La nomination d’ un ministre en Côte-d’Ivoire est-elle synonyme de progrès pour sa région ?

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Chaque région de Côte d’Ivoire voudrait voir un de ses fils ou filles assis là où se discutent les questions de développement et se prennent les décisions qui engagent la vie du pays : le Conseil des ministres. Sous les Tropiques, la fonction ministérielle est si bien vue que tout un village, toute une région prend d’assaut le palais présidentiel pour dire merci au chef de l’État pour avoir élevé au rang de ministre un de leurs cadres. Pas mauvais, si les populations placent leur espoir en ce cadre dont elles pensent qu’une fois au gouvernement, il portera leurs problèmes communs sur la table du Conseil des ministres. Manque d’eau potable, routes en mauvais état,. Le hic, c’est lorsqu’une fois assis dans le fauteuil, ce ministre use de sa position pour faire ses propres affaires. Notre travail de journaliste nous met souvent en contact avec des investisseurs et opérateurs économiques. Qui nous disent comment des ministres leur réclament le versement de commissions avant qu’ils leur signent des agréments ou des autorisations à exercer leurs activités. Quelqu’un m’a rapporté la pratique de ce membre du gouvernement que des opérateurs économiques ont fini par surnommer « Monsieur/Madame 10% ». Pas sûr que le ou la concerné(é) ait connaissance de ce sobriquet qui lui colle à la peau. Ce ministre-là subordonnait sa signature au versement de 10% en pot-de-vin de la somme totale que l’investisseur voudrait injecter dans le pays. Faisons un calcul rapide en prenant cet exemple ! Admettons qu’un homme d’affaires canadien veut investir dans le secteur des mines, en Côte d’Ivoire. Il lui faut un permis de recherche minière. C’est le ministre en charge des Mines qui doit introduire la demande de l’investisseur en Conseil des ministres. Ensuite, le chef de l’État signe l’autorisation de prospection minière si la demande est validée. Si l’homme d’affaires compte investir 1 milliard de francs CFA dans les activités de recherche, le ministre lui réclame, pour son propre compte, 10% de ce capital. Soit 100 millions de francs CFA. Voilà comment, en un temps record, on alimente des caisses noires ! Au fait, nos ministres sont riches le temps que dure leurs fonctions. L’exemple de certains, après avoir quitté leurs postes, montre que les milliards amassés facilement ne servent à rien de bon.

Le plus souvent, cet argent est dilapidé dans des choses futiles : organisation de funérailles dans les villages, parrainage d’activités ludiques (tournois de football) portant son propre nom, organisation de journées récréatives (fêtes d’associations de jeunesse, de femmes), don de millions par-ci, remises d’enveloppes par-là, etc. Rarement, un ministre débourse de sa poche les quelques millions de francs nécessaires au financement des travaux d’un forage pour donner de l’eau potable à boire à une localité de quelques habitants. Alors qu’il a les moyens de le faire. Il laisse ce rôle au gouvernement, promettant sans cesse aux habitants que l’État viendra doter leur localité d’un château d’eau. Pendant ce temps, il se bâti une villa de plusieurs pièces. À quoi ça sert d’aller dans son village ou sillonner sa région avec un cortège de dizaines de voitures quand les populations démunies te regardent avec envie ? À lui seul, l’argent du carburant peut acheter des bancs sur lesquels s’assiéront des écoliers pour apprendre. Dans notre pays, les écoles primaires où les élèves s’asseyent à même le sol ne se comptent pas. Être ministre en Côte d’Ivoire, ça s’accompagne de louanges. Et quand on aime les honneurs, on se donne tous les moyens pour rester dans le cocon douillet. L’organisation dans les régions de journées dites d’ « hommage et de soutien aux actions de développement du président de la République » est la grosse trouvaille. Ces manifestations à caractère politique, qui ont jalonné l’année 2017, ont toujours été suscitées et pilotées par des ministres. Ou, au moins, par des directeurs généraux d’établissements publics. Et jamais par des fonctionnaires ordinaires. En réalité, ces évènements ont pour but de montrer à Alassane Ouattara que ses ministres débordent d’amour pour lui. Au point qu’ils mobilisent des populations entières pour sa cause. Ce qui pourrait amener le président à vouloir maintenir ces ministres et directeurs généraux à leurs postes. On ne voit aucun de ces clubs de soutien lorsqu’une crise secoue la République. Moment où le chef de l’État a plus besoin d’union autour de lui. C’est en Côte d’Ivoire qu’on se voit ce paradoxe : tenir des manifestations folkloriques pour remercier le président pour avoir fait le travail pour lequel il a été voté. Le mot « merci » perd son sens. Sinon comment expliquer la célébration d’une journée de soutien au chef de l’État dans une région où ses promesses électorales peinent à se concrétiser, après 8 ans de mandat ? Comment, au 21ème siècle, des populations qui continuent à dormir malgré elles dans des cases peuvent magnifier un président parce qu’il a bitumé des routes ? Dans les pays occidentaux où nos ministres ont étudié, excepté 1 ou 2 de « bas niveau » ayant appris au pays, pareils amusements sont inconcevables. La région de Bounkani et sa pléthore de hauts cadres Tellement ridicule qu’au lendemain de l’hommage rendu au président de la République à Bouna par des populations du District du Zanzan, le site ivoiregnerie a titré : « Hommage à Ouattara pour service non rendu dans le Bounkani ».

