La Haye, communiqué de presse : 27.09.2016
La Chambre de première instance VIII de la CPI déclare Ahmad Al Mahdi coupable du crime de guerre consistant à attaquer des bâtiments à caractère religieux et historique à Tombouctou et le condamne à neuf ans d’emprisonnement
Ce jour, 27 septembre 2016, la Chambre de première instance VIII de la Cour pénale internationale (CPI) a rendu son jugement dans l’affaire Le Procureur c. Ahmad Al Faqi Al Mahdi. Statuant à l’unanimité, la Chambre a conclu, au‑delà de tout doute raisonnable, qu’Ahmad Al Mahdi était coupable, en tant que coauteur, du crime de guerre consistant à avoir dirigé intentionnellement des attaques contre des bâtiments à caractère religieux et historique sis à Tombouctou, au Mali, en juin et juillet 2012. Elle a condamné Ahmad Al Mahdi à neuf ans d’emprisonnement. Le temps que celui‑ci a passé en détention depuis son arrestation en exécution du mandat d’arrêt délivré par la CPI le 18 septembre 2015 sera déduit de sa peine.
La Chambre de première instance VIII de la CPI est composée du juge Raul C. Pangalangan, juge président, du juge Antoine Kesia-Mbe Mindua et du juge Bertram Schmitt. Le juge Pangalangan a donné lecture en audience publique du résumé du Jugement portant condamnation.
Aveu de culpabilité
Le 22 août 2016, à l’ouverture du procès, Ahmad Al Mahdi s’est avoué coupable du crime de guerre consistant à avoir attaqué 10 monuments à caractère religieux et historique sis à Tombouctou, au Mali, entre le 30 juin 2012 environ et le 11 juillet 2012. Dans son jugement, la Chambre s’est déclarée convaincue que l’Accusé avait compris la nature et les conséquences de son aveu de culpabilité, qu’il avait fait cet aveu volontairement après consultation suffisante avec les conseils de la Défense, et que ledit aveu était étayé par les faits de la cause.
Constatations
En janvier 2012, le territoire du Mali était le théâtre d’un conflit armé ne présentant pas un caractère international. Des violences armées commises dans le contexte de ce conflit et associées à celui–ci ont conduit à la prise de contrôle du nord du pays par différents groupes armés. Début avril 2012, après le retrait des forces maliennes, les groupes Ansar Dine et Al‑Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) ont pris le contrôle de Tombouctou. À partir de là, et jusqu’à janvier 2013, Ansar Dine et AQMI ont imposé leurs exigences religieuses et politiques sur le territoire de Tombouctou et à la population. Ils l’ont fait au moyen d’une administration locale, comprenant un tribunal islamique, une police islamique, une commission des médias et une brigade des mœurs appelée Hesbah.
Considéré comme un spécialiste des questions religieuses, Ahmad Al Mahdi était consulté en cette qualité, y compris par le tribunal islamique. Il était très actif dans certains domaines de l’administration mise sur pied par Ansar Dine et AQMI. Il a dirigé la Hesbah depuis sa création en avril 2012 jusqu’à septembre 2012, et il a rédigé un document sur le rôle et les objectifs de celle‑ci.
Fin juin 2012, Iyad Ag Ghaly — le chef d’Ansar Dine — a pris la décision de détruire les mausolées, en consultation avec deux membres importants d’AQMI, Abdallah Al Chinguetti et Yahia Abou Al Hamman. Consulté par Abou Zeid – le gouverneur de Tombouctou — avant que cette décision ne soit prise, Ahmad Al Mahdi avait estimé que les juristes islamiques étaient unanimes sur l’interdiction de toute construction sur une tombe mais qu’il valait mieux ne pas détruire les mausolées, pour préserver les relations entre la population et les groupes d’occupation. Ag Ghaly a tout de même donné le feu vert à Abou Zeid, lequel a à son tour donné des instructions à Ahmad Al Mahdi, en l’occurrence chef de la Hesbah. En dépit de ses réserves initiales, Ahmad Al Mahdi a accepté sans hésitation de mener l’attaque lorsqu’il en a reçu l’instruction. Il a rédigé un sermon consacré à la destruction des mausolées, qui a été lu lors de la prière du vendredi, au lancement de l’attaque. Il a personnellement décidé de l’ordre dans lequel les bâtiments devaient être attaqués.
L’attaque elle‑même a été menée entre le 30 juin 2012 environ et le 11 juillet 2012. Dix des monuments les plus importants et les plus connus de Tombouctou ont été attaqués et détruits par Ahmad Al Mahdi et d’autres personnes. Tous ces biens étaient consacrés à la religion, étaient des monuments historiques et ne constituaient pas des objectifs militaires.
Le rôle d’Ahmad Al Mahdi
En ce qui concerne le rôle joué par Ahmad Al Mahdi, la Chambre a considéré que, prises dans leur ensemble, les contributions de celui‑ci constituent une contribution essentielle au crime.
