Par Jean-Claude Djereke
Sur Facebook, depuis le 7 mars 2016, Sam l’africain est à l’honneur. Si la plupart des messages lui sont consacrés, tous ne font cependant pas son éloge. Ainsi, certains commentaires nous mettent en garde contre une hâtive et excessive jubilation après son témoignage devant la CPI. Selon les auteurs de ces commentaires, des gens sérieux et sincèrement engagés depuis des années dans la lutte pour la reconquête de notre souveraineté, il est trop tôt pour crier victoire. Ce n’est pas tout. Ils estiment en outre qu’on devrait se méfier de l’Ivoiro-libanais car son objectif, d’après eux, ne serait pas d’innocenter Blé Goudé et Laurent Gbagbo mais de fournir à cette cour raciste et injuste des informations à même de corroborer la fameuse thèse selon laquelle les deux accusés ont participé à un plan commun visant la conservation du pouvoir et l’extermination des partisans de Ouattara (musulmans, Nordistes et ressortissants de la CEDEAO). Ils estiment en effet que ce n’est pas un hasard si l’étrange Eric Mc Donald a longuement interrogé Sam sur les deux slogans les plus utilisés lors de la campagne du candidat Laurent Gbagbo: “On gagne ou on gagne” et “Y a rien en face, c’est maïs”. Mais les camarades qui invitent à prendre les propos de Sam devant le substitut du Procureur avec des pincettes ont-ils raison ou bien exagèrent-ils? Avant de répondre à cette question, je voudrais exposer quelques-uns des reproches adressés par eux à Sam.
Ils lui reprochent, par exemple, de n’avoir rien dit sur le bombardement de la résidence présidentielle par les forces franco-onusiennes, de n’avoir pas évoqué l’exécution des 60 gendarmes de Bouaké et des danseuses d’Adjanou par les rebelles de Ouattara en 2002, d’avoir affirmé que la galaxie patriotique était bien organisée, d’avoir demandé au Procureur de relire sa déposition de 2011 où il chargeait probablement l’ancien régime alors que Me Altit n’avait pas jugé cela nécessaire, d’avoir rendu hommage à Dramane Ouattara et à Hamed Bakayoko.
Même si Sam n’était pas obligé de répondre à toutes les questions de Mc Donald (car certaines questions étaient franchement si idiotes qu’on se demande comment le Canadien a atterri à la CPI), même si je suis d’accord avec ceux qui conseillent de ne pas vite s’emballer, il me paraît difficile de souscrire à l’idée que l’Ivoiro-libanais a voulu enfoncer Laurent Gbagbo et son ancien ministre de la Jeunesse. À moins d’avoir fait une mauvaise lecture de son témoignage, je serai plutôt enclin à penser que Sam n’a pas eu peur de dire et de marteler l’essentiel et cet essentiel, à mon avis, se trouve dans trois paroles. La première est celle-ci: “La France est le père fondateur de la crise.” Sam rejoint ici Gbagbo affirmant, au cours de sa première prise de parole à la Haye le 5 décembre 2011, qu’il a été arrêté “sous les bombes françaises” et que “c’est l’armée française qui a fait le travail”. Il rejoint aussi Me Jean Balan déclarant sur “Europe 1”, le 24 février 2016, que la mort des 9 soldats français en novembre 2004 était “un coup monté” [par Chirac, Dominique de Villepin, Michel Barnier et Michèle Alliot-Marie] pour faire tomber Gbagbo”.
Deuxième parole essentielle de Sam L’Africain: “Quand ils ont attrapé Gbagbo à sa résidence, le 11 avril 2011, les hommes de Ouattara ont le lendemain fait plus de 1 000 morts à Duékoué, des femmes et des hommes égorgés, des femmes enceintes éventrées, des maisons brûlées mais tout ça c’est allé où? Et ce avec la complicité de la France et de l’ONU. Et pourquoi c’est Gbagbo et Blé qui sont ici? Ils ont tué Kadhafi, c’est allé où ? Ils ont fait des massacres partout, où c’est parti? Ils s’acharnent sur les noirs comme si nous sommes méchants. Non, non le peuple noir est bien et bon. Je demande donc au procureur demain d’orienter ces questions sur l’essentiel. C’est-à-dire qui a tué et quelle a été la cause de la guerre?” Le président de la NACIP laisse entendre ici deux vérités: 1) Chirac, Sarkozy, de Villepin, Alain Juppé, François Fillon, Ban Ki Moon, Choï, Dramane Ouattara, Blaise Compaoré, Soro Kigbafori, Bédié et leurs chefs de guerre devraient, eux aussi, être derrière les barreaux; 2) Ceux qui aiment guerroyer et faire couler le sang humain, ceux qui n’ont aucun scrupule à semer la mort et la désolation, juste pour accaparer le bien des autres, ce ne sont pas les Africains mais les Occidentaux. Ça peut être dur à entendre mais c’est la pure vérité.
Le troisième et dernier message essentiel de Sam l’Africain est celui-ci: “Gbagbo n’est pas un criminel, il ne peut pas planifier la mort des Ivoiriens.” De fait, si Gbagbo était un tueur froid, s’il était un criminel sans aucun état d’âme, il n’aurait pas hésité à bombarder l’hôtel du Golf qui était le quartier général des vrais criminels.
Au lieu de soupçonner Sam de ceci ou de cela, nous devrions donc nous focaliser sur la France: écrire et montrer des vidéos sur la responsabilité pleine et entière de la France dans la déstabilisation et la destruction de la Côte d’Ivoire; faire voir comment cette France raciste et néocolonialiste utilise des vauriens et assassins comme Ouattara et Soro pour parvenir à ses fins.
Que Sam ait pu dire des choses pas toujours utiles ou que sa connaissance approximative de la langue française l’ait conduit à commettre des maladresses, cela est possible mais nous devrions nous garder de le brûler. Nous devrions surtout nous garder de penser que le verbe et les larmes comme celles de Sam suffiront pour que Blé et Gbagbo sortent de la Haye où ils sont injustement détenus. Je voudrais répéter ici ce que j’ai déjà écrit dans une tribune antérieure: Charles Blé Goudé et Laurent Gbagbo, dont le seul crime est d’avoir refusé la soumission à la France, risquent de mourir en prison si les souverainistes africains se contentent de suivre ce procès bidon et inique au lieu de réfléchir à de bonnes stratégies pour briser le joug de la domination et de l’oppression qui pèse sur leurs pays, s’ils ne frappent pas la France et ses entreprises au portefeuille, s’ils ne les empêchent pas de gagner chaque jour de l’argent sur le dos des populations, s’ils continuent à consommer des produits français (fromages, moutarde de Dijon, vins bordelais, voitures de marque française, sacs de Louis Vuitton, Orange, etc.) tout en insultant et en maudissant les dirigeants français.
En conclusion, ce qui compte, ce n’est pas ce que Sam l’Africain a pu dire hier, sûrement pour sauver sa peau, mais ce qui est sorti de sa bouche ces quatre derniers jours. Il a fait de graves révélations à telle enseigne que certains se sont demandé si sa famille ne risquait pas de faire les frais de la barbarie des FRCI et autres dozos. Bref, le “témoin hostile au Procureur” s’est montré courageux non seulement en témoignant à visage découvert mais en indexant la France. Ce n’est donc pas sur lui que nous devons tirer à boulets rouges. Ce n’est pas contre lui que nous nous battons. Je peux comprendre que certains de ses propos aient énervé telle ou telle personne mais, de grâce, ne nous trompons ni de cible, ni de combat! Évitons de jeter le bébé avec l’eau du bain! Sam n’est pas contre nous.
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