Côte-d’Ivoire: Le journaliste et blogueur André Sylvère Konan à cœur ouvert (interview 1ere partie)

Par Connectionivoirienne

« Si en Afrique, les peuples essayaient d’être plus exigeants envers leurs dirigeants au lieu de chanter leurs louanges, pour une maternité… »

• « Je n’ai pas changé… »
• « Je ne défends pas des hommes mais des principes »
• « Rhdp, attention à Mabri ! »

Journaliste, souvent adulé, des fois méprisé mais toujours critique, insaisissable aussi, André Sylvère Konan animateur de son propre blog (80 mille abonnés), fait son trou. Devenu célèbre par ses critiques et prises de position, celui qui a commencé ses premiers pas dans le journalisme au Nouveau Réveil avant d’être recruté par Jeune Afrique, est aussi un analyste politique. Dans cette interview, il éclaire sur sa personnalité et décline sa vision de la société

Comment vous définissez-vous et quel idéal poursuivez-vous André Sylvère Konan ?

Je ne saurais me définir. Je ne défends pas de cause, je suis juste porté sur la défense de principes et de valeurs. Et quand on s’inscrit dans ce registre, il est autant clair qu’on ne peut pas être adulé tout le temps par ceux qui ont des principes et des valeurs à géométrie variable et méprisé par ceux qui font de la défense de ces valeurs, un modèle de vie. Je ne défends pas les hommes, sauf quand ils sont victimes d’injustice (cela relève de principe), je défends les principes qu’ils défendent ou qu’ils froissent. J’ai une ligne bien claire et j’admets que cette ligne est difficile à cerner par ceux qui ont des lignes de conduite fondées sur la défense de leurs leaders. L’une des causes du retard sur le développement de l’Afrique réside dans ce paradigme : la défense des principes et des valeurs, et non la défense des hommes politiques quand bien même ceux-ci ne seraient pas porteurs de valeurs ou pas assez.

Vous insistez beaucoup sur les mots  »valeurs » et  »principes ». Quels valeurs et principes défendez-vous vraiment ?

Par exemple, quand je prends une position relative au barrage de Soubré qu’on a voulu présenter comme le plus grand barrage d’Afrique de l’ouest qui aurait fait entrer le président Alassane Ouattara, dans l’histoire, je ne regarde pas les individus, je regarde les valeurs et les principes. Valeur d’excellence : en quoi un barrage de 275 MW est-il assez grand pour faire entrer une personne dans l’histoire, surtout que des centrales en Côte d’Ivoire produisent plus de deux fois, la même énergie ? Principe de vérité : si le barrage d’Akosombo au Ghana produit plus de 1000 MW, comment peut-on déclarer que celui de Soubré est le plus grand d’Afrique de l’Ouest ? C’est ce que j’appelle l’art de se contenter de peu. Si en Afrique, les peuples essayaient d’être plus exigeants envers leurs dirigeants (principe même de la démocratie, le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple) au lieu de mettre une bâche et chanter leurs louanges, pour une maternité à la construction douteuse ; de nombreux pays africains seraient depuis longtemps sortis du giron du sous-développement. J’ai pris un seul exemple récent, on peut multiplier les exemples en fonction des positions que j’ai prises. Elles ont toujours été guidées par des valeurs et des principes, jamais par la défense des hommes.

ASK n’est donc pas l’homme d’un camp, le Rhdp en l’occurrence comme semble le croire une certaine opinion ?

Les œuvres et les actions parlent plus que les rumeurs et les négations des gens. Je lis beaucoup de choses, je les déments rarement parce que je n’ai pas trop le temps à consacrer aux démentis. Le problème est simple. Pour certains Ivoiriens, soit on est pro-Gbagbo, soit on est RHDP. Ce sont les mêmes qui hier, quand on émettait une critique à l’encontre de Gbagbo vous traitaient automatiquement de pro-rebelles. Mais je n’ai pas changé. Je suis sans doute l’un des rares qui, ayant critiqué les mauvaises actions du pouvoir Gbagbo hier, continue de critiquer les mauvaises actions du pouvoir Ouattara-Bédié aujourd’hui. Et quand bien même certains laudateurs du camp présidentiel me traitent de pro-FPI, cela me glisse sur la peau, parce que je continue de critiquer les mauvaises actions du FPI, comme je critiquais hier les mauvaises actions des opposants à Gbagbo. Mes prises de position dénuées de parti pris témoignent de ce que j’affirme. Je n’ai jamais pris une position sur la base de la tribu ou du parti. Et cela me met à l’aise pour intervenir sur des sujets sensibles comme le conflit communautaire du Goin-Débé. Tout tourne autour des valeurs et des principes, je suis carrément focus là-dessus.

N’est-ce pas cette façon de n’être l’homme de personne, l’homme d’un camp qui vous a valu votre départ de la primature où vous occupiez tout de même un important poste à la communication ? Le regrettez-vous ?

