Côte-d’Ivoire: De “Gbagbo ou rien” à “ADO ou rien” via «Bédié…» culte de la personnalité et refus de fin de cycle

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Côte d’Ivoire – Charles Kouassi et Alice Ouédraogo sont collaborateurs et éditorialistes à Afrikipresse. Suite à un brainstorming proposé par la rédactionautour de certains slogans et concepts en vogue en Côte d’Ivoire chacun a produit un texte. Nous publions les deux textes contradictoires mais complémentaires et restons disposés à recevoir et publier d’autres contributions sur la même thématique au dg@afrikipresse.fr

De ” Gbagbo ou Rien” à ” Ouattara ou Rien ” : résistance contre la fin d’un cycle , par Charles Kouassi

Côte d’Ivoire – Face aux critiques émanant de certains partisans du pouvoir ivoirien contre le président Alassane Ouattara , une réaction est née chez d’autres militants qui parlent à nouveau de plus en plus de la nécessité de taire les griefs pour faire confiance au chef avec ce mot d’ordre: ” redevenir “Ouattara ou Rien ” comme les militants du Rdr l’étaient lorsque le parti était sous l’opposition, lorsque les autres disaient “Tout sauf Ouattara ” .

Pendant ce temps, du côté de l’ex groupement au pouvoir, être “Gbagbo ou Rien” semble bien nourrir son homme malgré tout : solidarité autour du chef, mobilisation pour les prisonniers et les exilés, refus absolu de collaborer avec Ouattara dont la légitimité est toujours mise en cause, Affi affaibli et moins fort sans les autres…

Si être “Gbagbo ou Rien” marche bien, pourquoi les autres doivent-ils cesser d’être “Bédié ou Rien”,ou “Ouattara ou Rien” ?

En réalité ces slogans montrent combien les trois leaders continuent d’avoir une vraie main mise sur la vie politique ivoirienne, à tel point que Gnamien Konan qui naguère dénonçait le “BOG”, a fini par rallier Bédié et Ouattara, oubliant qu’il était entré en politique en appelant les électeurs à tourner la page des crises, par un désaveu de Gbagbo, Bédié et Ouattara Dans les urnes.

Avant lui, Charles Konan Banny avait, en vain, tenté d’incarner le quatrième homme, l’homme nouveau pendant la crise, et longtemps avant même sa candidature à l’élection présidentielle de 2015.

De son côté, Laurent Gbagbo espérait avec son second mandat mettre fin à ce cycle en 2015 en comptant au moment de sa sortie, sur l’inéligibilité d’Alassane Ouattara après la candidature exceptionnelle de 2010 et aussi sur celle de Henri Konan Bédié pour limite d’âge.

Blé Goudé et d’autres jeunes loups espéraient une alternance de génération dès 2015, car si tout se passait bien, Laurent Gbagbo partait du pouvoir, en même temps que les deux autres ne pouvaient plus être candidats.

Le résultat des urnes en 2010 a faussé le schéma, et retardé l’échéance de l’alternance au profit d’une nouvelle génération qui au lieu de 2015, doit désormais attendre 2020 à cause de l’arrivée au pouvoir de Ouattara en 2011 et de sa réélection en 2015.

Pour le pire et surtout le meilleur, espérons-le, la Côte d’Ivoire continue de subir l’influence des trois principaux leaders politiques encore vivants de l’après Houphouët.

Autant Gbagbo depuis la Haye refuse de mourir et semble tirer bien de ficelles, autant Ouattara dans la position hors pouvoir à venir – identique à celle de Bédié actuellement – ne compte vraiment rien lâcher après 2020.

Alassane Ouattara ne sera certainement plus président de la République en 2020, mais tout porte à croire qu’il envisage de s’arranger pour conserver autant d’influence que celle d’Henri Konan Bédié qui compte grâce au Pdci-Rda, alors qu’il n’est plus président et n’a occupé aucune fonction étatique, ni gouvernementale depuis 17 ans.

