« Les images misérables de l’Afrique dans les médias occidentaux : «C’est aux Africains de montrer le contraire», selon Seidik Abba

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Dans cette deuxième partie de l’entretien que l’écrivain et journaliste nigérien Seidik Abba a accordé à Fratmat.info, il parle de l’image de l’Afrique dans les médias européens. Mais, surtout de la nécessité pour l’Afrique d’avoir de grands médias indépendants et professionnels.

A la lecture de vos ouvrages on observe que vous n’écrivez que sur le Niger. Les autres pays du continent ne vous intéressent-ils pas ?

Oui, c’est tout à fait exact. Cette critique est recevable. Je suis de plus en plus encouragé à écrire sur l’Afrique de l’Ouest pour éclairer d’autres choses et sortir de mon espace nigéro-nigérien. Je peux le faire. Mais ça viendra. C’est une perspective à laquelle je réfléchis. Pour l’instant, je continue d’écrire sur mon pays parce qu’il y a des points importants dans l’histoire de la vie socio-politique Niger qui n’ont pas encore été éclairés. Il n’y a pas eu de productions intellectuelles. Et c’est ce vide que j’essaie de combler. Si j’avais la certitude qu’il y aurait d’autres personnes qui pourraient s’en occuper, moi effectivement je me consacrerai à écrire sur des problématiques transfrontalières, des problématiques nationales. Par exemple j’interviens beaucoup dans les médias sur les questions de terrorisme, d’intégration régionale, les défis du développement en Afrique. Sur ces questions-là je suis beaucoup attendu et je pense que quand l’occasion me sera donnée je vais écrire un livre.

Ce sera pour quand ?

Aujourd’hui, il me manque le temps d’écrire. Ce n’est pas les projets éditoriaux qui me manquent. C’est le temps d’écrire qui me manque. Et Comme malheureusement les livres ne font pas encore vivre leurs auteurs, je suis obligé de travailler à côté de l’écriture et du coup je n’ai pas suffisamment de temps pour écrire.

Vous êtes à combien de livres aujourd’hui ?

Je suis à 5 ouvrages publiés à l’Harmattan et je travaille sur 3 projets éditoriaux. Je pense que cette année 2017, j’aurai un ou deux ouvrages qui vont sortir aux éditions l’Harmattan et un autre probablement chez un autre éditeur éditorial. 2016 a été une année blanche pour moi. Mais je vais essayer de me rattraper cette année avec un ou deux œuvres.

Comment vos livres sont-ils accueillis par le public français ?

Les livres sont bien accueillis. Je pense qu’ils m’ont aidé à construire mon image de spécialiste de l’Afrique, et particulièrement du Niger. Mes livres sont très bien appréciés. Le livre qui a été la plus apprécié est celui qui a été le plus controversé c’est-à-dire «Niger la junte militaire et ses dix affaires secrètes (2010-2011)» aux éditions L’Harmattan. Alors que pour moi, un ouvrage comme mes entretiens avec le professeur Boubakar Ba a présenté plus d’intérêt. Puisque c’est l’histoire de l’enseignement supérieur au Niger. C’est l’histoire d’un parcours qui peut inspirer le jeune nigérien. C’est aussi l’alternative de l’enseignement supérieur en Afrique qui est posé.

L’image de l’Afrique projetée dans les médias occidentaux est toujours négative. On parle très rarement de l’Afrique qui bouge. Comment peut-on expliquer cela ?

Comme a dit si bien Aliko Dangote, l’homme d’affaires nigérian, considéré comme l’homme le plus riche d’Afrique, lorsqu’on demande à la presse française de présenter Abidjan, ils ne vont pas aller au Plateau, ni dans les quartiers où ils peuvent donner l’impression d’une ville africaine qui a réussi. Ils vont aller chercher d’autres quartiers. Je crois que l’image d’une Afrique misérabiliste est très persistante dans la presse et l’opinion occidentale et française. On dirait qu’il y a une attente quand on montre les images sur cette Afrique. L’Afrique émergente, l’Afrique qui bouge avec ses réseaux sociaux, avec ses jeunes. Cette image ne prospère pas encore. Il y a comme de la résistance. Mais cela m’amène à parler aussi des enjeux pour l’Afrique d’avoir une presse de qualité, une presse de niveau, une presse professionnelle. Lorsqu’un état ou une personnalité africaine soutient un média, en contrepartie, elle attend que le pouvoir soit mis en valeur ou ses alliés, etc. Moi j’attends souvent des dirigeants africains se plaindre des traitements des dossiers de leurs pays fait par des médias occidentaux. Qu’est-ce qu’ils font eux-mêmes pour que nos pays aient une presse indépendante. Ils ne font rien. Après ils se plaignent qu’ils sont attaqués dans les médias européens. S’ils mettent les moyens pour qu’il y ait une presse indépendante et professionnelle je pense qu’on n’aurait moins d’image misérabilisme de l’Afrique.

