en dépit de l’adoption du code minier de 2014. La journaliste Mireille Patricia Abié est allée au contact de ce nouveau Far West. Reportage spécial.
Depuis 2014, un nouveau code minier régit l’exploitation artisanale de l’or en Côte d’Ivoire. Néanmoins, « en 2016, ce sont environ 22 tonnes d’or qui ont été illicitement exportées à partir de la Côte d’Ivoire », expliquait Christine Logbo-Kossi, la directrice exécutive du Groupement professionnel des miniers de Côte d’Ivoire (GPMCI) lors d’un échange avec la presse, le 12 octobre 2017 à Abidjan.
Selon la patronne de cette faitière, « au niveau mondial, les dernières statistiques disent qu’en Côte d’Ivoire, par exemple, lorsqu’on produit 25 tonnes d’or, il faut savoir qu’il y a la même quantité qui sort de façon illégale. Alors, si nous avons produit 25 tonnes d’or, il y a donc aux alentours de 22 tonnes d’or qui ont échappé aux retombées fiscales dans notre économie. C’est une information de l’OCDE qui fait des recoupements avec des pays arabiques, qui déclarent détenir dans leurs coffres ces quantités de minerais et quand elles justifient de l’origine de ces minerais, on peut comprendre donc que ça passe de façon frauduleuse ».
D’ailleurs, selon le ministère de l’Industrie et des Mines, entre 2006 et 2016, l’orpaillage clandestin a fait perdre à l’Etat ivoirien, un montant de 479,22 milliards de F CFA, soit environ 958 millions de dollars.
Un gros manque à gagner également pour les grandes sociétés minières notamment Randgold dont le Président Directeur Général, le Sud-africain Dennis Marc Bristow, s’en est ouvertement plaint en juillet 2017 lors d’une conférence de Presse. « On est confronté à cette difficulté de voir des milliers d’orpailleurs clandestins et illicites sur les sites de Boundiali pour lesquels nous détenons des permis », avait-il déploré, avant d’estimer même qu’« il y a d’évidence une complicité avec des personnes évoluant à un certain niveau de responsabilité ». Des propos qu’il a d’ailleurs réitérés le 28 Avril 2018 toujours face à la presse, en révélant que « la situation ne fait que s’empirer ».
Face à tout ceci, on pourrait donc s’interroger sur les raisons pour lesquelles les mesures gouvernementales ne visent pas à sévir contre l’exploitation minière et l’exportation illégales de l’or. Pour essayer d’y répondre, nous sommes allés à la rencontre des différents acteurs du secteur.
Des baraques de fortunes couvertes de plastique noir à perte de vue avec un sol où cascades de gangues et puits, dont la profondeur avoisine parfois les 70 mètres, se disputent le mètre carré avec une flore totalement détruite par la cyanuration. C’est le triste visage que présente désormais Nouparadougou, village situé 17 Km de Fonondara, à quelques encablures de la ville de Boundiali elle-même située au Nord de la Côte d’Ivoire, à près de 800 Km d’ Abidjan. A Nouparadougou, qui fait partie des sites dont Randgold détient le permis d’exploration, tout vit au rythme de l’orpaillage. Et la zone est réputée dangereuse du fait de la grande insécurité qui y règne. « Ils nous empêchent de travailler. L’environnement est malsain », prévient déjà Michel Senghor, directeur de l’exploration chez Randgold Exploration dont les bureaux sont basés à Korhogo. Qu’à cela ne tienne, nous tentons le déplacement pour aller à la rencontre des orpailleurs. Ce mardi 9 mai 2018, nous arrivons donc à Nouparadougou avec quelques appréhensions. Mais, la présence des deux Dozos (chasseurs traditionnels) et les deux géomètres de Randgold qui nous accompagnent, nous rassure quelque peu.
