Côte-d’Ivoire Éducation: Cours du mercredi, la charrue avant les bœufs dans le Primaire ?

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Par FOBAH EBLIN PASCAL
Enseignant-Chercheur, Analyste politique

L’actualité sociale est marquée, ces derniers jours, par des passes d’armes des plus déshonorantes pour l’image de la Côte d’Ivoire et des plus inélégantes entre la ministre de l’éducation nationale, Madame Kandia Kamissoko Camara, et le Mouvement des instituteurs pour la défense de leurs droits (MIDD) dirigé par Mesmin Comoé. Sorti de la bouche de la ministre de la République, on peut lire ceci : « S’ils mènent une grève sauvage et illimitée, la riposte sera sauvage et inoubliable. (…) S’il engage cette grève, ça va être sa dernière au ministère de l’Education nationale ». Ce à quoi le leader du MIDD répond par : « les menaces de la ministre Kandia Camara ne me font pas peur. (…) Nous mettons la mesure de nous muter sur le compte d’un désemparement. Nous avons déjà été menacé par un président de la République ». D’où vient le problème ?

Tous ces échanges d’amabilités font suite à l’arrêté ministériel n°0066/men/delc du 12 août 2016 portant organisation de la semaine de travail dans l’enseignement primaire. Cette décision s’inscrit-elle dans une politique générale de réforme du système éducatif ivoirien ou s’agit-il tout simplement d’une réaction de colère du ministère contre certaines pratiques ayant prospéré les mercredis matins dans l’enseignement primaire. L’on est en droit de s’interroger, surtout avec l’intervention tardive dans la presse proche du pouvoir des justifications techniques, plus d’un mois après la prise de ladite mesure. Malheureusement, comme toujours dans notre pays, les débats de fond sont occultés par des querelles politiciennes. Les uns voient en l’appel à la grève du MIDD une insubordination pendant que les autres se réjouissent de ce que ces chers instituteurs aient été privés par la ministre de leur « gombo » du mercredi matin qui faisait tant de mal aux bourses des parents d’élèves.

Au-delà de l’enseignement primaire public, a-t-on préalablement réfléchi au coût de cette mesure pour les écoles privées ? Dans la comptabilité de l’enseignement primaire privé, le mercredi matin était-il intégré aux charges ? Si non, quelles charges supplémentaires cela va-t-il engendrer en termes de masse salariale, de consommation d’électricité, d’eau, d’entretien des locaux, etc. ? A-t-on intégré cette variable à la réflexion sur la prise de cette décision ? A-t-on initié des séances de travail avec les partenaires sociaux pour évaluer le coût social et économique de cette décision et les mesures d’accompagnement à prendre ? A-t-on interrogé des spécialistes des rythmes des enfants, les chronopsychologues surtout, pour apprécier l’adéquation de ce nouveau rythme scolaire au rythme biologique, naturel d’apprentissage des enfants ? Le passage de la semaine scolaire de 4 à 5 jours leur permettra-t-il de savoir mieux lire, écrire et compter ? Cette réforme de la semaine scolaire de 5 jours est aussi appliquée en France depuis la rentrée 2014. Mais là où nous faisons 30 heures de cours par semaine, les français font 24 heures. Leur année scolaire est de 36 semaines d’école quand, avec la réforme Kandia, nous serons à 33 semaines de cours. Le temps d’instruction pour la Côte d’Ivoire passe à 990 heures d’apprentissage dans l’année alors que les français consacrent 864 heures par an à l’apprentissage. Ces chiffres montrent que la semaine de cours et les heures d’apprentissage sont légèrement plus importantes en Côte d’Ivoire qu’en France alors que l’inverse s’observe avec les semaines d’école. Pourtant, le système éducatif français est plus performant que le nôtre. Cela pose le problème de l’utilisation efficace et rationnelle du temps scolaire. Comment alors réformer le temps scolaire sans surcharger la journée scolaire ? Comment rentabiliser le temps scolaire de sorte que cela impacte la qualité du système scolaire et le rendement des élèves ? N’y a-t-il pas, dans le système éducatif ivoirien, trop de matières qui épuisent les élèves et trop d’heures de cours concentrés (20 à 30 minutes de cours là où ailleurs on fait 45 minutes pour permettre une meilleure assimilation des élèves)? Ce qui manque aux pays africains et à leurs gouvernants, c’est la réflexion prospective et stratégique ainsi que le dialogue social qui aménagent des cadres d’exécution programmatique et consensuelle des initiatives à prendre dans l’intérêt de tous. Les uns et les autres semblent oublier les vertus de la République qui permet un fonctionnement institutionnel au mieux des intérêts de tous. Le rejet de la décision de la ministre Kandia Camara par les instituteurs du MIDD montre que des précautions élémentaires présentées, ici, sous forme interrogative n’ont pas été prises. La mesure ne semble pas être l’aboutissement d’un travail de concertation et de discussions, mené avec l’ensemble des acteurs du système éducatif, et qui aurait fait émerger un consensus sur la nécessité d’une réorganisation des rythmes scolaires dans l’enseignement primaire.

