Enquête: Agents de sécurité privée en Côte-d’Ivoire, un esclavage qui continue

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La sécurité est définie par le dictionnaire Larousse comme la « situation dans laquelle quelqu’un, quelque chose n’est exposé à aucun danger, à aucun risque, en particulier d’agression physique, d’accidents, de vol, de détérioration ». Elle est publique ou privée.

La sécurité publique est celle qui est régie par l’Etat et gérée par ses institutions de Police que sont la gendarmerie et la police nationales. Elle est mise en place en vue de protéger toutes les personnes vivant sur le territoire sans exception. Ainsi, on parlera de sécurité privée lorsqu’elle ne dépendra pas de l’instance publique, qu’est l’Etat, mais plutôt des particuliers, associations ou entreprises. L’Etat concède aux entreprises de sécurité privée une partie de ses prérogatives afin que ces dernières participent à la sécurisation des biens et des personnes.

La sécurité privée a un coût. Elle va donc s’adresser aux personnes qui voudront bien payer les différentes prestations des structures de sécurité privée. Elle s’intéresse qu’au client à l’exclusion de toute autre personne. C’est en ce sens qu’elle est qualifiée par Maurice Cusson (Professeur à l’école de Criminologie. Chercheur, Centre International de Criminologie comparée. Université de Montréal) de sécurité particulière.

En Côte-d’Ivoire, qu’est-ce qui a favorisé la création des structures de sécurité privée?

Répondre en une phrase à cette interrogation, qui demande une étude étiologique approfondie, peut paraître présomptueux car des thèses et des articles scientifiques ont été écrits sur la sécurité privée en Côte-d’Ivoire. L’on peut néanmoins évoquer comme cause l’insuffisance des moyens de l’Etat de Côte-d’Ivoire, voire même son incapacité à assurer la protection de sa population totale. La nature n’aimant pas le vide, l’on a assisté à un « pullulement » des maisons de sécurité privée en Côte-d’Ivoire.

Il faut comprendre que les entreprises de sécurité privée viennent pallier un déficit (humain, économique et matériel) de l’Etat en matière de sécurisation des populations ivoiriennes qui en demandent une, spécialement.

En général, les actions des structures de sécurité privée se résument en des actions préventives et non en des interventions conflictuelles avec le criminel comme peuvent le faire les organes de police.

Que devenons-nous comprendre par actions préventives en matière de sécurité privée en Côte-d’Ivoire?

« A chez nous pays », les maisons de sécurité privée excellent dans l’utilisation d’individu appelé agent de sécurité privée ou vigile, pour constituer une barrière physique entre la cible (la personne, le site etc.) et le potentiel criminel. Elles comptent donc sur l’effet de la dissuasion. Pour des structures comme G4S et Puissance 6, en plus de l’agent, proposent d’autres barrières physiques aux clients tels les barbelés et/ou des grilles électriques. Ou encore du matériel électronique (caméra) afin d’assurer une vidéosurveillance du site.

Agent de sécurité, barricades (murs, barbelés, grilles électriques) et appareil électronique (caméra) peuvent constituer ce qu’on appelle la prévention situationnelle. Elle réduit au mieux l’accessibilité aux cibles (personnes et biens).

Cependant en Côte-d’Ivoire, comme sus-indiqué, dans bien de sociétés de sécurité privée, toute la stratégie préventive repose sur les épaules de l’agent de sécurité. Agent de sécurité privée, le « RAMBO ivoirien », celui dont la présence consolide et pérennise le contrat entre le demandeur (le client) et l’offrant (la maison de sécurité privée) est traité comme un sous-homme par ses employeurs.

En effet, pour leurs employeurs, ce sont des « éléments ». Ce sont des objets qui leurs permettront de gagner de l’argent. A voir leur accoutrement, l’on pourrait certainement les y assimilés. Mal habillés, mal chaussés, mal coiffés, mal traités; la prophétie de leurs employeurs se trouve être réalisée. Pendant ce temps, « leurs bourreaux » à savoir ceux qui les emploient s’engraissent avec les contrats juteux.

