Au cœur du Transport lagunaire Abidjanais en Côte d’Ivoire (enquête)

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Le service d’exploitation lagunaire de la Société des Transports Abidjanais (SOTRA), a de plus en plus du mal à répondre à la forte demande exprimée par les populations ivoiriennes qui continuent à ce jour de faire de longues files d’attente pour effectuer la traversée en bateau bus. Et Ce, en dépit des nombreuses réformes annoncées par les autorités ivoiriennes dans le sens du renforcement du parc à bateaux de la SOTRA. La SOTRA doit désormais faire face à la concurrence avec l’entrée en scène de nouvelles entreprises privées dans l’exploitation du secteur.

Yopougon, gare lagunaire d’Abobodoumé, il est à peine 8 heures ce jour-là. Ce sont de longues files d’attente aux différents quais. Des personnes à bout d’impatience sont en quête de bateaux bus pour les destinations du plateau et Treichville.. Là, les travailleurs, élèves et autres y passent parfois des heures à attendre un bateau pour leur permettre la traversée qui ne dure en moyenne que vingt-cinq (25) minutes. Une situation que vivent les usagers chaque matin les jours ouvrables, précisément dans les gares de Treichville et Yopougon-Abobodoumé.

Les populations de Yopougon passent pour être les plus désavantagées. Avec des quais de la gare lagunaire et des hangars aux toitures en état de délabrement. Contrairement aux clients de la destination Abobodoumé-Treichville, ceux partant d’Abobodoumé pour le quartier administratif (plateau) vivent un véritable calvaire. Il leur parfois affectés deux bateaux pour cinq à six quais bondés de monde. A quelques centaines de mètres de là, au quai des pinasses le monde afflue.

A la gare lagunaire du plateau, où nous nous rendons le lendemain, plusieurs navettes au nombre desquels se trouve un bateau bus de la STL, compagnie privée, en service depuis le mois d’avril 2017. À peine stationné, plusieurs personnes en destination de Treichville embarquent dans cet engin d’une capacité de 150 places.

Les difficultés des acteurs du secteur

Ouvert en 1980 en Côte d’Ivoire, en vue de permettre la fluidité routière, la flotte lagunaire de la Société des Transports Abidjanais (SOTRA), avec une capacité nominale de 96 à 144 places assises, est, depuis quelques années, enclin à de nombreuses difficultés. Avec un nombre insuffisant de bateaux en service, qui fait de l’offre de cette société d’Etat l’une des plus boudées par les clients. Et pour cause. Selon un agent qui a choisi de garder l’anonymat, la crise post-électorale survenue en 2011 en Côte d’Ivoire aurait affaibli la capacité d’absorption de la SOTRA. De gros dommages causés au niveau de sa flotte navale, suite aux vols et détournements de navires. Ain si, de 28 bateaux au total en 2008, ce sont en 2017, seulement une quinzaine de bateauxqui assurent le service d’exploitation lagunaire sur les quatre lignes pour une sollicitation de près de 6.000 personnes jour. Toutefois, ce nombre insuffisant de bateaux n’échappe pas malheureusement à de récurrentes rades. Un fait qui accentue le ralentissement du service. Au moment où nous mettions sous presse, les raisons de l’incapacité de SOTRA Industries, qui avait monté en 2006 des bateaux bus par des ingénieurs ivoiriens ainsi que les prévisions du Schéma Directeur d’Urbanisme du grand Abidjan (SDUGA) en matière d’exploitation lagunaire, n’ont pu nous être livrées par le service d’information de la SOTRA joint une semaine avant. A l’instar de la société des transports abidjanais, les pinasses aussi rencontrent quelques difficultés. Pour un opérateur économique officiant dans ledit secteur et qui a bien voulu garder l’anonymat, la nébuleuse demeure la police maritime dont certains agents, en dépit du fait que les pinassiers soient en règle, continuent tout de même à leurs faire subir toutes sortes de tracasseries allant jusqu’à des menaces et intimidations. « Dans notre travail, on n’a déjà trop de difficultés de charge comme le carburant, les taxes à la mairie, les taxes villageoises et notre personnel à prendre en compte. Sans compter que toutes les entreprises ne travaillent pas chaque jour. Avec tout ça les agents de la police maritime nous causent d’énormes tracaseries.Même quand tu as tous les bouées de sauvetage au nombre exigé selon les normes, ils vont te demander de donner quelque chose .Et c’est tout le temps. Franchement, ça nous fatigue», s’est indigné cet opérateur. Une inquiétude soulignée dans presque toutes les gares traditionnelles de pinasses parcourues par notre équipe. Des difficultés qui pourraient s’accroitre avec la construction des gares de l’entreprise CITRANS qui vient réduire du coup le champ d’action de plusieurs entreprises de pinasses à Abidjan.