La Chambre a constaté qu’Ahmad Al Mahdi savait qu’il exerçait un contrôle conjoint sur l’attaque et qu’il était pleinement impliqué dans l’exécution de celle‑ci. Il était le chef de la Hesbah, une des quatre institutions fondamentales mises en place par Ansar Dine et AQMI au début de l’occupation de Tombouctou. Il avait la responsabilité générale de la phase d’exécution de l’attaque, supervisant l’exécution des opérations, utilisant les hommes de la Hesbah et fixant l’ordre dans lequel les bâtiments seraient détruits, prenant les dispositions logistiques nécessaires et justifiant l’attaque auprès du reste du monde au moyen d’interviews avec la presse. Il était également présent sur tous les sites attaqués, donnant des instructions et apportant un soutien moral, et il a personnellement participé à l’attaque qui a conduit à la destruction d’au moins cinq des monuments.
La peine
Pour fixer à neuf ans la peine à infliger, la Chambre a tenu compte de la gravité du crime, du comportement coupable d’Ahmad Al Mahdi et de la situation personnelle de celui–ci. Elle a fait remarquer que, bien que fondamentalement graves, les crimes contre les biens le sont généralement moins que les crimes contre les personnes. Elle a néanmoins considéré que les bâtiments visés revêtaient non seulement un caractère religieux mais également une valeur symbolique et affective pour les habitants de Tombouctou. Les mausolées des saints et les mosquées de cette ville faisaient partie intégrante de la vie religieuse de la population et constituaient un patrimoine commun de la communauté. Ils attestaient de la dévotion de cette population à l’Islam et jouaient un rôle psychologique tel qu’ils étaient perçus comme une protection pour la population de Tombouctou. De plus, tous les bâtiments sauf un étaient inscrits par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité, et à ce titre, les attaques dont ils ont fait l’objet semblent particulièrement graves car leur destruction affecte non seulement les victimes directes des crimes mais aussi toute la population du Mali et la communauté internationale.
La Chambre a par ailleurs retenu cinq circonstances atténuantes :
(i) L’aveu de culpabilité d’Ahmad Al Mahdi et le fait qu’il ait manifesté un authentique repentir et livré un récit détaillé de ses actes. La Chambre a estimé que cet aveu de culpabilité était aussi de nature à favoriser la paix et la réconciliation dans le nord du Mali en atténuant les souffrances morales des victimes par la reconnaissance de l’importance de la destruction ;
(ii) La coopération avec l’Accusation dont Ahmad Al Mahdi a fait preuve malgré les risques que cela pouvait faire courir à sa famille au Mali, et le fait qu’il ait assumé la responsabilité de ses actes dès le premier jour de ses entretiens avec l’Accusation, ce qui a permis aux parties de parvenir à un accord à un stade suffisamment précoce de la procédure ;
(iii) Les remords et l’empathie qu’Ahmad Al Mahdi a exprimés à l’égard des victimes, notamment en exhortant les gens à ne pas participer à de tels actes et en offrant de rembourser le coût d’une porte détruite sur le site de la mosquée Sidi Yahia. Il a également exprimé son « profond regret et [s]a profonde tristesse » et affirmé avoir le remord des préjudices causés à sa famille, à sa communauté à Tombouctou, à son pays et à la communauté internationale ;
(iv) La réticence initiale d’Ahmad Al Mahdi à l’idée de commettre le crime et les mesures qu’il a prises pour limiter les dommages causés, en déconseillant l’utilisation de bulldozers pour détruire les bâtiments afin que les tombes voisines des mausolées ne soient pas endommagées et en s’assurant que les attaquants se montrent respectueux des constructions avoisinantes lors de l’attaque ; et
(v) Même si elle revêt une importance limitée, la bonne conduite d’Ahmad Al Mahdi en détention.
Pour que le préjudice moral et économique subi par les victimes en l’espèce soit dûment et suffisamment reflété par la peine et que les objectifs de celle–ci soient remplis, la Chambre a prononcé une peine qu’elle a jugée proportionnée à la gravité du crime, à la situation personnelle d’Ahmad Al Mahdi et à la culpabilité de celui–ci.
Contexte
Le 24 mars 2016, la Chambre préliminaire I de la CPI a confirmé la charge de crime de guerre portée à l’encontre d’Ahmad Al Faqi Al Mahdi à raison d’attaques dirigées contre des monuments à caractère religieux et historique sis à Tombouctou, au Mali, et a renvoyé l’intéressé en jugement devant une chambre de première instance. Ahmad Al Mahdi était membre d’Ansar Dine, un mouvement associé à AQMI, et collaborait étroitement avec les chefs de ces deux groupes armés dans le contexte des structures administratives et institutions mises en place par eux. Jusqu’en septembre 2012, il était à la tête de la Hesbah (instance créée en avril 2012 pour promouvoir la vertu et prévenir le vice). Il était également associé aux travaux du tribunal islamique de Tombouctou et participait à l’exécution de ses décisions. Le 18 septembre 2015, la Chambre préliminaire I avait délivré un mandat d’arrêt à son encontre et il avait été remis à la CPI le 26 septembre 2015.
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