Soro Guillaume: Une voie incontournable en Côte-d’Ivoire (par Tiburce Jules Koffi)

3ème partie de la Trilogie

« L’Histoire, le héros, l’éthique : dialectique de trois catégories discursives »

Court traité d’instruction en histoire politique

L’Editorial de Tiburce Jules Koffi

Dans des articles précédents, j’ai montré en quoi Guillaume Soro était un personnage problématique : il est un héros ; et, comme tel, il porte sur lui les qualités et tares de ce type de personnage qui, partout, a toujours prêté à controverses en suscitant respect et crainte, confiance et méfiance, assurance et inquiétude. Héros de l’histoire récente de notre pays, Guillaume Soro l’est, au même titre qu’Alassane, Bédié et Gbagbo (voir article précédent). À l’instar de ceux-là, il est un animateur (dans son sens étymologique — ‘‘donner vie’’) de foules, en même temps qu’un produit de la foule. Un évaluateur de popularité montrerait aisément qu’en la matière, il égale ces trois personnalités.

De même que Bédié, Ouattara, Gbagbo, Guillaume Soro est venu pour accomplir une mission précise, d’intérêt collectif. Le premier pan de cette tache a consisté à faire cesser les brimades et humiliations dont se plaignaient les gens du Nord ivoirien, ces ‘‘co-régionaires’’. L’a-t-il réussie? Ma réponse est sans équivoque : oui. Assurément oui, car depuis avril 2011, les enfants du Nord sont au pouvoir par son action. Que Soro n’ait pas porté d’armes ni guerroyé au front (parce qu’il n’est pas militaire — et n’a donc, conséquemment, aucun mérite ni responsabilité de premier ordre dans les exploits et les échecs des troupes rebelles), cela n’ôte rien à l’importance de son rôle dans cette vaste insurrection. Une action comme celle-là se pense, s’organise, s’administre ; et son succès ne dépend pas que de l’issue des armes, mais aussi de sa gestion administrative et psycho-mentale, son rayonnement médiatique et surtout diplomatique. La rébellion du Nord n’aurait pu résister au temps sans la gestion habile de ces facteurs décisifs.

Eh oui ! Il fallait une sacré dose de conviction et de témérité pour oser prêter son visage à cette expédition militaire qui venait de signer deuils et ruines immenses dans le pays, et dont les auteurs, tous les auteurs, portaient barbes de terroristes non identifiables et cagoules noires. Celui qui avait posé cet acte stupéfiant n’était pas ignorant des conséquences de sa témérité : la terrible sanction de l’histoire qui le disqualifierait peut-être à jamais, en cas d’échec, et pis, le vouerait à l’emprisonnement à vie. On le sait : l’échec a toujours été le fait d’un seul responsable et fautif ; la victoire, de plusieurs géniteurs et bénéficiaires ! Et Guillaume Soro a réussi ‘‘sa’’ rébellion : Laurent Gbagbo a été déchu ; le pays est désormais aux mains des insurgés d’hier, ces rebelles détestés par nombre d’entre nous, dont l’auteur de ces lignes !

Et voilà sept années que règne sur l’Eburnie, cet autre cortège de cols blancs qu’elle a générés ! Ils règnent et planent sur le pays, au point d’être devenus envahissants dans tous les domaines de l’administration et de la vie politique dont ils ont accaparé tous (sinon presque tous) les leviers essentiels de commande. Une expertise a évalué à près de 80% l’occupation des postes administratifs et politiques du pays par les gens du Nord. Si c’est cela le prix à payer pour apaiser la colère de ces concitoyens, la Côte d’Ivoire l’aura vraiment payé. L’analyste quant à lui, notera que, de la juste et noble intention de réhabiliter le nord, ce nord, nous en sommes aujourd’hui au joug du Nord sur le reste du pays — une autre politique de l’exclusion et de la dictature dont l’on mésestime (encore) les effets dévastateurs ! Dommage, oui bien dommage !