A Nouparadougou, sous les abris de fortune, les orpailleurs s’activent. Pendant que certains manient la truelle pour faire remonter la terre qui contient certainement le «caillou précieux», les plus jeunes sont chargés du concassage des pierres sorties de terre. Plus loin, un autre groupe est occupé à la cyanuration, sans se soucier du fait que ce mercure manipulé à l’air libre aura des conséquences irréversibles sur la faune et la flore environnantes. Ceux qui sont de corvée de cuisine s’activent, quant à eux, à cuire un mélange de riz et de haricot qui constitue l’essentiel du menu de tout ce camp qui s’étend sur plus de 5 kilomètres. Ici, le travail se fait de jour comme de nuit. Mais pour tous ces hommes couverts de latérite, aucun sacrifice n’est trop grand pour dénicher le métal précieux. Surtout qu’à en croire Konaté Tidiane, géologue à Randgold, notre guide de circonstance, « la probabilité de trouver de l’or est très forte ».
Emportés par la fièvre de l’or, les orpailleurs n’ont pas hésité à casser la digue du barrage du village. Du coup, les paysans n’ont plus d’eau pour irriguer les champs et les vaches ne peuvent plus s’abreuver. L’eau contaminée au mercure s’est d’ailleurs asséchée pour laisser la place à un sol fait de crevasses. Mais à Nouparadougou, il y a aussi de très belles maisons à l’opposé du camp des orpailleurs, qui sont pour la plupart des étrangers venus de la Guinée et du Burkina Faso. «Ici, la majeur partie de la population soutient ces orpailleurs. Avec eux, le cash circule à flot et ils font beaucoup de cadeaux aux villageois. Ils s’installent toujours avec l’aval des chefs de villages, des présidents de jeunesse et de certains cadres de la région à qui ils payent des taxes », révèlent Boréba Ernest et Bléh Guillaume, tous deux géologues séniors à Randgold.
Après ce village, nous mettons le cap sur le camp de Fodio. Situé en pleine forêt à une dizaine de kilomètre de Fonondara, ce camp s’étend aussi sur près de 5 km avec un marché de circonstance où l’on trouve tout le matériel nécessaire pour l’extraction artisanale de l’or (cordes, pelles, truelles, marteaux, enclumes…). Ici, le spectacle est tout aussi désolant. Des dunes de gangues s’étendent sur des kilomètres.
Mais à Fodio, les orpailleurs sont beaucoup plus sympathiques que ceux de Nouparadougou. Nous tentons même de leur arracher quelques mots. « Certains parmi nous réussissent à trouver de l’or dès la première tentative. Mais d’autres, par contre, peuvent passer des mois ici sans dénicher le moindre gramme. Souvent les propriétaires des trous nous payent mal. Mais on fait avec », nous explique Ali. C’est sans doute le cas de ce groupe de jeunes gens, des contractuels certainement, qui nous demandent 500 F CFA pour s’acheter à manger. Plus loin, c’est le comptoir. « C’est sous cet hangar que tout l’or qui sort du sous-sol de Fodio se vend et s’achète », nous explique Dao Diala, Casual à Randgold Exploration. Ce qui justifie certainement la présence, en pleine forêt, de ces grosses cylindrées dont la présence à l’entrée de ce camp nous a quelque peu intrigué. L’autre particularité de Fodio, c’est que ce site avait été déguerpi et damé par Randgold mais, moins d’un an après, ces orpailleurs sont revenus à la charge. Ce qui a emmené Mark Bristow, le PDG de la société à dire qu’ « on a l’impression d’avoir affaire à un système de crime organisé mis en place. Ils (les clandestins) ont l’air d’être protégés ».
Mais comment sommes-nous arrivés à ce phénomène qui mine 60% des permis d’exploitation des sociétés minières ? Quel était l’état des lieux avant l’adoption du code minier de 2014 ?
Une alternative à la crise agricole des années 80…et au chômage
C’est en 1984 que la Côte d’Ivoire formalise la libéralisation de l’exploitation artisanale de diamant et d’or sur toute l’étendue du territoire national afin de permettre aux populations ivoiriennes qui, n’avaient pas forcément l’expertise minière, de trouver une alternative au chômage galopant, consécutif à l’abandon des plantations de café et de cacao, suite à la mévente des produits agricoles. C’est Gnamien Yao, ancien Ministre des Mines qui le dit dans une contribution faite le 1er août 2014.
