Côte d’Ivoire: Geoffroy Kouao à Tiburce Koffi «Le porteur de la thématique de la réconciliation doit être crédible» (interview)

Par Connectionivoirienne

« C’est séduisant la réconciliation mais encore faut-il que le porteur de cette thématique soit crédible… » (Interview)

«En Côte-d’ivoire, les courageux, au sens noble du terme, font défaut »

Le débat politique est très animé ces derniers temps. L’analyste politique Geoffroy-Julien Kouao donne ici son avis sur plusieurs sujets et scrute les perspectives de la future présidentielle en Côte d’Ivoire

Quel regard critique sur la coalition EDS (Ensemble pour la démocratie et la souveraineté, coalition pro-Gbagbo dirigée par Pr. Armand Ouégnin, fondée le 20 avril 2017) deux mois après sa naissance ?
Après l’échec de la CNC (Coalition nationale pour le changement, créée entre le Fpi de Sangaré, Lider, Pit… et des personnalités politiques dont Banny, ndlr), l’opposition ivoirienne proche de Laurent Gbagbo avait besoin d’un instrument politique pour bousculer, un tant soit peu, la domination léonine du RHDP. Du strict point de vue stratégique, c’est bien pensé. Cependant, l’EDS traine deux handicaps fonctionnel et idéologique. Sur le plan fonctionnel, quels sont les relais de l’EDS auprès des populations? La fracture frontiste ne rend-t-elle pas inaudible le message de l’EDS auprès d’une partie des militants frontistes proches du premier ministre Affi N’Guessan? Sur le plan idéologique, on le sait, le FPI et Laurent Gbagbo sont de Gauche or, tout le monde le sait, la souveraineté est une thématique de la droite voire de l’extrême droite. Ceci étant dit L’EDS a le mérite d’exister.
En l’état actuel de la configuration du paysage politique, le Rdr au pouvoir peut-il vraiment redouter une concurrence sur le marché politique ?
Le charme de la démocratie réside dans son incertitude électorale. Nonobstant son poids institutionnel, sociologiquement le RDR, le PDCI et le FPI restent des forces politiques égales. Il suffit simplement que le FPI arrive à juguler ses contradictions internes, que le PDCI se décide à assumer son destin politique que les choses seraient autrement pour le RDR. En sus, le monde change, la Côte d’Ivoire aussi. De nouvelles forces politiques peuvent venir bousculer les partis traditionnels qui, à l’observation, sont essoufflés et atteints par l’automne des idées.

Est-ce qu’un attelage Pdci – Eds serait un palliatif à la morosité actuelle ?

Quelqu’un disait qu’en politique il n’y a pas de mauvaise alliance, même si je ne partage pas cet avis impolitique, une alliance entre le PDCI et l’EDS est plausible dans un paysage politique ivoirien où l’idéologie ne compte pas. Cette alliance pourrait avoir un but électoraliste. Mais je ne pense pas que c’est la solution pour sortir de la morosité politique ivoirienne comme vous le dites. L’émergence de nouvelles forces politiques avec des hommes et femmes politiques nouveaux avec un nouveau logiciel politique pourrait être la solution. Je pense que, après trois décennies de batailles politiques dans le cadre multipartite, le RDR, le PDCI et le FPI sont essoufflés. Ils incarnent davantage le passé que l’avenir.

Alassane Ouattara devant les députés européens en début de semaine a déclaré et je cite « 2020, ce n’est pas maintenant », dans une sorte d’autosatisfaction sur quelques points de son bilan politique. Comment analysez-vous ce discours au moment même où une guerre de succession fragilise son camp ?