La rébellion a donc (re) donné aux enfants du Nord l’assurance et la dignité que des politiques maladroites avaient méchamment altérées. Tous ces cadres nouveaux (ou anciens) du nord, qui affichent aujourd’hui tant d’aisance sociale, comportementale et financière, doivent leurs satisfactions et actuel embonpoint au courage d’un jeune homme, Soro Kigbafori Guillaume, qui aura sacrifié sa jeunesse pour un idéal : la justice pour les siens. Et c’est cela le héros : un homme engagé et entièrement voué à la cause d’un idéal (individuel ou collectif, mais généralement collectif) qu’il réussit à faire triompher. Soro a gagné, envers et contre tous ; contre surtout ceux d’entre nous qui, hier, l’avaient combattu sans concession. D’où tient-il cette force et cette foi qui l’ont propulsé au devant de tant de combats (syndicaux, politiques et militaires) contre des adversités apparemment trop fortes pour ces frêles épaules ? Il faut admettre qu’à un stade aussi élevé d’affirmation d’une personnalité, les sciences sociales et humaines (matérialisme dialectique, philosophie, sciences po, structuralisme, psychologie, sociologie, etc.) ne suffisent plus à expliquer certains phénomènes. Il y a un peu de la Providence dans la trajectoire de ce jeune homme, qui tient autant de Petit Dan que de Vautrin ou de… Lucky Luke ! Oui, Guillaume Soro, c’est un peu de tout cela : un produit de l’Histoire et de forces d’une autre essence : cabalistique ou hautement spirituelle ? Je n’en sais rien.

Est-il un initié du poro ? A-t-il reçu, sans le savoir, quelque grâce christique (c’est un ancien du séminaire) ? Ou bien est-il, tout épouvantablement, un fils de la Kabale ? Je n’en sais rien, non plus. Quelques pistes cependant : par le prénom chrétien Guillaume, ce jeune homme plein d’audaces est un conquérant. Par le prénom sénoufo Kigbafori (1), il est de la race des invulnérables car, dans la langue sénoufo, cette onomastique signifie littéralement : « Le mal que tu couves contre moi ne se réalisera jamais ! » Le patronyme Soro quant à lui, selon l’intonation (les langues négro africaines sont agglutinantes et à tons) peut signifier : « courageux, téméraire » — je tiens ces informations de locuteurs crédibles de la langue sénoufo. Voilà donc campé, sous les auspices de données culturelles (la symbolique des noms) et de repères objectifs (la traçabilité historique), le personnage de Guillaume Soro Kigbafori (GSK).

Un tel homme est loin d’être simple : les multiples tentatives d’assassinat auxquelles il a, à chaque fois, échappé d’une manière qui relève presque du miracle, trahissent la dureté de sa carapace. À peine entamait-il la décennie de son existence que sa vie se confondait déjà à une épopée à quatre dimensions : syndicale, politique, militaire et administrative. Jamais, dans l’histoire politique et administrative de notre pays, nous n’avions enregistré une telle performance que les analystes (surtout celles de ses pourfendeurs) auraient tort de négliger dans leur lecture de ce véritable phénomène social qu’est Guillaume Soro. J’en vois qui me rétorqueront, hystériques : « C’est vrai qu’il a gravi ces échelons ; mais est-ce de façon méritoire ? » Telle est l’aubade des ‘‘Gbagbo Ou Rien’’ (GOR) et des objecteurs de conscience. Réponse aisée : « Pourquoi est-ce précisément lui, et non quelqu’un d’autre, qui a gravi ces échelons ? »

L’Histoire ne choisit jamais par hasard et de manière innocente, les mains et consciences qui l’agitent. Elle n’ouvre ses portes qu’à une race particulière d’hommes ; ceux-là qui ont perçu la piste qui y mène, et qui ont su courtiser ses faveurs. En retour, elle leur donne toujours reconnaissance publique et immortalité pour une éternité symbolique : l’inscription de leurs noms dans les consciences collectives — groupe d’âge, groupe d’amis, communautés, cercles professionnels, nations — ou dans le Grand Livre du Monde (les encyclopédies) ! Et tel s’offre à nous le ‘‘personnage historique’’.

À l’analyse, Guillaume Soro est, sans conteste, le héros de sa génération ; on l’appelle, à juste titre « le leader générationnel ». En réalité, il est plus que cela : il est, aujourd’hui, la véritable figure charismatique de la classe politique actuelle du pays. Davantage plus que Ouattara, figure dont le charisme est dû plus au travail des medias qu’à une action politique sur le terrain, à même de créer entre le peuple ivoirien et lui la nécessaire symbiose, Guillaume Soro, fils du Nord, et époux d’une fille du centre-ouest (précisément le pays bété), bénéficie d’un encrage sociologique et d’un spectre de sympathie plus évidents dans le cœur des populations ivoiriennes. Il réalise, par cet acte de mariage, le croisement entre des ethnies, ainsi que ce métissage si prometteur et indicateur de la Côte d’Ivoire du dialogue, que nos rivalités contingentes n’auraient jamais dû mettre à mal. Son discours échappe aux velléités revendicatives et régionalistes des politiciens nordistes regroupés autour d’Alassane Ouattara. Sa lecture de l’histoire me paraît donc offrir plus d’amplitude géographique (par ses perspectives panafricanistes) que celle de tout autre acteur politique du pays, en vue.

