Pourquoi les avocats de la défense se sont retirés ?
La session 2017 de la Cour d’assises d’Abidjan s’est ouverte lundi 18 décembre 2017 avec le procès de Hubert Oulaye, longtemps ministre de la Fonction publique sous Laurent Gbagbo. La Cour d’assises juge les faits de crime et tient sa session une fois par an. Hubert Oulaye comparaît avec son co-accusé Djiré Maurice qui a déjà passé 5 ans en détention pour complicité d’assassinat.
Selon l’ordonnance de renvoi lue devant la cour à l’ouverture de l’audience, le ministre aurait engagé sa responsabilité dans le meurtre de 7 casques bleus onusiens en finançant via des intermédiaires, l’attaque qui a emporté ces soldats en même temps que 8 civils en juin 2012 dans la région de Guiglo, près de Taï. Le financement fourni par Oulaye s’élèverait selon la même ordonnance à 2 millions de FCFA qui auraient servi à acheter les armes de l’opération.
Rappelons qu’au moment des faits, Hubert Oulaye qui est originaire de Guiglo, était en exil au Ghana. Il est rentré en Côte d’Ivoire en 2015, suite à un accord entre le gouvernement et le Fpi alors dirigé par Pascal Affi N’guessan avant sa division en deux tendances rivales. Il a vécu paisiblement dans sa résidence de Cocody jusqu’au 5 mai 2015, jour de son arrestation.
Les débats devant la cour se sont crispés mardi, au deuxième jour du jugement autour d’une note de synthèse du parquet contenant les charges. Cette note de synthèse cite en référence un procès-verbal d’audition des témoins Mobi Chapi et Moses, deux présumés libériens qui auraient été arrêtés après l’attaque. Un PV qui aurait été établi par la DST en 2012.
Si pour le parquet, la note de synthèse de la DST suffit et crédibilise les charges, pour les avocats de la défense, accepter un tel document serait se faire hara-kiri. Face au juge, Me Dadjé a donc contre-attaqué pour exiger l’original du PV qui incrimine son client. Il soutient mordicus que généralement, les PV établis par la DST sont ‘’mensongers’’ et ‘’travestissent les propos’’ des auditionnés. Il étaye ses dires par sa propre expérience quand il fut arrêté en 2012 dès son retour d’exil.
« On n’a aucune audition de libériens. On demande les documents prévus par la loi et non un document de synthèse. Sinon, nous aussi on peut faire notre propre synthèse et présenter ça ici. On veut les documents d’audition. Sans ces documents, je me retire de ce procès », a objecté l’avocat.
A ce niveau du débat, le procureur prend la parole et demande au juge de ‘’ne pas accepter le chantage’’ de la défense. Face au jeu de ping-pong, le juge suspend la séance pour une délibération. A la reprise, la cour estime que le procès peut se poursuivre avec la note de synthèse. Les avocats de la défense mettent alors leur menace à exécution et claquent la porte, estimant que le procès n’est pas équitable.
Une vieille stratégie qui a payé
Le retrait des avocats remet totalement à plat la procédure débutée lundi. Ce procès pénal ne peut se poursuivre en l’absence d’une des parties, la défense en l’occurrence. Pour y remédier, une nouvelle équipe doit se constituer, à défaut, des avocats vont être commis d’office après consultation du bâtonnier. Et en l’état actuel des choses, rien ne présage du retour de Me Dadjé et de ses pairs au prétoire. Cette stratégie est un remake de ce qui s’était passé au procès de Simone Gbagbo devant la Cour d’assise en 2016 où il avait été acquittée de crimes contre l’humanité. La suite de son procès s’était déroulée en l’absence de Me Dadjé qui avait été remplacé par des avocats qui ne connaissaient rien du dossier.
