Par Safiatou Ouattara
Le Conseil de Sécurité des Nations Unies à travers la résolution 1528, du 27 février 2004, a institué l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Ses principales missions étaient, entre autres, de surveiller l’application de l’accord de cessez-le-feu du 3 mai 2003, ainsi qu’offrir au gouvernement de réconciliation nationale une assistance en vue de faciliter la tenue de consultations électorales libres, honnêtes et transparentes. Régulièrement renouvelée, sa mission a pris fin le 30 juin dernier. Quel bilan peut-on tirer de cette mission de paix ?
Au chevet d’une Côte d’Ivoire au bord de l’implosion, l’ONUCI a permis d’éviter la reprise des hostilités entre le régime du président Laurent Gbagbo et la rébellion. Cela aurait vraisemblablement engendré un génocide avec des massacres et atrocités sans précédent. Grâce à son contrôle, elle a su faire respecter le cessez-le-feu en se montrant ferme lorsqu’il le fallait notamment en détruisant les avions de guerre utilisés par le président Laurent Gbagbo pour violer le cessez-le-feu en novembre 2004. Par ailleurs, à travers sa radio, l’ONUCI a largement contribué à l’expression de la diversité d’opinion. En outre, elle a sauvé le vote des électeurs ivoiriens en faisant respecter le verdict des urnes lors de la présidentielle de 2010. De plus, son plaidoyer pour le dialogue entre le pouvoir et l’opposition a permis de détendre l’atmosphère socio-politique en 2012. Ce dialogue a permis le dégel progressif des avoirs, la libération de certains prisonniers politiques et la participation de l’opposition à la vie politique du pays. Cependant, ces acquis ont-ils permis de bâtir une paix durable en Côte d’Ivoire ?
Une réconciliation nationale boiteuse
La réconciliation, l’un des principaux chantiers pour bâtir une Côte d’Ivoire nouvelle a échoué. En effet, l’ex-premier ministre, Charles Konan Banny, nommé à la tête de la commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) chargée de réconcilier les Ivoiriens a manqué de la légitimité nécessaire pour réussir. Issu du clan du président Ouattara et ayant battu campagne pour lui lors de la présidentielle de 2010 ; il a été récusé par les pro-Gbagbo pour son manque de neutralité. Or, l’un des principes élémentaires pour réussir une réconciliation est la neutralité de la personne chargée de la conduire. Aussi, la traque des pro-Gbagbo à travers le gel de leurs avoirs, l’occupation de leurs maisons et les poursuites judiciaires ; les ont conduits à ne pas se sentir concernés par la réconciliation prônée par Ouattara. Malheureusement, l’ONUCI n’a pas pu peser davantage sur le président Ouattara afin qu’il donne de réels gages de succès à la réconciliation. Par conséquent, la réconciliation nationale s’est faite dans un environnement qui ne garantissait pas son succès. Aujourd’hui, la recherche d’une véritable réconciliation nationale doit se poursuivre avec la pleine participation de toutes les parties prenantes afin d’empêcher la survenance de violences et de conflits.
Une justice transitionnelle inefficace
Le processus de justice transitionnelle en Côte d’Ivoire a été inefficace. Inféodée à l’exécutif, la justice a poursuivi exclusivement le camp de l’ex président Laurent Gbagbo. Aucun baron de l’ex rébellion, malgré les soupçons de crimes qui pèsent sur eux, n’a été poursuivi. Aussi, deux mandats de la Cour Pénale Internationale ont conduit au transfèrement du président Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé (proche de Gbagbo) à la Haye. Malgré les dénonciations de cette justice à double vitesse par les organisations de défense des droits de l’Homme, le président Ouattara n’a pas renoncé à sa volonté de protéger son clan. Oubliant que l’impunité d’aujourd’hui constitue le crime de demain. Une amnistie pour une grande partie des protagonistes de la crise postélectorale et la poursuite par la justice de tous les auteurs de crimes contre l’humanité, crimes de sang et crimes de guerre aurait été une meilleure approche. Face à cette justice partiale, l’ONUCI dont les rapports ont révélé les massacres et les graves violations de droits de l’homme n’a pas pu faire infléchir le pouvoir ivoirien. La culture d’impunité règne toujours dans le pays et la justice continue d’être partisane. Or la paix et la cohésion sociales ne peuvent s’enracinées durablement dans un environnement d’injustice et d’impunité.
Le quasi-échec du DDR
L’ONUCI a accompagné la Côte d’Ivoire dans le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). Ce processus s’est avéré un quasi échec. Des responsables de l’ex-rébellion et nombre d’ex-combattants n’y ont pas réellement adhéré. C’est ainsi que dans un rapport rendu public le 4 avril 2016, des experts indépendants de l’Organisation des Nations Unies soupçonnaient le président de l’Assemblée Nationale et ex-leader de la rébellion, Guillaume Soro de détenir secrètement 300 tonnes d’armes et de munitions. La découverte d’une cache d’armes, en mai dernier, chez Souleymane Kamagaté Koné dit Soul To Soul, Chef de protocole du Président de l’Assemblée Nationale, a corroboré les dires des experts onusiens. Certains ex-combattants détiennent toujours des armes. Ceux qui ont intégré l’armée continuent d’être son talon d’Achille. Le DDR a finalement instauré une armée hétéroclite sans aucune discipline soufrant du manque d’une réelle chaine de commandement. Les mutineries successives qui ont secoué le pays durant le premier semestre de 2017 en sont la parfaite illustration. L’ONUCI laisse derrière elle une situation sécuritaire encore préoccupante. En témoigne le mouvement d’humeur de certains soldats, les 14 et 15 juillet derniers, à Korhogo et à Abidjan, qui a occasionné trois morts. Ils auraient voulu exprimer des récriminations en se servant de leurs armes selon le chef d’état-major général des armées, le général Sékou Touré. La Côte d’Ivoire repose sur une mine qui pourrait exploser à tout moment.
Après une mission de 14 ans en Côte d’Ivoire, l’ONUCI a permis d’éviter une guerre totale qui aurait vraisemblablement occasionné un génocide. Elle a eu des acquis insuffisants puisqu’elle a laissé une paix qui demeure fragile. Les progrès insuffisants réalisés par le gouvernement ivoirien pour la réconciliation nationale, la lutte contre la culture de l’impunité et le renforcement de l’État de droit ainsi que la réforme des forces de sécurité constituent des menaces pour les perspectives de paix et de développement à long terme. Il incombe donc au gouvernement ivoirien de relever ces défis afin d’éviter une autre mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire.
Safiatou Ouattara, chercheure ivoirienne.
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