Le Rdr puise ses ressorts dans le repli régional et l’éveil identitaire (la référence au Nord) qui déterminent son mythe fondateur et son agir politique. Guillaume Soro, tout au contraire, échappe à l’enfermement ethnique et régional en déclinant des ambitions plus nationales, sans exhibition incommodante de nationalisme exacerbé. Il est, de par cette posture, le père de la suppression de l’article 35 d’essence conflictuelle, et celui qui ordonnance l’inhumation des reliques fantomatiques de l’ivoirité. C’est donc un unioniste déclaré. Oui, ce jeune homme cristallise aujourd’hui les attentes de nombreux ivoiriens, surtout la jeunesse ; tous ces jeunes désoeuvrés, ces familles appauvries et déroutées par une politique affolante de la croissance ‘‘duncanienne’’ à deux chiffres, sourde à leurs vraies préoccupations. Chaque jour, s’ouvre davantage à GSK les abords du Palais, car les actes de mauvaise gouvernance des collaborateurs du Président Ouattara, ainsi que les intrigues de son camp politique (le Rdr) contre lui ne font que renforcer sa popularité et professer en sa faveur : les peuples détestent les actes d’ingratitudes !

À ce stade d’affirmation de son étoile, je ne vois vraiment pas pourquoi et comment suspendrait-il le cours normal et logique de son destin : accéder à la magistrature suprême ou, du moins, aller à sa conquête, avec des chances réelles d’y parvenir. Son atout décisif est, sans conteste, sa jeunesse et, conséquemment, les milliers de jeunes de son groupe d’âge biologique et même du groupe d’âge en-dessous du sien qui, tous, rêvent de l’avènement d’un des leurs à la magistrature suprême. Il n’y a vraiment aucune raison qu’il ne tente pas sa chance, qu’il ne courtise pas le destin, hermaphrodite on ne peut plus volage, et qui ne s’offre qu’aux sourires des plus entreprenants, et aux audacieux les plus affirmées. Seul obstacle possible sur la voie de cette haute consécration nationale : la mémoire de la douleur, que rien ne guérit totalement ; précisément ici, la douleur causée par les affres de la rébellion. Mais qu’enseignent ici l’Histoire et l’éthique ?

[Le héros entre Histoire et éthique]

Posons-nous brutalement et une bonne fois pour toute, la cruelle question : « Oui il y a eu la rébellion. Et alors ? » Bien sûr qu’aucun ex-rebelle, encore moins Guillaume Soro ne saurait prendre le risque d’exposer une telle réflexion, car elle choque et dérange notre culture éthique. Disons-le tout franchement : elle scandalise. Mais, l’Histoire a t-elle jamais fait l’économie de ce type d’épreuves douloureuses dans la vie des peuples ? L’Histoire s’est-elle jamais gênée de piétiner notre éducation éthique ? Scrutons un peu les leçons du Temps, afin de savoir sagement aviser sur la question :

Hadrien, Alexandre le Grand, Hérode, Ghengis Khan, Moshé Dayan, Menahem Béguin, Charles De Gaulle, Marc Arthur, Samory Touré, Chaka Zulu, Caligula, Nelson Mandela, Ernesto Guevara dit le Che, Fidel Castro, Sékou Touré, et plus proche de nous dans l’espace et le temps, Thomas Sankara, Jerry Rawlings et Paul Kagamé, ont-ils signé leurs tracés historiques sur des chemins immaculés bordés de roses printanières au senteurs d’amours ? Napoléon Bonaparte, esclavagiste et détestable partisan de la traite négrière (il s’est même permis de la rétablir dans les colonies françaises, au mépris de la loi abolitionniste) ne fait-il pas partie de la grandeur de la France ? Victor Hugo n’a-t-il pas connu un long exil à cause de ce monstre (tant au moral qu’au physique) que les iconographes et littérateurs français magnifient ?

