Les juges de la CPI autorisent une enquête contre le Burundi deux semaines après son retrait du statut de Rome

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Communiqué de presse : 09.11.2017

Aujourd’hui, 9 novembre 2017, la Chambre préliminaire III de la Cour pénale internationale (« la CPI » ou « la Cour »), composée des juges Chang-ho Chung (juge président), Antoine Kesia-Mbe Mindua et Raul C. Pangalangan, a rendu la version publique expurgée de la décision par laquelle elle a autorisé le Procureur de la CPI à ouvrir une enquête sur des crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis au Burundi ou par des ressortissants burundais à l’extérieur de leur pays depuis le 26 avril 2015 et jusqu’au 26 octobre 2017. Le Procureur est autorisé à étendre son enquête à des crimes perpétrés avant le 26 avril 2015 ou se poursuivant après le 26 octobre 2017, si certaines conditions juridiques sont remplies.

La Chambre préliminaire III a, dans un premier temps, rendu sa décision sous scellés, le 25 octobre 2017. Après avoir ordonné au Procureur de lui fournir des renseignements supplémentaires, elle a accepté à titre exceptionnel que la procédure relative à la demande d’autorisation d’enquêter soit menée sous scellés avec la participation du seul Procureur, pour atténuer les risques pesant sur la vie et le bien être des victimes et des témoins potentiels. En outre, et à titre exceptionnel toujours, elle a autorisé le Procureur à repousser de 10 jours ouvrables la notification de l’ouverture de l’enquête aux États normalement compétents à l’égard des crimes allégués, afin qu’il puisse préparer et mettre en œuvre des mesures de protection pour pallier les risques potentiels pesant sur les victimes et les témoins potentiels.

La Chambre préliminaire a conclu que la Cour était compétente à l’égard de crimes qui auraient été commis pendant que le Burundi était un État partie au Statut de Rome. Le Burundi a été un État partie de la date d’entrée en vigueur du Statut à son égard (le 1er décembre 2004) à la fin de l’année suivant l’annonce de son retrait (le 26 octobre 2017). Ce retrait a pris effet le 27 octobre 2017. Par conséquent, la Cour demeure compétente à l’égard de tout crime relevant de sa juridiction s’il a été commis jusqu’au 26 octobre 2017 inclus, et ce, malgré le retrait du Burundi. Elle peut donc exercer sa compétence même après que ce retrait a pris effet dès lors que l’enquête ou les poursuites portent sur les crimes qui auraient été commis à l’époque où le Burundi était un État partie au Statut de Rome. En outre, le Burundi est tenu de coopérer avec la Cour dans le cadre de cette enquête car celle-ci a été autorisée le 25 octobre 2017, avant la date à laquelle le retrait a pris effet. Cette obligation de coopérer subsiste tant que dure l’enquête, et elle s’applique à toute procédure résultant de celle-ci. Le Burundi a accepté ces obligations lorsqu’il a ratifié le Statut de Rome.

La Chambre préliminaire III a jugé que les éléments justificatifs présentés par le Procureur de la CPI, y compris les communications que celui-ci a reçues des victimes, donnent une base raisonnable pour mener une enquête concernant des crimes contre l’humanité qui auraient été commis à partir du 26 avril 2015 au moins au Burundi et, dans certains cas, à l’extérieur du pays par des ressortissants burundais, notamment : a) le meurtre et la tentative de meurtre ; b) l’emprisonnement ou la privation grave de liberté ; c) la torture ; d) le viol ; e) la disparition forcée ; et f) la persécution. Ainsi qu’elle l’a relevé, on estime que 1 200 personnes au moins auraient été tuées, des milliers auraient été détenues illégalement et des milliers d’autres torturées et que les disparitions se chiffreraient par centaines. Les violences alléguées auraient entraîné le déplacement de 413 490 personnes entre avril 2015 et mai 2017.

Ces crimes auraient été commis par des agents de l’État et d’autres groupes mettant en œuvre les politiques de l’État, dont la police nationale burundaise, le service national de renseignement et des unités de l’armée burundaise opérant en grande partie selon des chaînes de commandement parallèles et conjointement avec des membres des Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir.

Le Procureur de la CPI n’a pas à se limiter aux incidents et crimes décrits dans la décision mais il peut, sur la base des éléments de preuve, élargir son enquête à d’autres crimes contre l’humanité ou à d’autres crimes relevant de la compétence de la Cour (c’est-à-dire le génocide ou les crimes de guerre), dès lors qu’il reste dans les limites des paramètres de l’enquête telle qu’elle a été autorisée.