Vers une libéralisation pour satisfaire les populations

En 2015, dans le cadre de la mise en ouvre de la politique globale de réaménagement des transports dans la capitale économique ivoirienne adoptée par le gouvernement d’alors, la libéralisation du secteur lagunaire, tant attendue est devenue réalité. Ouvrant ainsi le champ d’exploitation du plan d’eau lagunaire de la capitale économique à deux nouvelles entreprises privées. Aux cotés de la SOTRA et des trois entreprises de pinasses, exerçant depuis 2010 grâce à une vingtaine de pirogues à moteur. Il s’agit en premier de La Société de Transport Lagunaire (STL), dont le parc actuel contient seize (16) bateaux confortables pour six itinéraires (Cocody, Plateau, Marcory, Treichville, Koumassi, Yopougon.).Sous des tarifs allant de 200F à 500F contre chez la SOTRA des tarifs de 150F pour la traversée simple et 200F comme frais de la traversée simple combinée à la correspondance bus. La STL, depuis la mise en service de sa ligne, signe sa particularité avec des horaires de départ respectées et une régularité de ses engins qui font le bonheur de près de 5000 personnes au quotidien. Le second opérateur, la Compagnie Ivoirienne des Transports (CITRANS) qui ouvrira officiellement ses portes dans les semaines à venir avec quatre navires au démarrage, entend desservir six communes d’Abidjan avec une flotte de six bateaux.Ces nouvelles offres qui viennent redynamiser le trafic fluvial sont sans doute une réponse aux pinasses, ces bateaux de fortune à moteur construits en bois dont le manque de commodités et les risques est déplorée. Les tenanciers de pinasses réputées pour leur surcharge, transportent entre 100 et 130 personnes par voyage sur des trajets variés pour des tarifs oscillant entre 150F et 200F. Ces pinasses aux commandes desquelles des pilotes recrutés à la volée et sans formation initiale en matière de conduite maritime, font depuis une décennie la navette entre les communes : (cocody mpouto- Marcory), (Koumassi-riviera mpouto),(Koumassi-mbadon village) ,(treichville – yopougon-abobodoumé),(locodjro-plateau carena ),(locodjro -treichville) (Yopougon Abobodoumé-plateau). A ce jour ce sont au total 37 bateaux bus et 35 pirogues à moteurs qui parcourent chaque jour la lagune Ebrié. Cette libéralisation du secteur semble être une bouée de sauvetage pour les populations usagères de ce type de transport.