Une amie française, de très bonne souche, outrée par mon rapprochement avec Guillaume Soro, n’a pas hésité à m’interpeller un jour sur cette question. Quand, très froidement, je lui fis remarquer que, comparé à Bonaparte, Guillaume Soro est vraiment un enfant de chœur, elle m’assena une réplique inouïe :

Malgré ses guerres et ses millions de morts, et quoi que l’on puisse lui reprocher, Bonaparte a laissé à la France, un Code, le célèbre code napoléonien qui a influencé les Constitutions de maints pays d’Europe »… ou quelque chose dans ce genre ! Et mon amie d’ajouter, presque hystérique : « Rien à voir avec ton Soro, mon pauvre Tiburce ! »
Je la devinais, tenant un mouchoir dans une main et se le tapotant sur ses joues mouillées de larmes de tristesse à voir son ami aller (encore !) à la déperdition ! Ma réaction fut aussi ferme que gentiment ironique :

Entendons nous bien : si c’est à ce prix (laisser un Code à la postérité) que se pardonnent les crimes perpétrés tout au long de l’Histoire, permets que j’accompagne ce jeune homme, qui est loin d’être un criminel, à parvenir au pouvoir. Je gage qu’il laissera à la Côte d’Ivoire, plus qu’un parchemin appelé Code ! Jeune, il symbolise, pour moi, l’avenir, l’horizon. Et pour cet horizon, celui des enfants de mon pays, que vive Guillaume Soro ! »
Sans être convaincue de la justesse de mon option, mon amie reconnut cependant la qualité de ma réflexion. Depuis, elle ne me ‘‘surcharge’’ plus avec ses épopées napoléoniennes ! Mais revenons à nos prosaïsmes : oui, il y a eu la rébellion. Comme il y a eu le coup d’État. Et il y a eu le coup d’Etat, comme il y a eu les traumatismes psychologiques causés par l’ivoirité instrumentalisée ; et il y a eu l’ivoirité tout comme il y a eu la charte du nord. Et il y a eu cette charte du nord parce que… Longue, voyez-vous, se dessine la liste des causes qui vont nous situer sur la vraie genèse de cette tranche de notre histoire nationale. Le repère le plus proche que j’ai pris, part de 1991. Vingt-six (26) ans donc que ça dure. Et, tout au long de ces années, que d’épreuves dures, impitoyables, intenables, n’avons-nous vécues ! Que faire ? Continuer de pleurnicher sur cette tragédie nationale ? Ou bien, au contraire, nous ressaisir, lire froidement l’Histoire, déchiffrer attentivement et patiemment les signes des temps, et tendre la main à tout le monde, pour le commencement d’une nouvelle fraternité, sous le sceau d’une nouvelle alliance sacrée entre les enfants de ce pays meurtri, mais en attente d’un nouvel ensemencement ? Ivoiriens mes frères, mon peuple !, voilà, à mon sens, le défi majeur : opter pour l’avenir.

Non, il ne s’agira pas de passer l’éponge sur les massacres (réciproques) — on ne peut le faire ; et aucun effaceur ne peut gommer à jamais les douleurs du cœur et de la mémoire flagellée. Acceptons seulement de revisiter et de déchiffrer tous ces moments durs de notre histoire et de les accepter en termes d’HÉRITAGE MÉMORIEL. On ne construit pas une nation qu’avec les cris de joie (ce serait l’idéal) ; on la bâtit aussi au prix des douleurs de la gésine et des espoirs de l’enfantement ! Les temps nouveaux ont souvent été les résultats de mémorables césariennes ! Et Guillaume Soro, pour avoir décliné sa responsabilité dans cette sombre affaire, ne peut être montré du doigt comme le seul responsable ni même le responsable de ce désastre national. Tout de même ! S’accuser librement (je dis bien « librement » car nul dans ce pays n’aurait pu l’obliger à le faire) est déjà un signe de grandeur de sa part. En réalité, c’est une invite subtile qu’il lance à l’endroit de TOUS les protagonistes de cette crise pour les amener à un peu d’humilité et de reconnaissance du péché collectif commis ! On le voit : la démarche de Guillaume Soro est plus profonde et plus sage qu’elle ne le paraît.