Je ne regrette rien. Le jour où j’ai renoncé à ma carrière internationale pour venir occuper un poste technique à la Primature, j’étais préparé à en partir. Il est tout à fait normal qu’un premier ministre vienne avec son équipe, c’est un principe de gouvernance qu’il faut accepter. Et quand on critique ceux qui s’accrochent au pouvoir, on ne peut quand même pas se lamenter d’avoir perdu un poste technique. Notez que malgré ma présence à la Primature, mes positions de principes et mes critiques vis-à-vis du pouvoir n’avaient pas changé. En tout cas, mon passage à la Primature a été une expérience enrichissante pour moi. J’ai fait des études en communication sanctionnées par un master et une formation en communication politique au CFJP de Paris, il fallait bien que je fasse un stage de haut niveau pour me frotter au terrain de la Comm non ? (rires).

Mais est-ce que ASK en lui-même n’est pas un homme difficile en ces principes et valeurs ? Je pose la question parce que votre départ du nouveau réveil ne s’est pas fait à l’amiable, de ce que nous savons !

Vous avez été mal informé sur mon départ du Nouveau Réveil. Comment cela s’est-il fait ? De la façon la plus simple possible. Je vois une annonce dans Jeune Afrique qui recherchait un spécialiste des grands genres et connaisseur des pays d’Afrique de l’Ouest. Il se trouve que j’avais eu un prix en journalisme d’investigation, que j’avais fait plusieurs grands dossiers et dévoilé plusieurs affaires dont le scandale des déchets toxiques. En plus j’avais fait plusieurs reportages sensibles (élections présidentielles, manifestations sociales) au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, etc. Je postule et je suis choisi. Je suis allé gentiment remercier le patron du Nouveau Réveil, Denis Kah Zion, pour m’avoir donné ma chance, alors que j’étais encore à l’université (quand j’entrais dans la boîte, j’étais inscrit en licence) et j’ai souhaité avoir sa bénédiction pour le nouveau challenge. Il m’a accordé sa bénédiction et j’ai pris mon avion pour Paris. Bien sûr, dans le fonctionnement d’une rédaction, il peut arriver et cela est tout à fait normal, qu’il y ait des différences de vues entre un directeur général et son directeur de publication ou entre un rédacteur en chef et son chef de service, mais cela n’enlève en rien la qualité des rapports entre les individus. Ce que je sais, c’est qu’au Nouveau Réveil, j’étais souvent incompris parce que j’adoptais une position critique vis-à-vis du PDCI, or le journal est plutôt proche de Bédié. Sinon Kah Zion est une personne que je continue de respecter et à qui je reste redevable parce qu’il m’a donné ma chance.

André Sylver Konan, en qualité d’analyste, quel regard prospectif jetez-vous sur le paysage politique ivoirien. L’hégémonie actuelle du Rhdp peut-elle s’effriter en faveur de nouvelles forces politiques ?

Le RHDP ne va pas mourir, mais je pense que sa mise en place ne se fera pas comme l’espère Alassane Ouattara. Le problème se trouve davantage au niveau du PDCI que du RDR. Le PDCI, c’est quand même une histoire de plus de 71 ans. Elle ne s’efface pas du jour au lendemain. A mon avis, les nostalgiques de l’acronyme du PDCI et ils sont nombreux, n’accepteront d’aller au parti unifié qu’à deux conditions. Un : que les autres partis de l’alliance fassent une sorte de fusion-absorption au sein du PDCI. Deux : que le futur parti unifié s’appelle PDCI ou à un degré plus acceptable PDCI-RDR. En dehors de ces deux cas, je ne vois pas ce parti aller à un congrès et valider le projet d’une cessation d’activités au profit d’un futur parti unifié. De même, au sein du RHDP, personne ne fait attention, mais il y a l’équation Albert Toikeusse Mabri. Ce dernier, depuis sa sortie du gouvernement, marque son territoire de l’ouest, avec méthode. Il a regagné en popularité dans l’ouest montagneux et il est clair que d’ici 2020, il aura conquis d’autres territoires. N’oubliez pas que ses candidats ont gagné aux législatives de Dimbokro et de Divo. Mabri n’acceptera pas d’être relégué au second plan, comme Bédié et Ouattara l’ont fait jusque-là quand il s’agit de l’UDPCI, du MFA, de l’UPCI et du PIT. Je pense qu’il jouera le jeu du Comité de haut niveau jusqu’à ce qu’il prenne ses responsabilités. Au RDR, à part Guillaume Soro qui continue son examen de conscience sur le fait de rester dans les rangs ou non, il sera difficile de trouver des gens pour s’opposer à Ouattara. A mon avis, le parti unifié devrait être, en définitive, une sorte de fédération de partis qui pourrait être présidé par Daniel Kablan Duncan (candidat préféré de Ouattara, sans être sûr qu’il soit le préféré de Bédié) et secondé par Amadou Gon Coulibaly (« vice » candidat préféré de Ouattara à qui Bédié préférerait Soro). Cette organisation aurait le mérite d’exister à la tête, mais elle sera sans véritable base. Je le répète : la partie est encore loin d’être gagnée.

Par S. Debailly
sdebailly@yahoo.fr