Un type de transport fort apprécié des usagers

Du fait de la durée du trajet par voie routière qui, hormis nombreux embouteillages, est un casse-tête chinois, beaucoup d’usagers en fonction de leurs lieux de résidence et pour une assiduité à leur lieu de travail, choisissent la voie lagunaire. Interrogés dans les communes de Yopougon, Koumassi et Cocody m’pouto, biens de ces usagers ont bien voulu nous livrer leurs impressions sur ce moyen de transport. « Moi je détestais passer par la voie lagunaire. Puisque quand bien même que tu es pressé et que tu choisi le plus court chemin qui est par le bateau, tu te trouves encore plus en retard, caron peut passer parfois des heures à attendre un bateau. Comme c’était le cas quand la SOTRA avait le monopole. C’est pourquoi, avec STL je me sens mieux car leurs bateaux sont très réguliers, rapides et cette compagnie fait des distances que les autres ne font pas encore. », a confié Koudou jean Claude, commerçant à Treichville. D’autres saluent l’intervention de la nouvelle compagnie surtout aux heures de pointe. « Vraiment, moi ce qui me réjouit avec cette société qui est STL, c’est que depuis qu’elle est arrivée pour quitter le plateau, on ne met plus trop de temps d’attente. Par rapport au passé où sincèrement ce n’était pas facile pour nous surtout les matins de quitter Yopougon pour le plateau et le soir pour rentrer à Yopougon. Sinon, le bateau est le meilleur moyen à Abidjan à la fois pour les travailleurs d’être à l’heure au boulot », a indiqué Jérôme, agent dans une entreprise privée au plateau. Un avis partagé également par Didier Ouédraogo, transitaire.
Pour Kouman Nanne Augustin, comptable dans une entreprise privée, ce type de transport demeure l’une des voies idoines pour pallier le problème récurrent des embouteillages vécus par les populations de la capitale économique ivoirienne. Noël N’doumba, informaticien, lui s’est appesanti sur l’irrégularité des bus de la SOTRA et les horaires de cette compagnie : « Les bateaux bus, s’ils étaient réguliers seraient le meilleur moyen de contourner les embouteillages. C’est pourquoi je suggère que la SOTRA essaie de revoir ses horaires, de les prolonger jusqu’à 21H et d’augmenter le nombre de ses bateaux », préconise-t-il.
Si le bateau bus conventionnel rencontre l’assentiment de certains usagers, d’autres par contre ont, en dépit du confort et la garantie de sécurité qu’offrent les bateaux de la SOTRA et les nouvelles entreprises concurrentes, choisi de porter leur choix sur les pinasses, ces bateaux de fortune qui opèrent également sur le plan d’eau lagunaire abidjanais, « On reconnait que les bateaux de la Sotra obéissent à toutes les normes de sécurité et de confort, mais, justement dû à leur irrégularité que nous nous trouvons contraints d’emprunter les pinasses. Une autre raison, est également la longue file d’attente à laquelle on doit tous les jours et qui au final mène au découragement. Alors qu’avec la pinasse qui n’est pas de tout confort, c’est plus rapide », s’est exprimé Dubois Koffi, fonctionnaire. Dame Aminata Koné est du même avis. « La SOTRA vraiment c’est plus sûr, mais comme ils n’ont pas de gare un peu partout, on n’est obligé de prendre pinasse. Moi par exemple, j’habite locodjro et je vends à carena. Vous voyez que c’est la pinasse qui m’arrange le plus et puis je veux préciser que ce ne sont pas toutes les entreprises de pinasses qui sont dangereuses. Puisque celle qui nous transporte de CARENA à Locodjro, on n’a jamais eu de problème depuis plusieurs années. », rapporte cette dame. Quelques usagers de la voie lagunaire par pinasses rencontrées à yopougon n’ont pas manqué de louer les avantages qu’ils tirent de ce moyen de locomotion fluvial. « II est en ce moment 7h30 alors que j’ai un impératif à 8H à mon bureau sis vers la pyramide. Comprenez que ce sont les pinasses qui sont d’ailleurs très régulières et au même prix de traversée, soit 150FCFA, qui peuvent faire mon affaire. », fait savoir Mr Damien ,opérateur économique.
Les élèves et étudiants eux également ne disent pas le contraire. « Mes parents achètent chaque mois ma carte de bus ;mais à cause de la rareté des bus et des bateaux bus, je suis obligé d’emprunter les pinasses qui ne nous rassurent pas, même si ça me permet d’être assidu en classée .Je veux profiter de votre micro pour inviter le gouvernement à doter la SOTRA d’équipements et matériels roulants», suggère Koffi Didier, étudiant .
Le transport lagunaire demeure l’un des moyens de transport abidjanais les plus rapides et moins coûteux, et apte à alléger le quotidien des populations. L’entrée récente de nouveaux opérateurs est source de redynamisation de ce secteur.

Emélis Gooré
Lebanco.net

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