L’élément, face à la précarité de la vie en Côte-d’Ivoire, accepte un contrat (quand il existe) qui le maintiendra dans sa position d’élément jusqu’à ce qu’il décide de fuir son bourreau sans ses droits. C’est le cas par exemple à BAB Sécurité et Méga où le salaire de l’agent est de 40.000 FCFA; à S.I.G. (le contrat de travail n’existe pas) et Elite Sécurité (le contrat de travail existe, mais une copie n’est pas rendue à l’agent) de 50.000 FCFA à 60.000 FCFA.

Le second aspect que l’on peut relever dans la situation tragique vécue par les agents de sécurité privée de Côte-d’Ivoire est lié au salaire. Les salaires présentés dans ces structures de sécurité privée sont payés uniquement que lorsque le client ait payé ses factures. En d’autres termes, si le client n’a rien encore donné comme argent, l’agent patientera. Peu importe le temps, l’agent devra attendre. Cependant des cas extrêmes existent dans ce milieu. Comme illustration, nous avons Anderson, agent de sécurité à S.I.G. qui ne percevait pas à chaque fin du mois la totalité de son salaire (salaire qu’il recevait chaque 15 du mois) depuis 3 mois alors que le comptable de la Clinique Sainte Trinité des Deux-Plateaux payait ses factures. Monsieur Séa (un des agents de l’administration de S.I.G.) interrogé n’a pas pu donner de raisons qui puissent justifier cette attitude esclavagiste.

A côté des modalités de paiement, il y a les problèmes liés aux jours de repos. A Elite Sécurité, les jours de repos sont retranchés du salaire de base (60.000 FCFA). En gros, l’agent a droit à 4 jours de repos dans le mois. S’il décide de se reposer, 8.000 FCFA sont déduis de son salaire. Même malade, il faut se rendre sur le site. Et surtout malheur à celui qui perd un proche. Ses jours de déplacement pour les obsèques sont retranchés du salaire et comme lots de consolation mépris ou indifférence sont réservés à l’agent.

Ces pratiques sont légions dans ce secteur et sont à l’origine des heurts constatés ça et là aux portes des entreprises de sécurité privée de Côte-d’Ivoire.

Il faut tout de même noter que parmi « ces chercheurs de millions », il est des structures sensées comme G4S (meilleur exemple en Côte-d’Ivoire), Puissance 6, Flash, Bip sécurité qui font des efforts pour améliorer l’image et les conditions de vie de ces abandonnés de l’Etat.

Bref, les tentatives de ces structures ne peuvent à elles seules combler les dérives inhumaines constatées dans ce secteur.

Et bien, oui, l’OIT (Organisation Internationale du Travail), en Côte-d’Ivoire, l’agent de sécurité privée est lésé dans ses droits au su et au vu des autorités publiques. Car dans ce secteur, « vous pouvez vous faire de l’argent sans que l’Etat de Côte-d’Ivoire ne vienne vous demander des comptes au sujet des individus que vous employez ». C’est ainsi qu’à Elite Sécurité, les ‘‘patrons des lieux’’ crient à haute et intelligible voix à qui veut l’ouïr : « si l’élément est fatigué de subir nos conditions, il peut s’en aller. En Côte-d’Ivoire, il n’y a pas de boulot. On verra comment il vivra. Dans tous les cas 1 (un) de viré, 10 (dix) de gagnés. On ne lui a jamais dit que 1 (un) est mieux que 0 (zéro) », fin de citation.

C’est dans ce 1 est mieux que 0 que se trouve l’agent de sécurité privée de Côte-d’Ivoire; coincé également entre la mort et la prison.

La mort, parce qu’en général, l’agent est muni d’un « Tofa » et sans formation adéquate, en face de criminels armés très souvent de kalachnikov.

