Côte d’Ivoire ONU: Levée de sanctions en trompe-l’œil pour…Gbagbo et Blé Goudé

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Par Séyivé Ahouansou Blog de Mediapart.fr

La résolution 2283, adoptée le 28 avril 2016 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, renfermerait-elle les prémisses d’une évolution de la justice internationale pouvant profiter à terme, à Laurent Gbagbo et à son compagnon d’infortune, Charles Blé Goudé ?

La lecture du texte n’amène guère à valider l’interprétation développée par certains relais d’information, enclins à exciper du moindre fait un changement d’orientation de la Cour de La Haye. Internationale ou non, la justice obéit en ces matières à un agenda politique, et rien ne permet d’affirmer que la donne politique ait évolué en faveur de l’ancien président ivoirien. De plus, et pour indigeste qu’elle soit, la prose onusienne ne laisse que peu de place au doute : la résolution n’aura aucune conséquence immédiate (ou à long terme) sur le détenu Gbagbo Laurent. Bien au contraire, véritable auto-satisfecit d’une inconséquente communauté internationale, elle est de nature à susciter l’inquiétude pour le futur d’un pays dont l’exécutif se plaît à amonceler la poussière de la discorde sous le tapis de l’inconséquence.

En dépit de la plus élémentaire logique et à rebours de toute analyse sérieuse, deux points contenus dans la résolution du Conseil de Sécurité ont fait naitre des espoirs irraisonnés dans les esprits des supporteurs du prédécesseur d’Alassane Ouattara: la levée de l’interdiction de voyager et le dégel des avoirs financiers. Le justiciable le plus célèbre de la CPI étant toujours sous les verrous, la levée des « mesures concernant les voyages […] » n’aura, de fait, aucune incidence sur sa situation. Il en est de même pour ce qui se rapporte à la levée des « mesures financières ». La reconnaissance par la CPI de son indigence en janvier 2012, visiblement oubliée par ses thuriféraires, annule tout bénéfice éventuel que ce dernier aurait pu tirer des aménagements décidés par la résolution. Il apparaît donc clairement que la situation de Laurent Gbagbo n’intéressait ni de près ni de loin, les rédacteurs du texte. Le véritable objet de leur préoccupation est tout autre, et se scinde en deux volets : la normalisation de la situation de la Côte d’Ivoire au regard du droit international et fin de la coûteuse mission de l’ONUCI (prorogée jusqu’à fin juin 2017).

A ce titre, les rédacteurs de la résolution se félicitent « des progrès de la Côte d’Ivoire « dans les domaines du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion, et de la réforme du secteur de la sécurité, de la réconciliation nationale et de la lutte contre l’impunité » décident de « lever, avec effet immédiat, les mesures concernant les armes et le matériel connexe ». » Un exposé qui ne lasse pas de surprendre, lorsqu’on sait que le monopole de violence et de la possession d’armes (y compris lourdes) échappe notoirement à des autorités locales, légitimées en 2010 par la France alors drapée d’un mandat onusien. Il semblerait que les rédacteurs de la résolution n’aient pas eu connaissance du rapport en date du 4 avril dernier (pourtant rédigé par un panel d’experts mandaté par l’ONU), établissant clairement que l’actuel président l’Assemblée Nationale, Guillaume Soro et la rébellion des Forces Nouvelles, ont profité de la crise post-électorale de 2010-2011 pour augmenter leurs stocks d’armement. En effet, Guillaume Soro, alors secrétaire général des Forces Nouvelles, violant l’embargo levé par ladite résolution, s’était porté acquéreur pour plus de 300 tonnes d’armes. D’après les experts mandatés par l’ONU : « Guillaume Soro s’est lui-même chargé de l’acquisition du matériel, de son transport jusqu’à Bouaké et Korhogo et de sa répartition entre membres des Forces nouvelles. ». Il faut noter qu’à ce stade de la crise post-électorale, les Forces Nouvelles n’avaient plus aucune existence officielle, puisque incorporées aux FRCI (devenues par la suite armée régulière de la Côte d’Ivoire) créées en mars 2011 par Alassane Ouattara. Ainsi et de façon incidente, la résolution entérine et légalise à posteriori des infractions caractérisées du droit international. Sans doute le moyen choisi par le Conseil de Sécurité afin d’œuvrer à la réconciliation nationale ivoirienne et lutter contre l’impunité à l’échelle internationale…

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Abidjan vendredi 29 avril 2016: Alassane Ouattara avec le ministre français de la Défense Le Drian