Nul héros n’est saint homme, chers compatriotes. Cela signifie que le personnage du héros offre souvent à découvrir un être effroyablement séduisant comme… Belzébuth-le-Malin ! C’est un être maximal (les Cubains appelaient Castro ‘‘Lider maximo’’), un au-delà de la norme ; un être d’amour et de désamour, mais plus généralement de déraisons. « Envers lui, l’humanité ne cultive aucun sentiment mineur, aucune approche de synthèse. Etre de passion et non de raison, le héros doit être saisi dans l’absolu et non par compromis » (voir article publié en juin). Un héros n’est pas un homme de la demi-mesure, ‘‘chers tous’’ (pour singer cette navrante habitude grammaticale et syntaxique d’analphabètes !) Prenons donc Guillaume Soro comme tel : la synthèse de nos anormalités, depuis le jour où nous décidâmes de fracturer les portes de notre Eden (notre paisible Côte d’Ivoire d’hier), pour nous aventurer dans les fureurs sauvages qui causent ruines et désolation. Guillaume Soro, c’est nous ! Arrêtons donc de tricher avec notre propre image !

Il n’est ni Ange Gabriel ni Lucifer à la lance bifide se riant du Céleste Yahvé et conspirant contre Lui ! Méphistolès a pu l’habiter ; mais certainement pas autant que tous ces petits anges aux mains croisées et qui flottent gaiement dans la galaxie du Céleste ! GSK est l’homme de sa société, qu’il a comprise. Guide précoce, il a pris sur lui de mener cette société vers une destination que nous pouvons croire bonne : tout héros nourrit de belles ambitions pour sa communauté. Surtout, retenons qu’aucun grand dirigeant en ce monde ne peut exposer pattes immaculées et cœur chargé d’amours généreuses pour tous, et pour tout.

[Exécuteurs de Hautes Œuvres et d’Œuvres Hautes]

Fidel Castro (avocat), Che Guevara (médecin) et les « barbudos » de juillet 1959 ont signé maints crimes sur la route qui les a conduits de la Sierra maestria (1956) aux portes de La Havane, sous Batista le despote (1959). Ce trajet rouge enfanta de l’historique révolution cubaine, un des plus grands moments de l’Histoire du XX è siècle. Le nom de Che Guevara, séduisant révolutionnaire à la gâchette justicière, mais très/trop expéditive (il a tué froidement de nombreuses personnes désarmées) n’a jamais été criminalisé. Thomas Sankara fut loin d’être un saint. La révolution burkinabé (1983-1987) a jeté à la morgue, de nombreux voltaïques puis burkinabè, sous le règne de ce capitaine au visage d’ange et aux discours rebelles si envoûtants. L’histoire non dite de cette révolution sait très bien qu’entre Blaise Compaoré et lui, c’était à qui tirerait le premier ! (Nous y reviendrons un jour.)

Des millions de chinois ont payé de leur vie les atrocités du Parti communiste, sous le règne du Grand Timonier Mao Tsé Toung ! Le Rwanda se reconstruit de manière prodigieuse, sous la dictature productive de Paul Kagamé, rebelle tutsi ayant précipité chez Hadès des centaines de Hutus. À l’instar de son illustre prédécesseur et collègue Fidel Castro, l’avocat Nelson Mandela a dû se débarrasser de sa robe pour se reconvertir en contestataire du régime ségrégationniste et criminel de son pays, puis, sous le poids de la nécessité historique, en un rebelle qui a acquis auprès du Fln, en Algérie, une culture de la lutte armée et libératrice, dans le maquis. Le célèbre Samory Touré que toute la littérature négro-africaine magnifie à travers le qualificatif de « résistant anticolonialiste » (rien de plus faux !) fut l’historique destructeur de l’empire de Kong, un ridicule patelin dominé par un petit roi nègre appelé Empereur Sékou Ouattara, le grand-père, je crois, de notre Président-bien-aimé Alassane Ouattara ! Ce dernier, très tolérant (?), mais surtout réaliste, ne passe pas son temps à maudire ce cruel guerrier islamiste, djihadiste avant la lettre, et pompeusement appelé, lui aussi, « Empereur du Wassulu » — ces immenses étendues de terres qu’il a brûlées, et qui ont signé sa sanglante épopée ! Sadate et Menahem Bégin, généraux d’armées ayant tué mille et un Israéliens et Palestiniens (Ah ! ces massacres affreux de Shabra et Chatila !), furent faits Prix Nobel de la Paix (Accord de Camp David), quand Félix Houphouët-Boigny (qui n’a jamais pointé aucune arme contre un être humain) était superbement ignoré par le Comité d’attribution de ce prestigieux prix !

Chaka le zulu ! La littérature africaine militante s’est accordée à faire de cet autre fou et sanguinaire de haute inspiration que content avec effroi les épopées bantou (lire le texte de référence de Thomas Mofolo), un héros des luttes émancipatrices des Africains ! Que fait-on de ces milliers de personnes qu’il a occises de sa lance rouge ? « C’étaient cendres pour les semailles d’hivernage ! », lui fait dire le grand poète Senghor !