Toujours selon lui, l’Etat a, dès la fin de la seconde moitié des années 1980, jeté les bases de l’exploitation industrielle de ses ressources minières en général et singulièrement l’or, en octroyant des permis d’exploitation à la Société des Mines d’Ity (SMI) et à la société des Mines de l’Aféma (SOMIAF). En 2014, l’Etat va encore plus loin dans la législation de ce secteur par la mise en place d’un code minier.
Selon les dispositions du code minier de 2014 appuyé par le décret n° 2014-397 du 25 juin de la même année, la Côte d’Ivoire a mis en place une procédure de délivrance des autorisations d’exploitation pour l’orpaillage afin de sortir cette activité de la clandestinité. L’on a donc assisté à une accélération du processus de délivrance d’autorisations d’exploitation pour permettre l’installation d’opérateurs légaux, parallèlement à la fermeture des sites illicites. Et selon une note officielle du gouvernement publiée en 2014 à cet effet, « 49 autorisations d’exploitation pour l’or ont été octroyées, dont 41 pour l’exploitation minière semi-industrielle et huit pour l’exploitation minière artisanale ».
Un phénomène à la peau dure
L’Eldorado ouest-africain : Cartographier le commerce illicite de l’or en Côte d’Ivoire, au Mali et au Burkina Faso. C’est le titre d’une étude publiée en janvier 2017. Dans ce document, Alan Martin et Hélène Helbig de Balza expliquent que l’héritage de la guerre civile en Côte d’Ivoire est l’une des raisons qui continuent d’assombrir la gouvernance de son secteur de l’or. Plusieurs anciens commandants de zone des Forces nouvelles (des forces rebelles) profitent, selon cette étude, de la contrebande et prélèvent des taxes illégales auprès des intermédiaires dans le secteur artisanal de l’or.
En outre, l’activité d’exploitation artisanale clandestine de l’or est une activité très lucrative dans laquelle de nombreux acteurs, intervenant à des niveaux divers et avec des rôles précis, trouvent leur compte au plan financier. La présence des personnes censées lutter contre l’orpaillage clandestin, dans la filière d’exploitation artisanale de l’or, constitue certainement un facteur explicatif de la persistance de cette activité dite illégale. Les autres causes du développement de l’exploitation clandestine de l’or sont la mévente des produits agricoles traditionnels (cacao et café) et l’ignorance des impacts négatifs à moyen et long termes de l’orpaillage sur le milieu biophysique et humain par la plupart des acteurs impliqués dans la filière.
Une autre étude, celle-ci menée en janvier 2016 par le Dr Goh Denis de l’ Institut des Sciences Anthropologiques de Développement (ISAD) à l’Université de Cocody, Abidjan, intitulée «L’exploitation Artisanale De L’or En Côte D’ivoire: La Persistance d’une activité illégale », explique qu’en dépit des discours officiels (qui annoncent des mesures vigoureuses de rationalisation des activités d’orpaillage) et de quelques « opérations coup de poing » pour fermer des sites clandestins d’orpaillage, de nouveaux autres sites se créent et se développent régulièrement en dehors des conditions prévues par le code minier.
Du côté de l’Initiative pour la transparence dans l’industrie extractive (ITIE), on parle aussi de complicités des communautés riveraines. « Souvent ce sont les populations elles-mêmes qui, à l’insu des autorités, autorisent les orpailleurs à exploiter leurs terres. A Angovia, par exemple, (dont le permis est détenu par la société Amara Mining) les villageois font payer une taxe journalière de 100 frs CFA à chaque orpailleur », nous a confié, le 19 Avril 2018, un haut responsable de l’ITIE (qui a voulu gardé l’anonymat).
Quid des solutions ?
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