Le journal a relevé quelques problèmes dont souffre cette grande région. Notamment dans les secteurs de l’éducation, la santé et de l’administration centrale. Tout autant ridicule cette phrase prononcée par la ministre Kaba Nialé lors de la journée de soutien : « Le Gontougo et le Bounkani n’ont jamais eu autant de cadres promus sous le président Ouattara ». Affirmation reprise par chacun des personnes interrogées. C’est vrai : aucune région administrative du pays que le Bounkani n’a autant de cadres promus. Mais en quoi leur promotion constitue une avancée régionale ? Aucunement ! Leur seul souci, continuer à demeurer à leurs postes et jouir des honneurs qui vont avec. Des ministres, le Zanzan en a toujours eus ! Sous Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, Guéi Robert, Gbagbo Laurent. Même quand qu’ils étaient en fonction, à peine des routes conduisaient aux villages de nos chers ministres. Aujourd’hui encore, les réalités à Bouna, Doropo et Téhini en donnent l’illustration. Sous Alassane Ouattara, malgré le nombre élevé de leurs ressortissants à de hauts niveaux de responsabilité dans l’administration, ces villes peinent à sortir de leur sommeil. Ces personnes, abusivement appelées cadres, pas capables de mutualiser leurs efforts pour se cotiser au moins 200.000 francs CFA chacune pour faire face aux urgences dans leur région. Incapables de financer elles-mêmes la réalisation d’infrastructures de base dans les hameaux, en attendant d’hypothétiques actions de l’État. Mais ces cadres, promptes à s’accorder pour défaire ce qui est lié, opposer entre elles des communautés qui vivent en harmonie depuis toujours dans le Bounkani. Les rivalités entre cadres ont agité la fibre communautaire et identitaire, fin mars 2016. Brisant les liens multiséculaires que les groupes ethniques ont tissés entre eux. Le conflit ayant résulté a fait une trentaine de morts. Sans parler des milliers de déplacés occasionnés. Dans d’autres pays, le temps qu’on passe au gouvernement est si court qu’un ministre a moins de marge de manouvre pour s’ « embourgeoiser ». En France, pays sur lequel la Côte d’Ivoire a calqué son modèle d’organisation politique – à quelques exceptions près -, le Premier ministre et chaque ministre passent en moyenne 2 années au gouvernement. Chez nous, certains totalisent 5 ; 6 ; 7 ; voire 14 ans de présence en Conseil des ministres. Finissant par se prendre pour des demi-dieux, des protégés du dieu lui-même.

Rien de grave ne pourrait donc leur arriver. Ces ministres font ce qu’ils veulent. Ils sont devenus des hommes d’affaires. Disposant des fermes, des boucheries disséminées un peu partout . Dans les régions d’où ils sont originaires, certains se voient tellement incontournables qu’ils se sont donnés des surnoms flatteurs. « Pachyderme du Zanzan » dans le Gontougo, « paratonnerre du Bounkani » à Bouna. Chacun arbore orgueilleusement son appellation inscrite sur un T-shirt. Diantre ! Le pouvoir rend fou à ce point ? En se mettant derrière un éléphant qui marche, on ne peut certes être mouillé par la rosée. Mais le pachyderme écrase tout sur son passage. Aucun arbre ne pousse là où le plus gros animal terrestre pose le pied. Dans le Gontougo, l’éléphant est sur le toit du monde. Tout tourne autour de lui. Tout se ramène à lui. Tant qu’il n’a pas donné l’ordre de mettre sous tension une localité électrifiée depuis des mois, cette localité continuera à voir défiler les nuits noires. Il en est fier. Dans son cocon de privilégié, le pachyderme étouffe les jeunes qui émergent. Il peut faire bloquer les comptes bancaires de l’adversaire qui lui tient tête dans la région. Il piétine les initiatives. Craignant qu’on lui fasse ombrage et que son nom tombe aux oubliettes. Le gros éléphant a peur de n’être plus personne, ne voulant qu’on dise du bien de quelqu’un d’autre. De crainte que sa fierté de « figure régionale » prenne un coup. Vu son rang dans l’appareil étatique, il connaît les services secrets. Attention donc à ceux qui veulent trop le bousculer ! La même hantise s’est emparée du paratonnerre du Bounkani. Ses nuits sont troublées par la montée d’autres personnes dans la région. Telle la foudre qu’il détourne, le paratonnerre explose ses collaborateurs avec qui il a maille à partir. Le délégué départemental du RDR de Bouna gardera pour longtemps en mémoire ce qui s’est passé durant les dernières Législatives. Incompréhensiblement, des jeunes du Zanzan sont épris de sympathie pour ces égoïstes. Liant leur destin au sort de ces types. Les applaudissant, les remerciant à longueur de journée. On ne sait pourquoi. Ministres et directeurs généraux qui n’ont jamais aidé un seul jeune de Gontougo et de Bounkani à sortir de sa condition de désouvré en lui donnant les moyens d’être éleveur de volaille. Au moins.

OSSÈNE OUATTARA

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