La prison, puisque, quand il n’est pas tué, assassiné, le client est persuadé (le client sent la misère de son vigile) que l’agent de sécurité présent sur le site est un complice ou l’instigateur de l’infraction. Tout comme la police qui le gardera en détention plus que préventive. Et ce, encouragé par ses employeurs qui se désengagent en l’accusant de n’avoir rien fait pour avertir à temps le PC radio à l’aide de son talkie walkie. Ici, seule la magnanimité du client sauvera l’agent de cette impasse.

En outre, quand les anges de la mort et les démons de la prison refusent de s’emparer de l’agent de sécurité privée; ce dernier maltraité et méprisé par ses employeurs se mue en « boy ». Il devient sur le site l’homme à tout faire.

C’est ainsi que dans les lieux publics, l’on les voit courir les rues de la commune du Plateau, cherchant une cabine téléphonique pour effectuer le transfert d’un de ses nombreux « boss ». Ou encore, l’on les voit porter l’habit du « djôsseur de naman » dans l’unique souci de pousser les « tontons grottos », les hommes de la renaissance à sortir les sous. Les temps sont durs, il faut qu’il mange aussi.

Dans les domiciles, il y a deux situations. Il y a des clients qui ont de l’empathie pour leur agent de sécurité privée. Sans que l’agent ne revête l’habit du « boy », ils le comprennent et lui proposent même d’améliorer sa condition. C’est le cas de Djédjé, ex-agent à BAB Sécurité qui est aujourd’hui le chauffeur d’un riverain de la cité qu’il surveillait à Attoban (Abidjan-Cocody).

Il faut relever que ce n’est pas au client de penser améliorer les conditions de son vigile puisqu’il paie déjà ses factures. Et la société qui l’emploie assure le client qu’elle paie son vigile régulièrement.

Le deuxième cas, l’agent de sécurité privée est celui qui lave les véhicules; nettoie les chiens; va à la boutique du quartier acheter des cubes Maggi; accompagne l’enfant à l’école etc. Toutes ces choses acceptées ou sont faites spontanément par l’agent car il aimerait « toucher le cœur » du client comme on le dit en Côte-d’Ivoire. Peut être qu’un jour, son boss l’aidera. Mais dans le présent, ses actions permettront à l’agent de manger gratuitement à midi et le soir ou recevoir en passant des gratifications de la part de la maîtresse de maison.

Quand ces stratégies ne marchent pas, l’ultime cartouche, ce sont les dames/filles de ménage (les servantes). Lier une amitié avec elle, c’est bon. Lier une intime amitié avec la fille de ménage, c’est encore mieux. Car l’avoir dans sa poche ou ailleurs, c’est ne pas mourir de faim et c’est rentrer chez soi avec des emportés en attendant la paie de ses employeurs. C’est ce qu’à cerner une dame (vivant à Attoban), membre du personnel de l’Ambassade du Burkina-Faso qui change sa fille de ménage à chaque fois qu’elle la surprend en pleine causerie avec un agent de sécurité privée dans sa cité.

Au regard de ce qui précède, est-cela la sécurité privée? Non, il faut donc assainir le milieu. Comment, dirait-on?

La sécurité, partout l’on affirme, c’est l’affaire de tous ou de tout le monde. Pris superficiellement, c’est vrai, mais lorsqu’elle est laissée à des professionnels et/ou à des spécialistes de la sécurité privée, c’est encore mieux. Pour dire que l’assainissement de ce secteur peut passer par la professionnalisation du secteur.

Professionnaliser le secteur reviendrait à réhabiliter l’image des maisons de sécurité privée et de leurs agents en se dotant :
D’un personnel administratif humaniste
D’un personnel chargé du recrutement de qualité
D’un cabinet managérial
D’une structure d’écoute et de soutien des vigiles

De critères de sélection qui prendront en comptent un peu plus souvent le niveau scolaire que physique des prétendants au poste d’agent. Les maisons de sécurité privée doivent dorénavant associer à la formation militaire (en effet, en voyant la formation des agents (G4S, Puissance 6) de sécurité privée de Côte-d’Ivoire, on a comme l’impression que ces agents constituent des forces en réserve en cas de défection de l’armée réligulière si un éventuel conflit adviendrait) une formation intellectuelle et technique.