À défaut d’aller à Ferkessedougou ou à Mougins comme d’autres vont à Daoukro, qu’il soit Rdr ou Pdci, celui que Bédié et Ouattara adouberont ensemble devra être prêt à avoir deux Nyerere (Ndlr : l’ex président tanzanien après avoir quitté le pouvoir étant devenu un sage, un inspirateur, un modèle dont les avis et conseils étaient recherchés, le candidat Ouattara avait durant la campagne du soutien pour l’élection présidentielle de 2010, promis de faire du leader du Pdci son mentor en cas de victoire) au lieu d’un seul.

La mort, la maladie, un schéma insurrectionnel violent, la fin de la crise au Fpi, la rupture entre Bédié et Ouattara ou la fin du Rhdp, une très forte contestation interne avec des meneurs audacieux mais plus charismatiques que les irréductibles qui avaient affronté Bédié , restent les seules conditions – cumulatives ou non – à même d’empêcher la mise en place d’un scénario de poursuite de la de mainmise de ces trois dinausores sur la vie politique en Côte d’Ivoire jusqu’en 2025.

Les hommes politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite, qu’ils soient souverainistes ou soumis au Grand capital, se ressemblent : Ouattara, Bédié et Gbagbo préfèrent assurément avoir des fidèles irréductibles (Blé Goudé, Sangaré Aboudramane, Amadou Gon, Ahoussou Jeannot, Hamed Bakayoko, Amadou Soumahoro) au lieu de fidèles ou de partisans critiques (Zemogo, KKB, Koulibaly, Affi, Essy, etc ).

Ils n’ont rien inventé car c’est un peu pareil ailleurs, notamment en France avec Hollande qui n’aime pas trop les frondeurs de son camp (Montebourg et les siens, Taubira, etc… ). En son temps, Chirac n’avait pas d’abord misé sur Sarkozy et on peut trouver des exemples identiques aux Usa, ou ailleurs.

Les nouveaux leaders qui s’impatientent pour prendre leur place sont dans la même tragédie maladive : on a déjà avant l’heure des ” Soro ou Rien “, des ” Gon ou Rien”, des “Bakayoko ou Rien” , des “Ahoussou ou Rien “, etc…. , comme pour dire que nous avons tort de nous plaindre des ” Gbagbo ou Rien ” and Co…

Le slogan “Ouattara ou Rien” a été déjà un leitmotiv au Rdr avant même que cela soit accolé aux irréductibles de Laurent Gbagbo.Penser, dire et agir “Ouattara ou Rien” a été également un puissant moteur d’action et de mobilisation autour du chef, alors que Bédié quand il était président, démarchait des cadres Rdr ou que Gbagbo disait que les gens de ce parti n’auront jamais rien tant qu’ils auront Alassane Ouattara pour chef ), ne peut pas ne pas être d’actualité.

Les militants du Rdr qui revendiquent un esprit critique sur la place publique, hors des instances et structures du parti, courent le risque – comme les militants du Fpi, comme ceux du Pdci qui critiquent un peu trop souvent les décisions du chef – d’être excommuniés, d’être perçus comme des aigris, comme des manipulés et d’être soupçonnés d’avoir un agenda autre que celui du chef.

Les cadres ou les militants qui réussiront à briser cette perception, seront ces audacieux qui à l’image d’Affi N’Guessan contre les “Gbagbo ou Rien”, de KKB contre les “Bédié ou Rien” (mais l’ex candidat ira -t-il au bout) sauront ouvertement se dresser contre le chef pour surfer sur la vague de mécontentement.

Où sont ces garçons, ces audacieux qui acceptent de mourir – de prendre des risques – pour aller au Paradis ? Où sont ces Obama de chez nous, ces Sarkozy, ces Jean Pierre Fabre, ces Patrice Talon, ces KKB du Rdr ?

La tâche n’est pas facile mais c’est l’homme qui a peur sinon y’a rien. Gbagbo a bien dit non à Houphouët; Djeni et d’autres ont bien dit non à Bédié, Affi ne fait pas béni oui oui à Gbagbo.