Plus sérieusement, la levée d’un embargo limitant les possibilités de l’état ivoirien de se fournir en matériel militaire, est à replacer dans un contexte interne délicat, où un citoyen, bien que président de l’Assemblée Nationale, dispose à titre personnel de plus de 30 % du matériel total des forces armées du pays. Que ce dernier représente une menace pour la sécurité intérieure, dont il faudrait se prémunir par le réapprovisionnement des forces légitimes, n’est pas une hypothèse farfelue, d’autant plus qu’une partie des armes illégalement acquises est toujours stockée à Korhogo, aux bons soins du lieutenant-colonel Martin Kouakou Fofié, ex-comzone, ex-geôlier de Laurent Gbagbo, qui bénéficie ironiquement de la levée de sanctions prévues par la résolution 2283. Cet exemple éloquent n’est malheureusement pas un événement isolé et on ne saurait passer sous silence un autre fait révélateur de la violence latente en Côte d’Ivoire et de l’impéritie de son exécutif. Les dix ex-chefs militaires des Forces nouvelles, qui de 2002 à 2010 ont mis en coupe réglée plus de la moitié (60%) du territoire ivoirien, ont, eux-aussi, jalousement gardé leur matériel militaire. Occupant des postes officiels de commandement au sein de l’armée ivoirienne, ils ont pris sur eux, d’après les experts mandatés par l’ONU, de ne pas déposer leur arsenal dans les « armureries de l’État », échappant au contrôle de ce dernier. Ainsi, le lieutenant-colonel Issiaka Ouattara, commandant en second de la Garde républicaine se trouve toujours être détenteur d’une partie substantielle des armes du corps qu’il supervise, au bas mots 10% de l’arsenal total du pays. Que deux individus, Issiaka Ouattara et Guillaume Soro possèdent à titre privé près de 40% de l’armement d’un pays placé sous embargo explique le forcing, ayant débouché sur la résolution levant les restrictions quant au commerce des armes à destination de la Côte d’Ivoire.

L’exécutif ivoirien, en position de faiblesse face à certains responsables politiques ou gradés de ses propres forces de défense, passablement ébranlé par les lacunes flagrantes de ses services de renseignement et de sécurité, mises en lumière par l’attaque de Grand Bassam, doit sans aucun doute savourer cette victoire de la diplomatie…française. En pesant de tout son poids afin que soit levé l’embargo, la France a permis que soit mise en œuvre la loi de programmation militaire, votée le 4 janvier 2016 par les députés ivoiriens, budgétant plus de 4,6 milliards de dollars entre 2016 et 2020. Sont prévus sur la période 1,6 milliards de dollars pour l’achat d’équipements destinés à l’ensemble de l’armée ivoirienne et 1,9 milliards destinés aux dépenses de fonctionnement. Donneurs d’ordre et marchands d’armes vont pouvoir se partager les juteuses commissions et dessous-de-table inhérents aux pratiques communément admises dans ce secteur d’activité. Au nom d’un juste renvoi d’ascenseur, la France et ses industriels comptent bien s’attribuer la part du lion de ces lucratives opportunités économiques, dans le sillage du contrat de 30 navires (dont trois patrouilleurs de 33 mètres du type RPB 33, quatre vedettes de 12 mètres du type RPB 12 et six embarcations rapides de 9.3 mètres pour commandos) remporté par le constructeur Ufast en janvier 2014 et dont le montant est mystérieusement resté secret. Précisons qu’au pactole de la loi de programmation du 4 janvier dernier, se greffent 80 milliards de FCFA débloqués à la suite de l’attaque de Grand Bassam, afin d’équiper les forces de sécurité.

La résolution 2283 est donc à mesurer à l’aune des défis et difficultés internes auxquels est confronté un exécutif toujours dépendant de bonnes volontés étrangères lorsqu’il s’agit de sa propre sécurité. Loin d’être un signe avant-coureur d’une résolution du « problème Gbagbo » elle s’inscrit dans une logique politico-économique on ne peut plus éloignée d’une réconciliation nationale célébrée par son son texte, et pourtant renvoyée une fois encore aux calendes grecques. Le bilan démocratique plus qu’insatisfaisant d’Alassana Ouattara (il faut se souvenir du caractère grotesque, si ce n’est frauduleux du dernier scrutin présidentiel), la justice de vainqueurs rendue par les bénéficiaires du coup d’état de 2010-2011, l’absence de contrôle des organes de l’état sur les anciens chefs de guerre ayant mis le pays à feu et à sang à partir de 2002 sont autant de symptômes permettant d’établir le diagnostic d’une Côte d’Ivoire qui, loin d’être sur le chemin de la guérison, est un grand malade qui s’ignore. La communauté internationale, entendez les puissances occidentales menées dans le cas ivoirien par la France, a procédé comme à son habitude selon une morale dévoyée. Se prévalant de principes humanitaires et de la défense de la démocratie, elle a accéléré la décomposition d’une nation souveraine. Elle a par la suite livrée cette dernière à la découpe, au bénéfice exclusif d’affairistes de tout poil, émanation d’une finance internationale apatride. Elle s’apprête en mettant fin en juin 2017 au mandat de l’ONUCI, à se retirer après avoir sapé les fondements d’un état perfectible, qui avant qu’elle ne s’immisce dans le jeu politique interne, était qualifié d’état de droit. Au perdant usuel revient la tâche ardue de recoller les pots cassés. Le peuple autochtone qui, s’il vit dans une démocratie d’opérette répondant aux standards de ceux la lui ayant généreusement octroyée par les bombes, ne peut que pleurer sur son sort.Il constate chaque jour que le mieux promis est une version foncièrement dégradée de sa situation passée…

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