Côte-d’Ivoire: De l’obsolescence du ET et OU

Le juriste Ouraga Obou, président du comité d'experts sur la Constitution
Le juriste Ouraga Obou, président du comité d’experts sur la Constitution

Une contribution de Savané Ali Sy

Comme prévu, Le processus d’élaboration d’une nouvelle constitution a été lancé par l’actuelle majorité. Il est de plus en plus question de mise en place d’un sénat et de la création d’un poste de vice-président. Il va sans dire que de telles innovations dans la constitution à venir sont cruciales et qu’elles représentent de grands bouleversements-beaucoup plus qu’on ne l’estime- dans le vécu socio-historico-politique de notre pays. De surcroit, leur mise en place-sauf éclaircissements souhaitables- entrainera selon nous, plusieurs points d’achoppements sur lesquelles, les ivoiriens (citoyens-juristes-intellectuels-écrivains…) gagneraient à débattre.
En attendant, que l’avant projet de constitution nous soit clairement et publiquement proposé pour débat et contribution ; il nous semble, important de nous attarder encore une fois sur les conditions d’éligibilité à la présidence de notre pays.

L’article 35 de notre constitution, nous a toujours semblé belliqueux, exclusionniste, inepte et incongrue. Bien que fortement défendu par d’éminents juristes, il n’en demeura pas moins indéfendable d’un point de vue du droit même. Encore devrons-nous garder à l’esprit, que les questions de constitution et de lois in extenso, ne doivent jamais être réduites au juridisme.

Pour nous donc, la suppression ou la modification on ne peut plus assurée de notre article 35, est une victoire du bon sens sur le nonsense politique, historique, sociologique et juridique ; si l’on s’en tient à la côte d’ivoire comme échelle d’analyse. Ce point de vue tributaire d’aucune lutte de camp ou de clan ayant été affirmé, une question nous semble pendante : par quoi l’article 35 sera remplacé ?

Indépassable querelle conjontionnelle du ET du OU

Pour notre classe politique dans son immense majorité, la question semble définitivement réglée. En remplacement du fameux de père et de mère (qui exclurait non sans rire par exemple Dagri Diabaté et Aka Anghui), il faudrait opter pour la formulation de père ou de mère. Hormis la perspective juridique des « ETistes » et celle des « OUtistes », aucune autre alternative ne semble être laissée à toute personne désireuse de penser ou dire sur la question de l’éligibilité à la présidence de notre pays.
Or nous estimons justement, qu’un remplacement de ET par le OU, bien que l’étant à une échelle moindre ; est lui-même tout aussi réducteur et ethocentré que le choix du ET nous l’a paru l’être.
Pour nous, les va-et-vient incessants et indépassables de nos intellectuels, juristes et politiques dans la quadrature figée de ces deux conjonctions ne tiennent pas compte dans le fond de la vraie question centrale. Cette question de fond qui nous avait amenés dans notre ouvrage à soutenir la nécessité d’un débat dûment mené sur l’article 35 est la suivante : la nationalité Ivoirienne.

Nationalité Ouverte contre Nationalité Fermée

Le débat de l’éligibilité à la présidence de la république de côte d’Ivoire, laisse entrevoir deux conceptions de la nationalité, dont une parait jusque-là inaudible à notre classe politique. Nous la nommons Nationalité Ouverte.
Avant de s’atteler à son explication, il nous faut comprendre que si les camps ETiste et OUtiste peuvent apparaitre opposés ; il n’en demeure pas moins, qu’ils sont les deux faces d’une même pièce. Ces deux camps représentent à nos yeux, les avatars et clivages sus ou insus de la nationalité fermée.
Aussi, bien que nous soyons contre la vision que nous qualifions de nationalité fermée ; nous estimons que cette position s’explique et se justifie même. Point question donc pour nous, de la vouer systématiquement aux gémonies.

ET et OU avatars désuets de la nationalité fermée

Nous entendons par nationalité fermée, la conception de la nationalité centrée sur la double appartenance cosmo-sanguinis. En d’autres termes, il s’agit de la conception non juridique, mais largement hégémonique dans la psyché des nôtres et leurs faisant entrevoir la nationalité, sous l’angle exclusif du sang et des critères cosmiques.
L’angle exclusif du sang : en nous y référant, nous postulons que ne sont vrais Ivoiriens, que ceux qui ont au moins une goutte de sang ivoirien dans les veines. Dans son versant sanguino-patriarcale, il nous laisse soutenir que l’on est véritablement Ivoirien, que parce que nos pères le firent exclusivement de par leur sang. Aujourd’hui- féminisme oblige-, le champ de réflexion s’élargit pour épouser une acceptation sanguino-matriarcale, qui postule qu’à défaut de nos pères, nous pouvons être vrais Ivoiriens en héritant de cette qualité du sang Ivoirien pur de nos mères.

Dans son pendant extrême et extrémiste, la vision de la nationalité fermée donne naissance à des postulats tels ceux, ayant donnés favorisés notre article 35 : hériter de la nationalité Ivoirienne du double sang pur de nos pères et mères, eux-mêmes ayant été à leur tour héritiers de cette qualité de leurs pères et mères dans les mêmes conditions.