Professionnaliser le secteur revient à penser des modalités de paiement qui permettront à l’agent de sécurité privée de subvenir à ses besoins primaires (manger, boire, se loger) car à Abidjan avec 40.000 FCFA, c’est difficile de penser aux besoins secondaires (entreprendre).

Professionnaliser le secteur, c’est aussi créer un organe de concertation voire même de consensus chargé de proposer un prix-seuil pour les types de contrats en Côte-d’Ivoire. Cet organe limitera la concurrence déloyale qui a pour but d’asservir l’agent de sécurité.
C’est l’exemple de G4S qui a laissé un contrat à S.I.G. parce que cette maison de sécurité privée proposait au client pour deux agents un contrat de 210.000 FCFA par mois. Alors que G4S en proposait plus de 400.000 FCFA afin de donner comme salaire à l’agent au moins 110.000 FCFA. Aujourd’hui, l’agent Ouéhi H. voit son salaire diminuer parce que le client propose maintenant de payer 170.000 FCFA pendant 3 mois (en guise de pénalité). Ce que l’administration de S.I.G. a accepté.

Professionnaliser le secteur,
c’est également encourager la formation de syndicat et de mutuelle des agents de sécurité privée dans chaque maison de sécurité privée de Côte-d’Ivoire.

Professionnaliser le secteur, c’est inévitablement penser une collaboration étroite avec les institutions de Police ivoiriennes.

Au niveau de l’Etat, il faut doter l’inspection du travail d’une structure mobile chargée de vérifier l’effectivité de l’existence de contrat entre l’employeur et l’employé ; puis d’évaluer les conditionnalités de travail dans ces services.

Avant de délivrer l’autorisation d’exercer dans ce secteur, l’Etat devra recevoir une copie de l’examen mental de l’employeur ; faire une enquête sociale véritable en vue de connaître l’employeur. Surtout proposer des conditions auxquelles devront satisfaire les personnes désireuses de s’adonner à ce secteur. Entre autres :

Remplir les formalités administratives et judiciaires
Avoir un personnel expérimenté et/ou ayant une connaissance en sécurité et prévention
Se doter de moyens servant à la pratique de l’activité de sécurité privée
Déclarer l’agent de sécurité privée à la CNPS
Délivrer une copie du contrat de travail à l’agent de sécurité privée et à l’inspection du travail
Assurer au moins 50 % des frais médicaux de l’agent de sécurité privée
Voter une loi en vue de sanctionner pécuniairement et pénalement toute entreprise de sécurité privée qui enfreindra les prescriptions sus-indiquées.

Grosso modo, toutes ces mesures d’assainissement proposées ont pour unique souci de participer à l’humanisation de ce secteur. Loin d’être un philanthrope, il est grand tant que l’Etat regarde les agents de sécurité privée qui souhaitent également émerger à l’horizon 2020.

La liste de propositions n’est pas exhaustive. Il faut une réelle reforme du secteur. En d’autres termes, il faut repenser la sécurité privée en Côte-d’Ivoire. Car, aujourd’hui, c’est un secteur où tous les coups sont permis sans que l’Etat ne dise mot.

Devant l’impuissance de l’Etat ou son inaction, les universitaires devraient s’emparer de ce secteur porteur afin de proposer des formations en adéquation avec la demande dans ce secteur. Mais, ces derniers notamment les criminologues ivoiriens sont préoccupés par le poste de doyen pour desservir les pauvres étudiants.

Pendant ce temps, la sécurité privée, un secteur d’avenir est aux mains d’opportunistes, d’inexpérimentés, de chercheurs de millions qui aggravent les conditions déjà dégradantes des populations ivoiriennes en quête d’une vie meilleure.

KOCA

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