Côte d’Ivoire: Les juges de la CPI sont “connus pour leur impartialité et leur intégrité” affirme Cuno Tarfusser

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Ivoire Justice

Choisis pour leurs compétences en droit pénal ou international, reconnus pour leur intégrité et leur indépendance, dix-huit juges travaillent à la Cour pénale internationale. Mais que sait-on exactement des missions et des responsabilités incombant à ces hauts magistrats ?

Par Anne Leray

La Cour pénale internationale (CPI) compte dix-huit juges dont six femmes. Cette proportion hommes – femmes est fluctuante, le tiers des juges étant renouvelé tous les trois ans. Les candidats, présentés par leur Etat et évalués par plusieurs comités indépendants, sont élus à bulletins secrets par l’assemblée des Etats parties au statut de Rome. Ils étaient jusque-là 124 à donner leur voix, mais le fait que trois pays africains aient récemment affiché leur volonté de quitter la CPI (Afrique du Sud, Burundi et Gambie) réduira peut-être bientôt le nombre de votants.

Belgique, Nigeria, République Tchèque, Japon, Argentine…, les juges de la CPI viennent des cinq continents, sont élus pour une durée de neuf ans, et ne sont pas rééligibles. Si un procès est en cours à la fin de leur mandat, ils seront prolongés jusqu’à conclusion de la procédure engagée. Cela a par exemple été le cas pour la juge brésilienne Sylvia Steiner dont la mission devait s’arrêter en 2012. Elle a ainsi exercé quatre années supplémentaires pour mener à terme le procès de l’ex-vice-président de la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba, condamné en juin 2016 à dix-huit ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

La plupart des juges arrive à La Haye avec une carrière déjà bien étoffée. Aussi ont-ils 61 ans en moyenne, et 49 ans pour le plus jeune d’entre-eux. Haute instance permanente à dimension internationale, la CPI est-elle une cour attractive ?

« Travailler à la CPI est considéré comme prestigieux. Il y a une compétition assez élevée pour y avoir accès. Il est difficile d’être présenté comme candidat par un Etat sans avoir eu un certain parcours auparavant », explique un salarié de l’institution. « Etre juge dans une Cour de justice internationale représente le sommet d’une carrière », estime de son côté l’Italien Cuno Tarfusser, juge à la CPI depuis 2009 et actuellement juge-président du procès Gbagbo-Blé Goudé (1).

Des juges connus pour leur impartialité et leur intégrité

En première instance (2), les juges sont trois à travailler sur un même procès, aidés par des assistants juridiques. Ils siègent simultanément aux audiences qui, à la CPI, requièrent généralement un grand nombre de salariés. C’est le cas du complexe procès Gbagbo, première affaire impliquant un ancien chef d’Etat. Prévu pour durer environ quatre ans, le procès met plus de trente personnes au travail à chaque séance : les juges, la procureure à l’origine des investigations et des enquêtes qui ont conduit les accusés devant la Cour, la défense composée d’avocats, les greffiers chargés de la gestion des preuves, les techniciens du dispositif de protection des témoins et les personnels de sécurité. Les procès étant traduits en anglais, en français ainsi que dans la langue des accusés et des victimes, transcripteurs, traducteurs et interprètes sont aussi à l’oeuvre.

Un procès est un processus au long cours, et le fait que le droit pénal international compile plusieurs systèmes juridiques rend la tâche ardue. Les juges ont face à eux d’anciens responsables politiques, d’anciens rebelles ou miliciens, accusés de crimes commis loin de la CPI. Leur rôle n’est pas seulement de les juger et de faire appliquer la loi. Ils veillent également à l’équité des procès et au bon déroulement des audiences, écoutent et analysent les témoignages, dirigent et arbitrent les séances, distribuent la parole aux parties civiles, tranchent et rendent des centaines de décisions. Avant un procès, les juges émettent des mandats d’arrêt, établissent le nombre de témoins qui interviendront, évaluent les mesures de protection à prendre pour les protéger et organisent la participation des victimes.

« Les juges sont choisis parmi des personnes jouissant d’une haute considération morale, connues pour leur impartialité et leur intégrité » peut-on lire sur le site de la CPI. Que se passe-t-il lorsque les témoignages des victimes sont bouleversants, que les horreurs commises et décrites sont éprouvantes, et que l’émotion transpire sous la robe bleue d’un juge de la CPI ? « Nous sommes des professionnels et nous devons le rester le plus possible, tout comme un médecin à l’hôpital face à un patient en difficulté. Bien sûr que l’on n’est pas toujours content et que l’on ressent des émotions mais on doit les dominer. En revanche les cacher reviendrait à mentir », développe Cuno Tarfusser, précisant avant tout être guidé par « les faits, la loi et l’honnêteté intellectuelle ».

« Ecrire une petite partie de l’Histoire »

Après des années de procès, des centaines d’heures d’audience sous le ciel de néons de la CPI, des milliers de pages d’éléments de preuves…, il est l’heure de délibérer en secret et de rédiger un jugement. On peut imaginer que face à tant d’informations, il n’est pas aisé de conclure. « Il n’y a pas de limite de temps pour délibérer. Dans le cas du procès Bemba cela avait duré dix-sept mois, ce qui est très long », indique la CPI. Ce délai permet donc de prendre la distance que nécessite l’impartialité. « Oui c’est difficile de rendre un jugement, mais les décisions se prennent pas étape, ce n’est pas une ligne droite. Les idées se développent et mûrissent de jour en jour dans l’esprit d’un juge. Plus la fin du procès approche et plus l’opinion doit être solide. Elle est discutée et mise en évidence avec les autres juges », précise Cuno Tarfusser. L’épais document résultant du jugement fera entre 400 et 700 pages, et sa synthèse sera prononcée lors d’une audience publique. Si l’accusé est reconnu coupable, les peines et les réparations seront également prononcées.

Ouverte en 2002, la CPI est une cour relativement jeune, une adolescente diront certains. Une jeunesse qui n’est pas dénuée d’intérêt aux yeux du juge Tarfusser. « Ici tout est nouveau, il y a sans cesse des choses à développer et améliorer. Chaque question et chaque problème arrivant sur votre bureau de juge est potentiellement inédit. Il faut tenter de trouver des solutions en restant conforme à la loi. Ce qui aura été décidé avec d’autres juges va créer un précédent, lié à une vision des choses. Il s’agit de concevoir, jour après jour, les bases de la loi internationale, et on a parfois l’impression d’écrire une petite partie de l’Histoire. »

(1) Cuno Tarfusser a accepté de répondre à nos questions à condition de ne pas évoquer le procès Gbagbo-Blé Goudé, un juge ne pouvant s’exprimer sur une affaire en cours.

(2) Les juges sont affectés au sein des trois chambres que compte la CPI : chambre préliminaire (étude des requêtes qui autorise ou non le début d’une enquête pouvant déboucher sur un procès), chambre de première instance (procès et jugement), chambre des appels (jugement des affaires portées en appel)

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