Non, je ne partage pas le point de vue de M. Ouattara, 2020, justement c’est maintenant. Dans une démocratie, la bataille électorale, surtout pour la présidentielle, commence tôt, en ce sens que les potentiels compétiteurs doivent sillonner tout le territoire national et surtout dérouler le contenu de leur programme pour situer davantage le corps électoral sur leurs capacités à gouverner. Relativement à la succession, la république n’est pas une monarchie pour qu’on parle de succession, dans une république on parle de remplacement. Nuance. Il est légitime que les proches de M. Ouattara veuillent chacun le remplacer sur le tabouret présidentiel (le palais présidentiel du Plateau a la forme d’un tabouret), seulement , au-delà de la rivalité anecdotique et du fait divers auxquels ils s’adonnent au quotidien, , il serait heureux que les aspirants à 2020 déroulent le contenu de leur programme sur les grandes thématiques politiques pour construire leur stature d’hommes politiques et surtout d’hommes d’Etat, parce que pour l’instant, les analystes et observateurs restent sur leur faim.

Justement les analystes restent sur leur faim parce qu’il y a aussi la question financière en politique. Le maître argent qui finalement régente tout dans notre système démocratique. Vous parlez souvent de ploutocratie. Pensez-vous qu’un leader à la  »Talon » peut émerger ici ? Autrement dit face à l’offre politique actuelle, nous faut-il un riche pour bouleverser l’establishment actuel ?

C’est une idée erronée que de penser que la politique est la seule affaire des riches.Un exemple, Laurent Gbagbo n’était pas riche mais il a réussi à instaurer le multipartisme. C’est avec les idées et le courage qu’on fait de la politique. Malheureusement, pour l’instant en Côte d’Ivoire, nous n’avons pas de porteurs d’idées et les courageux, au sens noble du terme, font défaut. Les potentiels présidentiables pensent tous et agissent tous à l’ombre de Bédié, de Ouattara et de Gbagbo. Ils ne peuvent pas apporter la rupture que souhaitent les Ivoiriens. Il faut des hommes nouveaux, des idées nouvelles dans des espaces politiques nouveaux.
N’empêche que l’argent tient une place. Point d’argent, point d’électeurs, semble admettre l’opinion !

C’est une conception réductrice de la politique. L’argent est un moyen mais pas une finalité. Nuance. En sus, les électeurs ne sont pas des marchandises pour qu’on leur fixe un prix. Ce sont des êtres pensants. Quand je parle de ploutocratie, je dénonce le fait qu’on institue dans le code électoral (article 55) un cautionnement de vingt millions pour être candidat à la présidentielle, pourquoi on ne dirait pas que pour être président il faut avoir une agrégation, ou avoir 15 enfants par exemple? Retenez ceci : c’est avec les idées et le courage qu’ont fait de la politique. L’exemple de milliardaires qui ont échoué politiquement abonde.
Avez-vous personnellement un pronostic sur 2020 sur les potentiels candidats qui pourraient faire sensation même si rien n’est encore amorcé à gauche comme à droite ?
Objectivement, 2020 reste une page blanche ou rien n’est encore écrit et où tout reste à écrire…

Guillaume Soro ferait-il un bon candidat malgré son passé qui reste son handicap ?

Le bon candidat en 2020 sera celui ou celle qui aura un projet de société soutenu par une vision politique qui montre clairement les objectifs opérationnels et les mesures à prendre pour une Côte d’Ivoire paisible et prospère. Le meilleur candidat sera aussi celle ou celui qui croit aux valeurs républicaines et qui respecte les principes démocratiques de conquête et de conservation du pouvoir.

Dans son approche, il prône la réconciliation et le pardon, des députés ont même formé un noyau autour de lui dans cette optique. Récemment, dans une tribune, l’écrivain Tirbuce Koffi a dépeint un héros à qui il faut donner sa chance de réparer ce qu’il a gâté. Pensez-vous qu’il a la chance d’être réhabilité quand il inspire le rejet de son propre camp au pouvoir ?

Il appartient au seul peuple ivoirien de décider de la réhabilitation ou non d’un homme politique. La thématique de la réconciliation nationale est politiquement séduisante, encore faut-il que les porteurs de cette offre politique soient audibles et crédibles. On comprend alors le recours aux intellectuels pour structurer le discours, sublimer les postures et donner aux actes une certaine justesse. Mais, le chemin reste long, la tâche pas aisée. Peut-on être après avoir été ?

Par S. Debailly
sdebailly@yahoo.fr

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