Lénine, Staline, Mao, Bonaparte, et tous ces grands semeurs de cadavres à travers le Temps, ont été érigés en monuments pour une mémoire de l’Humanité, en béton… armé ! En la matière, la célèbre citation affirme : « Tuez une personne, vous serez mis aux arrêts pour crime, et jugé coupable. Tuez dix millions de personnes par le canon, la lance, ou la mitraillette : vous serez appelé ‘‘Conquérant’’ ! Ou ‘‘grand stratège militaire’’ ! » Je pourrais multiplier ces exemples à longueur de pages, que je n’en finirai pas, de la liste de ces grands chefs, « Exécuteurs de Hautes Œuvres », réhabilités et requalifiés en Exécuteurs d’Oeuvres hautes, longtemps après leurs forfaits ! Comme si le Grand Tribunal de l’Humanité s’était entendu pour réhabiliter ces hommes aux mains si redoutables !

[En conclusion]

En voilà un peu des enseignements de l’Histoire, concernant le concept et le statut de héros. Partout et à travers les époques, c’est cela, la lecture que l’Histoire offre du personnage du héros. Ni porteur de la bonne morale classique et bourgeoise, ni gentil apôtre de la parole christique — encore même que les chrétiens des premiers âges furent de grands criminels qui évangélisèrent à coups de menaces par la hache et le coutelas illuminés ! Les héros ! Des hommes, rien que des hommes donc, mais avec une particularité : ce sont de fortes personnalités, capables de se mettre au-dessus de l’homme ordinaire par leur audace exceptionnelle à franchir le pas qui les sépare (qui doit même les séparer) de l’homme moyen, naturellement obéissant et soumis.

Les héros ! Des hommes à part, instruits d’une haute culture de la rupture et de nécessaire transgression quand l’Histoire vient à stagner, et que les sociétés éprouvent une soif de renouveau. Alors ils surgissent, ces hommes du défi nouveau, ces hommes de la nécessaire utopie, qui vont embarquer leurs sociétés sur l’esquisse d’un rêve majeur, un cri immense à embraser (pour l’embrasser) les horizons de l’espérance et du possible ! Ces hommes, ces héros, sont des Gens du refus, des hommes de la décision ultime et de l’Action maximale qui créé la Geste, car ce sont des consciences inspirées, des lumignons ou des luminophores dont les actes finissent par être justifiés par la réalisation des hautes ambitions qu’ils se sont fixés. C’est pourquoi, en politique, il est coutume d’entendre dire que « la fin justifie les moyens. »

Voilà donc, ramené à l’actualité politique ivoirienne, ce qui explique et même, justifie la rébellion : réhabiliter ceux des nôtres qui se sont sentis brimés, et qui ont estimé qu’ils n’avaient d’autre choix que de faire ce qu’ils ont fait. Mais, à l’analyse pointue des faits, la rébellion (et sa relative réussite) n’est pas l’objectif final des risques pris par ce jeune homme d’à peine 30 ans qu’était alors Guillaume Soro, qui a accepté de l’assumer. Ceci sera certainement l’objet d’un prochain rendez-vous éditorial car ce troisième volet du thème décliné boucle la trilogie hebdomadaire. Pour l’heure, retenons ceci : Guillaume Soro, héros problématique, oui ; mais plus certainement, une voie incontournable.

Tiburce Koffi

tiburce_koffi@yahoo.fr

Dans une publication antérieure, j’ai commis l’erreur de considérer le nom Kigbafori comme patronyme du concerné. Ceux qui savent ont dû rectifier d’eux-mêmes. Que ceux que j’ai induits en erreur prennent en compte cette rectification de ma part. Post-scriptum

C’est aux élèves, aux étudiants, aux jeunes militants politiques, et au citoyen ivoirien ordinaire et neutre, ainsi qu’à tous ceux des miens qui ne savaient pas ces choses-là, que s’adresse ce survol de l’Histoire, que j’ai jugé nécessaire d’exposer ici. Je voudrais leur dire ceci : lisez, instruisez-vous, ouvrez les livres sérieux, ne laissez nul document instructif où votre regard ne passe et repasse. Ne gaspillez plus votre temps sur facebook dans des injures de rustres. L’avenir a toujours appartenu à ceux qui savent, et non aux ignorants — matériaux dociles que les politiciens, en tout lieu et à toute époque, ont toujours manipulés pour atteindre leurs fins.