L’ombre d’Affi plane encore
S’il est pour l’instant bloqué, le procès Hubert Oulaye vient remuer le couteau dans la plaie des antagonismes au Fpi. L’ancien ministre, lors de son audition a estimé que son arrestation n’avait rien à voir avec des faits de crimes. Il fallait en rechercher les causes, selon lui, dans les querelles intestines pour le contrôle du Fpi. « Je vais vous dire pourquoi j’ai été arrêté », tempère-t-il après plus d’une heure d’explication. Il accuse une lettre d’Affi N’guessan qui lui fut adressée en sa qualité de président du comité de contrôle du Fpi, un organe chargé de réguler la vie du parti. Dans ce courrier dont copie a été remise à la presse, Affi N’guessan s’élevait contre l’organisation du congrès du Fpi alors que la justice ivoirienne s’en était saisie et que des décisions étaient même déjà prononcées. Pour Hubert Oulaye le fait que l’auteur du courrier ait fait ampliation au ministre de l’Intérieur et au procureur de la République vaut une invite à son arrestation, rien de plus. Ce courrier date du 16 avril 2015.
Affi a-t-il prêté le flanc ?
En pleine bataille pour le contrôle du parti, chaque partie avait sa stratégie et tous les coups étaient permis. Affi avait décidé de s’adosser au droit quand le camp Sangaré s’arc-boutait sur les textes du parti qu’il interprétait à sa guise. Ici, l’acte d’ampliation au ministre de l’Intérieur chargé du maintien de l’ordre public et au procureur, l’instrument répressif de l’Etat ne pouvait qu’être fatal à Hubert Oulaye dans le contexte du moment. Aujourd’hui, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts mais le ministre Oulaye qui veut en découdre coûte que coûte, avec le rival Affi, ouvre une porte déjà enfoncée en accusant le président contesté d’être le principal instigateur de son arrestation. Il n’en fallait pas plus pour réveiller les pro-Gbagbo qui feignaient d’oublier ce débat en faveur de celui de l’unité de leur parti. C’est que, toute la crispation et les frustrations se concentrent en la seule évocation du nom Affi qui aurait manœuvré, accuse-t-on, pour faire arrêter ses camarades. Là où les pro-Affi tentent de justifier que c’est plutôt au ‘’régime liberticide’’ de Ouattara qu’il faut s’en prendre.
C’est tout le sens de la déclaration produite le 20 décembre 2017 par la secrétaire générale Agnès Monnet. « Les accusations portées contre M. Hubert Oulaye par la justice ivoirienne sont claires et à aucun moment, le Président du Front Populaire Ivoirien (FPI) et le « congrès » de Mama n’ont été cités par les magistrats. Il est donc vain de vouloir créer un lien entre le procès dans lequel M. Oulaye est impliqué et une bataille interne pour le contrôle du parti. Comment comprendre la ligne de défense de M. Oulaye et sa volonté de chercher, coûte que coûte, à impliquer M. Affi N’Guessan dans ses démêlés avec la justice alors que M. Ouattara, son régime et sa justice qui le poursuivent sont là, connus de tous et de lui-même. Est-ce par peur, par lâcheté ou par volonté de nuire qu’il préfère trouver chez le Président du FPI, le bouc-émissaire idéal au lieu de s’attaquer au régime liberticide de M. Alassane Ouattara ? », tente-t-elle de convaincre.
Qui a tué les casques bleus ?
La question centrale du procès est celle-là. Le pouvoir tente-t-il de brouiller des pistes par bouc-émissaire interposé ? La volonté de transparence aurait, pourtant, incliné le juge d’instruction à verser toutes les pièces au dossier au lieu de les éluder en prenant ce qui l’arrange pour incriminer l’accusé. Qu’ont vraiment dit les témoins qui du reste sont absents au procès ? Dire de façon péremptoire que M. Oulaye a donné de l’argent pour acheter des armes suffit-il à conforter la thèse qu’il a contribué à l’assassinat des soldats ? Il aurait fallu confronter accusé et témoins. Où sont passés les témoins et les PV d’audition de la DST qui évoque désormais une note de synthèse qui n’est qu’un simple résumé de documents ? Ces questions sont à éclairer pour la manifestation de la vérité. Et on attend beaucoup de ce procès. Ce, d’autant plus qu’au moment des faits, la région ouest du pays était totalement sous contrôle du pouvoir avec une forte présence de soldats de l’Onuci, des français de la Licorne, les Frci et les troupes d’Amadé Ouérémi qui résistaient déjà au désarmement projeté. Les autorités ivoiriennes se réjouissaient d’ailleurs du contrôle entier de cette partie du territoire qu’elles présentaient comme l’une des plus sécurisées.
SD à Abidjan
sdebailly@yahoo.fr
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