Comme mesure de rétorsion, la ministre décide séance tenante de l’affectation de Monsieur Mesmin Comoé dans une école à l’intérieur du pays avec un emploi du temps ; ce qui, en soi, constitue un abus de pouvoir et montre que, sous les tropiques, l’autoritarisme et le manque de dialogue social sont des règles intégrées à la gouvernance. Les propos de la ministre, abondamment relayés par la presse, suscitent quelques réflexions et trahissent une certaine réalité à laquelle tout le monde se serait accoutumé. Il y aurait des affectations sans emploi du temps dans l’enseignement primaire. Près de 1000 syndicalistes à Abidjan, selon elle, n’enseigneraient pas. Est-il logique et rentable pour le système éducatif de se priver de la compétence de milliers d’enseignants quand ce système souffre d’un déficit notoire d’enseignants ? Quel est le tableau réel de la situation sur l’étendue du territoire national ? Etre syndicaliste confère-t-il le droit de ne plus prendre la craie ? Quelles sont les dispositions réglementaires en vigueur ? N’y aurait-il pas la possibilité d’instaurer des décharges horaires ? Un ministre a-t-il le droit, parce qu’un syndicaliste appelle à la grève, de le muter ailleurs ? Ces mesures autocratiques ont-elles l’effet escompté dans la durée, à savoir amenuiser l’ardeur syndicale de certains agents ? Ces pratiques dictatoriales ne donnent-elles pas à la Côte d’Ivoire l’image d’une république bananière ?

L’enseignement primaire en Côte d’Ivoire, aux dires de la ministre, ne respecte pas les standards internationaux. 20 minutes d’apprentissage pendant quatre jours, soit 1 heure 20 minutes, sont consacrées, par semaine, aux mathématiques et au Français, une langue romane ou d’origine latine comme l’espagnol, l’italien, le portugais, etc. dont la complexité n’est plus à démontrer et qui ne peut pas s’enseigner comme on enseignerait une langue d’origine germanique (anglais, allemand, néerlandais, etc.) dont la grammaire est moins complexe. Avec tout ça on veut prétendre, pourtant, à l’émergence à l’horizon 2020. La ministre Kandia Camara révèle là les nombreux dysfonctionnements de notre système éducatif. Au lieu de leur trouver une solution, on préfère les contourner en revoyant les coefficients pour gonfler artificiellement la réussite éducative en Côte d’Ivoire et s’en gargariser.

Le soutien scolaire est une nécessité qu’on ne peut remettre en cause. Mais, en Côte d’Ivoire, le gouvernement ne semble pas répondre à ce besoin éducatif de manière adéquate et laisse en l’état le problème du soutien scolaire à apporter aux élèves en difficulté. La nature ayant horreur du vide, les maîtres ont choisi de l’organiser à leur façon les mercredis matins. Malheureusement, il s’est instauré des abus : des trafics d’influence à l’escroquerie organisée. La ministre veut les combattre mais le fait de la mauvaise manière. Il se pose, pourtant, le problème réel de la mise en place d’un programme d’éducation centré sur les besoins spécifiques des élèves. Les maîtres, avec leurs 6 mois de formation (trois mois et demi de cours théoriques et 2 mois de stage) que la pratique dans les Centres d’animation et de formation pédagogique (CAFOP) ne dément pas (n’en déplaise à la ministre qui nous faisait croire le contraire sur le plateau de la chaîne Africa 24 lors de la présidentielle où nous représentions le candidat Kouadio Konan Bertin), les maîtres, dis-je, ont-ils été formés pour déceler les difficultés des élèves et y apporter les remédiations nécessaires en les orientant vers le soutien scolaire approprié ? Ailleurs, il existe des programmes personnalisés de réussite éducative qui sont des plans d’actions individualisées mis en place pour chaque élève en difficulté pour lui permettre d’atteindre un niveau satisfaisant de socle de connaissances et de compétences. Pour le moment, en Côte d’Ivoire, les centres de formation (les CAFOP, l’ENS, l’IPNETP) forment aux métiers de l’enseignement mais ne préparent pas les enseignants à déterminer les lacunes spécifiques des enfants. Le système ne leur accorde pas non plus de plages horaires réservées à la remédiation pour les élèves en difficulté sinon une matière comme la dictée, soutenue en principe en amont par les cours de grammaire, d’orthographe grammaticale, d’orthographe d’usage, de vocabulaire, n’aurait pas été supprimée devant l’hécatombe qu’elle produit à l’examen d’entrer en sixième et du fait de l’incapacité des acteurs qui pensent le système à apporter les solutions appropriées aux difficultés que tout le monde connaît. L’aide aux élèves ayant des besoins éducatifs particuliers doit être intégrée à notre système éducatif, au primaire et au secondaire. Un plan pédagogique individualisé doit être mis en place. Pour le moment, le soutien scolaire en Côte d’Ivoire s’organise en cours à domicile et en cours collectifs (cours de renforcement). Le recours au soutien scolaire dans sa forme actuelle sonne l’échec de notre système éducatif. Des études devraient être menées pour savoir pourquoi la demande de soutien scolaire s’est généralisée en Côte d’Ivoire et est devenue une pratique systématique pour de nombreux parents d’élèves. Pourquoi ne fait-on pas aussi d’étude pour évaluer le marché du soutien scolaire en Côte d’Ivoire en s’intéressant à son coût pour les parents, à la pertinence des méthodes de remédiation apportées aux difficultés et à leur impact sur le rendement des enfants, à la nature des cours les plus demandés, à leur périodicité, etc. et l’organiser au profit de tous les acteurs du système ? Autant de questions pertinentes noyées, ces jours-ci, dans le brouhaha des émotions. Le débat entre la ministre Kandia Camara et le MIDD n’est pas encore un débat de qualité et montre des limites, de part et d’autre, dans l’approche des problèmes de fond auxquels le système éducatif est confronté.

FOBAH EBLIN PASCAL
Enseignant-Chercheur, Analyste politique

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