Cette deuxième trilogie s’était donnée pour objectif de spéculer sur trois notions : l’Histoire, le héros, l’éthique, et d’exposer les rapports dialectiques qu’ils entretiennent entre eux. À des fins purement didactiques, j’ai pris comme cas d’espèce notre pays, la Côte d’Ivoire. Cette option m’a offert la possibilité d’instruire un tant soi peu la jeune génération d’Ivoiriens, surtout les militants politiques, de certains épisodes cruciaux de la récente histoire de la Côte d’Ivoire ; celle-là qui part de 1990 (date du retour au multipartisme) jusques aux moments où j’anime cette rubrique.

J’ai jugé nécessaire cette démarche, à l’issue d’une constatation : mes visites sur certains sites et réseaux sociaux m’ont permis d’évaluer le niveau d’ignorance de nombreux animateurs de ces espaces d’échanges en numérique. Injures, offenses gratuites, hystérie militante, méconnaissance de l’histoire, refus d’accepter autre discours que ceux de leurs dirigeants et chapelles politiques, sont autant d’attitudes qui parasitent leurs lectures de la crise ivoirienne et chargent tous leurs propos d’incendies. Visiblement, l’esprit partisan a gagné, de manière inquiétante, les cerveaux de ces animateurs de réseaux sociaux. Ici et là, c’est GOR (Gbagbo ou Rien), SOR (Soro ou Rien), BOR (Bédié ou Rien), AFOR (Afi ou Rien), ou ADOrateurs (les fanatiques d’Alassane Ouattara). En somme le militantisme sourd, aveugle, borné, qui fabrique des robots politiques et non des consciences sociales. La médiocrité des échanges décourage tout intellectuel de s’aventurer sur ces sites — c’est à cela que j’ai dû me résoudre.

Au départ choqué et scandalisé par ce triste tableau, j’ai fini par apaiser mes colères quand je compris d’où venait le mal : l’âge de ces animateurs de réseaux sociaux. En réalité, nonobstant quelques cas de noms de gens sérieux et connus dans le débat politique, et tous ceux-là qui s’encagoulent (des lâches et poltrons de la pire espèce qui infectent les sites de leurs discours haineux et baveux), les animateurs de ces réseaux sont de jeunes gens de l’âge de nos enfants. Mais ils sont surtout ignorants et incultes. D’une ignorance et d’une inculture intégrales et inquiétantes ! Disons-le nettement : ils ne savent vraiment rien, sinon pas grand’chose de l’histoire de la Côte d’Ivoire, pas même celle, toute récente, qui part des années 1990, car la plupart d’entre eux sont nés à l’orée de ces années.

De 1985 ou 1990 (date de leur naissance) à 2017, ils comptent 32 ou 27 ans. Ils avaient donc 14/9 ans quand il y a eu le coup d’Etat, 15/10 ans au moment où Gbagbo accédait au pouvoir, 17/12 ans quand est survenue la rébellion, et 20 ans quand Ouattara parvint à la tête de l’Exécutif. L’âge de nombre d’entre eux oscille donc entre 17 et 30 ans, parfois moins. Entre-temps, le sabotage de l’école aura sérieusement altéré la qualité de l’Éducation nationale. Le diplôme (dévalorisé, de toute façon) ne donnant plus accès à aucun emploi, l’activité lucrative était devenue la politique : celle des bavardages, commérages et autres clabauderies navrantes qui ont prospéré au cours de la décennie du pouvoir des refondateurs (2000-2010). La situation ne semble pas meilleure, aujourd’hui. Elle est pire, paraît-il ! Conséquemment, les héros de ces jeunes se nomment : Gbagbo, Soro, Alassane, Blé Goudé, KKB. Même Konan Bédié est un vague écho d’une époque ancienne ! Et Charles Konan Banny leur paraît comme un personnage énigmatique, inadapté, par son pacifisme qui ne cadre pas avec l’esprit (insolent, agité et belliqueux) du pays ! Bamba Moriféré, les Pr Françis Wodié, et surtout Bernard Zadi (disparu), tous les deux hautes et respectables figures universitaires, gens propres (aux mains trop ‘‘clean’’), leur apparaissent comme des reliques d’un temps désuet : celui de Socrate ou d’Ogôtoméli, dieu ancien du verbe fécondateur ! D’inutiles pièces de musée cognitives et politiques !