Quel modèle économique faut-il pour avoir ces médias indépendants pour l’Afrique ?

Il faut des mécènes, des fondations pour faire de la presse professionnelle. Mais sans se mêler dans l’aspect éditorial. On lève 25 millions de dollars ou 25 millions d’euros. On crée une fondation qui a un conseil d’administration et on interdit à ceux qui ont mis l’argent d’interférer dans la ligne éditoriale. Ce n’est pas les professionnels qui nous manquent. Il y a beaucoup de gens qui travaillent pour d’autres médias qui auraient pu travailler pour des médias africains. Il y a beaucoup de compétences à la fois sur le continent qu’en dehors du continent. Donc pour une presse professionnelle, ce n’est pas les professionnels qui nous manquent mais c’est le modèle économique qui pose encore problème. Et il faut ce modèle-là.

Mais, il a y eu des expériences de médias pour porter la voix de l’Afrique comme l’agence de Pana et la Radio Africa N°1 ?

Oui. Mais, il y a eu des problèmes de gouvernance. Sur ce plan, je suis catégorique. Mais il y a encore de la place pour une agence panafricaine d’informations. Il y a aussi une place pour une radio. Ainsi qu’une télévision. Les personnes qui avaient été portées à la tête de ces médias n’avaient pas de vision à long terme pour l’Afrique. Ils ont eu une vision à courte vue. Et les conseils d’administration n’ont pas fonctionné. Les différents canaux n’ont pas fonctionné. Aujourd’hui on se retrouve avec des médias sans moyens. La Pana a eu des moyens à un certain moment de son existence. Mais ils n’ont pas été utilisés pour son développement, pour sa professionnalisation. Du coup, elle se retrouve dans cette situation qu’elle traverse aujourd’hui. C’est la même chose pour Africa No1. Cette radio était à un moment donné la voie de l’Afrique. Elle avait une certaine audience sur le continent, des correspondants un peu partout. Écouter notamment les retranscriptions des matchs de football. Mais le problème de la gouvernance a fait qu’aujourd’hui, elles se retrouvent quasiment dans l’inexistence.

Quel commentaire faites-vous du fait que nos gouvernants africains préfèrent s’adresser aux médias européens qu’aux médias locaux ?

Ce n’est qu’un scandale. Moi ce que je pense, nos dirigeants doivent regarder ce que les dirigeants occidentaux font. Je n’ai jamais vu en France François Hollande accorder une interview aux New York Times avant d’accorder une interview au journal Le Monde. C’est la même chose quand vous allez en Allemagne. Aussi, quand vous allez en Grande Bretagne, etc. Mais pourquoi nous faisons différemment ? Au lieu de s’expliquer dans nos médias sur notre continent, nos gouvernants préfèrent d’abord aller dans les médias d’autres pays. Et par la suite, ils viennent se plaindre que leurs propos ont été tronqués vice-versa. Il faut sortir de ce schéma, de ce complexe colonial.

Vous intervenez beaucoup sur le terrorisme en Afrique sur les plateaux de télévisons. L’Afrique peut-il vaincre ce phénomène sans l’aide des occidentaux ?

Dans les schémas actuels de nos dirigeants, on ne peut pas arriver à bout parce qu’eux-mêmes pensent qu’il faut l’aide de l’occident pour vaincre le terrorisme. S’ils étaient déterminés, ce n’est pas les moyens qui manquent sur le continent. Si nos dirigeants choisissent de changer leur façon de voir les choses, on peut y arriver. Mais comme ils n’ont pas choisi de changer leur façon de voir les choses et veulent continuer dans cette lancée, je pense qu’on n’y arrivera pas. On ne peut pas déléguer notre sécurité à quelqu’un d’autre. Il fera ce qu’il veut. Donc c’est pour cette raison qu’à mon avis il faut qu’il ait une prise de conscience et que nous comprenions que nous pouvons y arriver. Pourquoi ne pas mutualiser les moyens ? . La Côte d’Ivoire a de l’argent, et le Tchad a une armée très efficace. Le Nigeria a des avions de guerre. Pourquoi ne pas se mettre ensemble. Moi je préfère aujourd’hui que le Niger ou la Côte d’Ivoire fasse appel aux troupes du Nigeria et de l’Algérie plutôt que d’aller vers la puissance coloniale et après-demain dire que notre souveraineté a été bafouée. Il faut être conséquent. Malheureusement, nous ne le sommes pas.

Interview réalisée par
Théodore Kouadio
theodore.kouadio@fratmat.info
Fraternité Matin

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