Enfin, la Chambre a relevé que, d’après les renseignements disponibles, les autorités du Burundi étaient demeurées inactives à l’égard des affaires pouvant découler de la situation dans le pays. En dépit de la création de trois commissions d’enquête et du lancement de certaines procédures devant des tribunaux nationaux, la Chambre a jugé que ces mesures étaient insuffisantes ou ne concernaient pas les personnes ou les crimes qui seront probablement visés par une enquête de la CPI. Par conséquent, il n’y a pas de conflit de compétence entre la Cour et le Burundi.

Le Bureau du Procureur recueillera les éléments de preuve nécessaires auprès de diverses sources fiables, de façon indépendante, impartiale et objective. L’enquête pourra durer aussi longtemps que nécessaire pour obtenir ces preuves. S’il recueille des preuves suffisantes pour établir que certaines personnes en particulier ont engagé leur responsabilité pénale, le Procureur demandera aux juges de la Chambre préliminaire III de délivrer à leur encontre soit des citations à comparaître soit des mandats d’arrêt.

Public Redacted Version of “Decision Pursuant to Article 15 of the Rome Statute on the Authorization of an Investigation into the Situation in the Republic of Burundi”

Note : La traduction française de la décision sera disponible au plus tard le 1er décembre 2017

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Le Président Pierre Nkurunziza à Bujumbura le 29 juin 2017. / AFP

Divorce consommé entre le Burundi et la CPI

Laurent Larcher , le 27/10/2017

Le retrait de Bujumbura de la Cour pénal internationale est effectif, vendredi 27 octobre 2017.

Le Burundi quitte officiellement la Cour pénale internationale (CPI), ce vendredi 27 octobre 2017. Décidé en 2016 par le président Pierre Nkurunziza, promulgué le 18 octobre 2017, son retrait du Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI, est désormais effectif.
Quand cette procédure a-t-elle été lancée ?

Il y a tout juste un an, le régime burundais a mis en œuvre l’article 127 du statut de Rome qui donne la possibilité à tout État membre de quitter la CPI. Le 12 octobre 2016, ce retrait a été adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat burundais. Puis notifiée à la CPI, le 27 octobre 2016. Selon les dispositions du statut de Rome, la rupture prend effet un an après sa notification.

Pourquoi le Burundi s’est-il retiré de la CPI ?

C’est une réponse à l’attitude de la CPI et de l’ONU à son égard. En avril 2016, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, avait lancé un examen préliminaire sur des meurtres, tortures et viols susceptibles de constituer des crimes de guerre au Burundi. Le 30 septembre 2016, l’ONU avait ouvert une enquête sur douze figures du régime soupçonnées d’avoir commis des crimes depuis avril 2015. Parmi elles, le général Alain-Guillaume Bunyoni, personne la plus importante de l’État après le président.

Pour justifier la réaction du Burundi, le ministre de la justice, Aimée-Laurentine Kanyana, avait expliqué en 2016 que la CPI menaçait les institutions de son pays et nuisait à son indépendance. Le jour du vote au parlement, le député du parti présidentiel CNDD-FDD, Aloys Ntakarutimana, avait renchéri : « La CPI est un instrument en train d’être utilisé pour essayer de changer le pouvoir. »
Pourquoi le Burundi craint la CPI ?

Toutes les enquêtes des principales ONG de défense des droits de l’homme documentent les violences commises par le régime. Le dernier en date provient du rapport de la Commission d’enquête sur le Burundi de l’ONU. Il exhorte la CPI d’enquêter « dans les plus brefs délais » sur des crimes contre l’humanité commis par des agents de l’État de ce pays.

Il indique avoir « documenté des violations souvent d’une cruauté extrême, en particulier des exécutions extrajudiciaires, des arrestations et détentions arbitraires, des disparitions forcées, des actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, et des violences sexuelles ». En se retirant de la CPI, le pouvoir espère échapper à la justice internationale.
La CPI a-t-elle les moyens de poursuivre le pouvoir burundais malgré tout ?

À partir du 27 octobre 2017, la CPI ne peut plus enquêter de sa propre initiative sur le Burundi. Mais elle pourra encore le faire si le Conseil de sécurité de l’ONU l’y autorise. Ce fut le cas pour le Darfour (2005) et la Libye (2011).

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