On attend un messie , un vrai leader qui acceptera de dire non à Ouattara sans que le ciel ne lui tombe sur la tête , et qui serait alors prêt pour en payer le prix parce qu’il est convaincu de ” L’Audace d’espérer” (titre en français du livre de Barack Obama, The Audacity of Hope ).

Charles Kouassi

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Il est temps, pour Ouattara, de réaliser ce pour quoi il a été élu : améliorer la vie des gens, par Alice Ouédraogo

Il n’y a pas si longtemps, Gnamien Konan est entré en politique en dénonçant le BOG(Bédié-Ouattara-Gbagbo). Il a fini par rallier Bédié et Ouattara qu’il pourfendait pourtant .

Avant lui etavant même sa candidature à l’élection présidentielle de 2015, Charles Konan Banny avait tenté, en vain, d’incarner le quatrième homme qui viendrait à partir de Dakar et de sa virginité politique, mettre fin à la domination du BOG sur la vie politique ivoirienne.

Aujourd’hui, le paysage politique ivoirien ne semble guère avoir changé. On y retrouve toujours ces trois noms : Ouattara, qui a conduit le RDR au pouvoir, Bédié, qui semble en retrait mais qui reste dans l’ombre un redoutable faiseur de rois, et Gbagbo, toujours présent dans l’imaginaire politique des « noyaux durs » du FPI.

Le monde change , l’Afrique se transforme, évolue, mais la manière d’ y faire de la politique ne change pas. On s’en remet au « chef » et, pour oublier les réalités économiques et sociales, on entretient une forme de culte de la personnalité, comme le montre les slogans « Gagbo ou Rien », « Bédié ou Rien » ou « Ouattara ou Rien ».

Ces slogans, qui montrent combien les trois leaders continuent d’avoir une vraie main mise sur la vie politique ivoirienne, permettent de mobiliser autour du « Chef » le clan des irréductibles.

Ce qui est grave pour le développement économique et social, pour la transformation du pays et pour la démocratie, c’est que la pensée politique du clan des irréductibles s’arrête à ces slogans qu’ils croient mobilisateurs.

On l’a vu avec Gbagbo, qui n’avait pas de programme, mais qui comptait, pour rester au pouvoir, sur l’inéligibilité d’Alassane Ouattara et l’absence d’Henri Konan Bédié atteint par la limite d’âge.

Que constate-t-on aujourd’hui ?

Les mêmes hommes, à travers un clan d’irréductibles , continuent à diriger la politique ivoirienne, sans se préoccuper véritablement du peuple.

Voulant faire oublier des 10 années catastrophiques du régime Gbagbo, les pro_Gbagbo réactivent le slogan « Gbagbo ou Rien » et cherchent à transformer le procès de l’ex-Chef d’État à la CPI en procès politique.

Leur argument : Gbagbo a gagné les élections en 2010, il est victime d’un complot orchestré par la finance international et la France. Gbagbo, depuis la Haye, refuse de mourir et semble tirer bien des ficelles.

Affi, au FPI, en sait quelque chose, constamment affaibli par ce slogan qui marche si bien « Gbagbo ou Rien » et des mots d’ordrecomme solidarité autour du chef, mobilisation pour les prisonniers et les exilés, refus absolu de collaborer avec Ouattara dont la légitimité est toujours mise en cause. Le FPI est aujourd’hui dans l’impasse.

Le RDR semble aujourd’hui dans une impasse politique, ce qui permet au clan des « irréductibles » de réactiver le slogan « Ouattara ou Rien », remplaçant ainsi « ADO-Solutions » qui ne permet plus de faire face à la grogne sociale.

Ce qui est nouveau, c’est que les critiques contre le président Alassane Ouattara viennent aussi de l’intérieur du RDR avec, comme symptômes visibles, la multiplication des candidatures dissidentes aux législatives, les prises de positions des dirigeants RDR locaux à la suite des violentes émeutes de Bouaké et les impatiences des autres membres du RHDP.

Ouattara désavoué par le RDR ? Impossible pour le clan des « irréductibles » qui, pour faire taire les griefs, relancent le slogan « Ouattara ou Rien », comme à l’époque où le RDR était dans l’opposition.