Souvenirs : lors d’une conférence (collective) que j’ai donnée à Paris, en 2015, un jeune ivoirien prit la parole et me posa la question suivante : « M. Koffi, dans votre exposé, vous avez parlé de Front républicain, et vous avez évoqué une alliance que le Président Gbagbo aurait faite avec le parti d’Ado. Eclairez-moi sur cette question car moi j’ai 25 ans aujourd’hui, et je ne sais rien de tout cela ! » 25 ans, en 2015. Il est donc né en 1990 ! L’année où se faisait cette alliance, il avait cinq ans ! Au moment où Gbagbo parvient au pouvoir, il en a dix. Par l’action des medias d’Etat, accaparés, comme l’ont fait tous les régimes, par le pouvoir régnant (la Refondation), il ne prend contact avec l’histoire et l’actualité politiques ivoiriennes que par ces moyens d’endoctrinement qui passent sous silence, cet épisode du ‘‘mariage’’ entre le Fpi et le Rdr, ou du jumelage du Fpi avec le Rdr ! Le négationnisme achevé donc ! Quand s’achève le règne de Gbagbo, ce garçon a 21 ans. Et il n’a connu que cela, comme climat politique. Pour lui, l’histoire de la Côte d’Ivoire commence par l’ère Gbagbo !…

Après la conférence, je me suis donné le devoir pédagogique de prendre de côté ce jeune garçon, et de l’instruire vraiment sur la question. Ebahi, il ne comprenait plus donc comment ces deux partis (Fpi et Rdr) pouvaient se vouer une haine si atroce au point d’avoir conduit le pays à la guerre. Et il me couvrit de remerciements entêtés et de mille autres obséquiosités de prosélyte exalté. J’étais, moi, fier de moi : je venais de sortir de l’endoctrinement nocif, un garçon intelligent que des politiciens avaient abêti. Victoire de l’enseignant, et donc du savoir sur l’ignorance qui abrutit ! Mais combien restaient encore dans l’obscurité ? Or, c’est cet immense contingent de non sachants (de véritables ignorants embrigadés) qui constitue près des 3/5 de l’électorat de ce pays ! Dramatique !

Je compris alors de plus en plus la nécessité de créer mes « Universités d’Eté » ou d’harmattan (question de tropicaliser la pratique !) D’où désormais, la portée didactique de mes articles, qui ont quitté l’esthétique de l’écriture journalistique (trop ramassée) pour emprunter la voie du texte d’instruction ou d’éducation en histoire politique, destiné à ces jeunes gens. Leur longueur s’explique par cela : ce sont des espèces de cours, qui ne renoncent cependant pas à la stylisation du propos, question d’esthétiser le discours — je suis, avant tout, un écrivain, un poète !

Je remercie la cellule de communication du Président de l’Assemblée nationale, M. Guillaume Soro qui, sur instruction de ce dernier, fait large échos de mes articles sur les sites et réseaux sociaux ; et cela, malgré le fait que quelques-uns de ces articles ne renoncent pas à émettre des critiques sur le parcours politique du PAN. On le voit, le vrai remerciement revient en réalité à M. Guillaume Soro pour cette hauteur d’esprit.

T.K.

Source: guillaumesoro.ci

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3 réflexions au sujet de “Soro Guillaume: Une voie incontournable en Côte-d’Ivoire (par Tiburce Jules Koffi)”

  1. Les griots des temps nouveaux continuent avec leur vuvuzela médiatique en l’honneur du sieur Soro. Si ceux-là même qui nous ont faits introduire le néologisme « SoCron » sont en train de revoir leur position alors allez-y comprendre quelque chose. Allez donc, passons à autre chose. J’ai une idée, pourquoi ne pas, par exemple, parler de cette opposition en déliquescence dans notre pays ? Pourquoi ne pas parler d’un candidat de l’opposition ? Le pédophile ? Le missionnaire à la Haye qui nous reviendra d’ici quelques pleines lunes ? Il nous faut un en tout état de cause. Alors, trouvez-le !

    Il n’y aura pas de SoCron en 2020. Et ça sera cela. C’est tout. Il y a certainement une raison, pour ceux qui savent comprendre, pour qu’il faille qu’une gestation se produise avant un miracle de la naissance.

    A bon entendeur !

    Vivra qui verra !

  2. apres la rencontre avec le Prof. NYAMSI , dans un café à Paris, on s’attendait à cette …
    je voudrais bien lire quelqu’un d’autre ,relayer la ligne politique du PAN

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