L’angle exclusif du cosmique : tout aussi répandu tant dans la doxa que dans l’élite Ivoirienne, il nous fait penser la nationalité au regard de critères tels que le nom de famille, le village, la race, l’ethnie, la tribu, le clan… Tous ces critères s’originent dans un arrimage de la nationalité à l’univers cosmique Ivoirien. Cette situation a d’ailleurs été déjà brillamment mise en Roma n par l’immense Jean Marie Adiaffi dans sa carte d’identité. Mélédouman son héros, se refuse à justifier son appartenance au pays par une carte d’identité. Il argue au contraire que le tout cosmique du pays prouve son appartenance à celui-ci : l’eau, l’air…
Partant de ce qui précède et puisqu’il est question d’éligibilité, l’on serait tenter de se demander pourquoi parlons-nous de nationalité ? En réalité, la question de l’éligibilité est l’autre nom, sinon le vrai nom d’un débat manqué sur la nationalité et l’idée que nous nous en faisons. En effet, nous partons du fait déjà rappelé plus haut, que nous ne reconnaissons directement ou indirectement comme vrai Ivoirien, que l’individu l’étant de par le sang exclusivement Ivoirien de ses deux parents pour les plus extrémistes ; ou d’au moins un d’entre eux pour les plus progressistes. Conséquemment à cette projection, nous estimons que ne peut-être un vrai président Ivoirien, que l’individu n’échappant pas à cette conceptualisation.

Tel est brièvement expliqué les raisons de l’attachement de la classe politique ivoirienne et la doxa aux ET et OU. Cette explication, prouve par ailleurs que l’antagonisme ET et OU est faux contrairement aux apparences. En réalité soutenir que le président de la république doit être Ivoirien d’origine de père et de mère Ivoirien d’origine, ou dire en substitution, qu’il dot être Ivoirien d’origine de père ou de mère n’est que l’expression plus ou moins fixiste d’une conception fermée de la nationalité Ivoirienne. Il va sans dire, que notre point de vue à ce propos est tout autre. Faire le choix d’une nationalité Ivoirienne ouverte et en tirer les conclusions nécessaires, pour ce qui est des conditions d’éligibilité à la présidence de la république, nous semble être l’option la plus prédictive.

Nationalité ouverte et proposition d’un nouvel article 35

D’abord il nous faut accepter que la nationalité, ‘’notion’’ moderne ne peut être exclusivement réduite à des critériums cosmo-sanguinis. De surcroit, nous devons tout aussi comprendre que rien ne prouve de manière décisive, que notre capacité à aimer notre pays et à le bien gérer, dépend de l’irrigation de nos veines par un sang doublement/partiellement Ivoirien. Il nous semble donc primordial, de faire le choix d’une nationalité ouverte-option de notre code de nationalité-, puis d’en tirer les conséquences dans notre regard sur les conditions d’éligibilité à la présidence de notre pays.

Expliquer clairement, ce que nous entendons par nationalité ouverte mériterait tout un autre article, nous nous réduirons donc. Par cette idée de nationalité ouverte, nous entendons une conception de la nationalité exclusivement arrimée au droit, donc avant tout à notre code de nationalité. Avoir une conception ouverte de la nationalité, c’est surtout dépasser notre appréhension biaisée à son propos-celle déjà expliquée- qui semble prévaloir au sein de notre doxa et classe politique.
Une acceptation juridique de la nationalité, nous permettrait de comprendre que, l’on peut-être Ivoirien quand bien même ni notre père, ni notre mère n’est Ivoirienne de par le sang. De fait, selon notre code de nationalité tant l’enfant adopté (Art 11), que la femme étrangère qui épouse un Ivoirien (Art 12) et tant d’autres personnes peuvent devenir Ivoiriennes, par acquisition de nationalité postérieurement à leur naissance (Voir le titre III du code). Ces derniers, sont les nouveaux oubliés du OU.
Si hier encore, certains pourfendaient le fameux ET au motif, qu’il exclu des Ivoiriens ; pourquoi devrons-nous tout aussi accepter le nouveau OU, quand bien même lui aussi exclurait des Ivoiriens ? Oui, le OU exclu des Ivoiriens il faut s’en convaincre ! Il exclu ceux qui ont ‘’la malchance’’ d’être ivoirien au regard de notre code de nationalité, mais ne le demeurent pas assez pour notre constitution au point de pouvoir ni eux, ni leur descendance, devenir président de la république. La logique du OU, tout aussi exclusionniste que celle du ET, continue à voir la possibilité que ces derniers soient présidents, comme l’acte injuste de « donner le pain (droit d’être président) des enfants (les Ivoiriens cosmo-sanguinis) aux petits chiens (les Ivoiriens non cosmo-sanguinis). »

Pour clore donc sur cette question, nous affirmons que pour nous les conditions d’éligibilité à la magistrature suprême de notre pays, doivent s’alignées sur une conception ouverte et inclusive de la nationalité telle que portée par notre code nationalité. Agir ainsi, permettrait à toute personne Ivoirienne de devenir président, sous réserve des incapacités prévues dans ledit code. Nous ferons ainsi moins de lésés et pourrons par la même occasion permettre aux descendants de personnes naturalisées de devenir président –comme c’est le cas en France et Amérique-. Cette possibilité faut-il le rappeler n’est pas inenvisageable avec la conjonction OU.
Partant de ce que nous avons soutenu plus haut, tout en ignorons pas qu’une position telle la nôtre semble ne pas être majoritaire au sein des Ivoiriens-encore faudrait-il le leurs expliquer ; un chapitre de notre « nouvel article 35 » pourrait être formulé de la manière suivante :

Sous réserve pour les naturalisés, des incapacités prévues à l’article 43 du code de nationalité, le candidat à la présidence de la république Ivoirienne, doit exclusivement jouir de la nationalité Ivoirienne à la date des élections.

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