Un slogan mobilisateur peut-il constituer une véritable ligne politique ? Évidemment non. Mais cela semble suffire aux « irréductibles » pro-Ouattara pour faire oublier la grogne sociale, les émeutes de Bouaké, les grèves, le mécontentement des étudiants, etc.

Le PDCI semble lui aussi dans une impasse totale avec la ligne politique voulue par Bédié dont le marqueur a été l’Appel de Daoukro en faveur de la candidature de Ouattara.

Si, en 2015, il n’y a pas eu de véritable remaniement ministériel, c’est parce que Bédié s’y est opposé. Le Sphinx de Daoukro voulait attendre la réforme de constitution, avec un vice-président qu’il aurait choisi, et la fusion du PDCI et du RDR en un parti unique. Bédié reste un faiseur de rois, alors qu’il n’est plus Président et qu’il n’a occupé aucune fonction gouvernementale depuis 17 ans. Mais il reste comme le seul héritier légitime d’Houphouët-Boigny, le Père de la nation.

Ceux qui ont voulu s’affranchir de Bédié, lors de la Présidentielle de 2015, ont connu une sévère défaite électorale. On peut supposer que les législatives voient se multiplier les candidatures dissidentes au PDCI.

Le FPI est aussi dans une impasse. Affi est empêché d’agir par les pro-Gbagbo.

La Côte d’Ivoire n’a pas réussi à instaurer un véritable débat démocratique entre la coalition au pouvoir et l’opposition. Incapables de s’affranchir de Bédié, Gbagbo ou Ouattara, les hommes politiques font le pèlerinage à Ferkessedougou, àDaoukroou à La Haye, cherchant à être adoubés par le leader incontournable de leur camp.

Les militants du RDR , du PDCI ou du FPI qui revendiquent un esprit critique sur la place publique, hors des instances et structures de leur parti, courent le risque d’être marginalisés. Ils sont aussi soupçonnés de surfer sur la vague du mécontentement et d’avoir un agenda autre que celui du chef. Qui acceptera de prendre un tel risque ?

Sortir du « Bédié, sinon Rien », du « Gbagbo, sinon Rien », du Ouattara, sinon Rien » n’est pas une tâche facile, car les gardiens du Temple sont là, substituant aux programmes politiques des slogans réducteurs mais mobilisateurs.

La politique, lorsqu’elle se réduit à des slogans mobilisateurs et au culte de la personnalité, est un déni de démocratie.

« Le Chef, sinon rien », nous disent les noyaux durs. Le débat démocratique, disent les Ivoiriens, qui attendent qu les partis politiques répondent à leurs préoccupations.

« Le Chef », répondent les « noyaux durs » qui espèrent ainsi récupérer quelques miettes du festin des rois de la vieille politique.

C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui avec certains ministres qui, enfermant Ouattara dans une bulle, osent dire que le peuple ne comprend pas la politique du Chef qui ne peut être qu’infaillible.

On veut enlever au peuple “L’Audace d’espérer “, selon le titre en français du livre de Barack Obama , The Audacity of Hope.

C’est justement en enlevant au peuple l’audace d’espérer, en interdisant aux esprits les plus lucides de s’exprimer, que l’on favorise les troubles et que le mécontentement se transforme en révolte.

L’espoir qui est né en 2010, conforté en 2015, reconstruit le 1er mai 2016 par le discours du Président de la République, est balayé par les factures de la CIE ou la décision absurde de déloger les étudiants de leur chambre universitaire.

Lorsque qu’un gouvernement est incapable de régler un problème, il ne suffit pas d’utiliser les vieux slogans mobilisateurs qui viennent se heurter au mur des réalités.

Il est temps, pour le gouvernement de sortir de sa bulle. L’euphorie de la réélection d’Alassane Ouattara pour un second mandat est passée. Si le pays va bien, – tous les clignotants sont au vert -, des pans entiers de la société vont mal.

Il est temps, pour le gouvernement, de réaliser ce pour quoi il a été élu : améliorer la vie des gens.

Alice Ouédraogo

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