Naturalisation de Compaoré en Côte-d’Ivoire: une leçon de panafricanisme aux Africains

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Par Franklin Nyamsi
Professeur agrégé de philosophie, Paris, France

C’est par millions que des Africains vivent à l’étranger, d’abord en Afrique, puis en Europe, en Amérique, et en Asie. Dans tous leurs pays adoptifs, les Africains se sont brassés avec d’autres Africains, des Européens, des Américains, des Asiatiques. Ils ont ainsi généré des populations bi-nationales, métissées à souhait, ouvertes au Tout-monde dont parlait si bien l’écrivain antillais Edouard Glissant. Ainsi en est-il de l’Africain Blaise Compaoré, originaire du Burkina Faso, anciennement nommée Haute-Volta, époux d’ivoirienne depuis 1987, par-là même époux de française, puisque son épouse Chantal est franco-ivoirienne. J’ai moi-même l’insigne honneur d’être dans un cas voisin, puisque d’origine camerounaise, époux de franco-ivoirienne, français naturalisé, j’appartiens de fait à trois terres citoyennes: le Cameroun, la Côte d’Ivoire et la France. Comment ne pas dès lors s’étonner que des Africains, multi-citoyens eux-mêmes, puisque souvent afro-européens, qui par ailleurs crient-à-tue tête jusqu’aux portes de La Haye, leur passion panafricaine, soient les premiers à dire « haro sur le baudet », lorsque la Côte d’Ivoire naturalise le président Blaise Compaoré, citoyen ivoirien de fait et de droit? Je voudrais examiner dans la présente tribune les raisons invoquées par les contestataires de la naturalisation ivoirienne du président Compaoré, afin de montrer, point par point, leur inanité profonde. On comprendra alors que la naturalisation ivoirienne du président Compaoré est une leçon de panafricanisme concret donnée par la Côte d’Ivoire du président Alassane Ouattara à tous les peuples et Etats africains.

La principale raison invoquée par les adversaires de la naturalisation ivoirienne du président Blaise Compaoré est qu’il s’agirait d’une naturalisation opportuniste, dont la finalité évidente serait d’échapper au filet de la justice du Burkina Faso. Est-ce vraiment le cas? Je ne le crois pas une seule seconde.
En ce qui concerne l’affaire Sankara, il est évident de longue date qu’il s’agissait d’une réaction de survie d’officiers qui se savaient, au moins depuis les exécutions publiques ouagalaises de juin 1984, pris dans une spirale tragique sous la dictature marxiste-léniniste du Capitaine Thomas Sankara. En pleine Guerre Froide, que de vies du monde communiste et du monde libéral furent sacrifiées en Afrique, sans que nul de nos moralistes actuels ne s’en émeuve? Juger le président Compaoré en 2016 pour l’affaire Sankara n’a de sens que si la même justice met sur la table toutes les morts d’hommes provoquées par le régime et les ordres du même Thomas Sankara. Etait-il vraiment le doux agneau que ses dépôts christiques veulent nous présenter, alors que la confiscation massive des libertés publiques fut la marque déposée de son régime? Or, à ce compte, il faudrait juger toute la classe politique burkinabé, au moins depuis 1960…Et cela ne suffirait même pas à satisfaire tout le monde! Pour ce qui est des affaires Zongo et du putsch du 16 septembre 2015, aucune enquête sérieuse n’a pu à ce jour établir le moindre début de responsabilité de l’ancien président burkinabé. Comment prendre au sérieux, une justice aussi brouillonne? Qui fera confiance à une meute de gens animés de haine et de monomanie analytique, qui prétendent ainsi rendre justice?

Pour deux autres contre-raisons évidentes, je persiste à penser que la naturalisation ivoirienne de Blaise Compaoré ne visait point à l’immuniser contre la justice de son pays. La Côte d’Ivoire n’a jamais eu l’intention d’extrader le citoyen burkinabé Blaise Compaoré vers le Burkina Faso, alors même qu’il était encore et uniquement burkinabé. Est-ce donc maintenant qu’il est devenu ivoirien que la possibilité de l’extrader vers son pays natal devient nulle? Nullement. C’était de toutes façons hors de question. Exilé politique en Côte d’Ivoire après le coup d’Etat qui l’a contraint à démissionner en octobre 2014, le président Compaoré bénéficiait de l’humanisme d’Etat inscrit dans l’hymne et dans les lois fondamentales de Côte d’Ivoire. « Terre d’espérance et pays de l’hospitalité », la Côte d’Ivoire était par ailleurs astreinte par ses propres lois à offrir l’accueil au citoyen Compaoré, en raison expresse des liens du mariage civil contacté depuis près de 30 ans avec sa compagne franco-ivoirienne.

La naturalisation ivoirienne du président Compaoré ne répond-elle pas davantage aux nécessités pratiques liées au fait que le Burkina Faso, son pays d’origine, n’a probablement pas daigné respecter depuis octobre 2014, les exigences minimales liées à son statut constitutionnel d’ancien Chef de l’Etat? Non seulement la constitution de son pays, datant de 1991, lui garantissait une immunité que nul ne daigne respecter aujourd’hui au Burkina, mais comment fallait-il donc vivre en exil, sans documents officiels dignes de son rang et des prérogatives qu’il comporte? La naturalisation ivoirienne du président Compaoré apparaît dès lors comme une formalité pratique, qui le débarrasse des pesanteurs administratives liées au statut de réfugié politique. Mieux encore, ne cessant point d’être burkinabé, ni d’être un ancien Chef d’Etat du Burkina Faso, le président Compaoré retrouve ainsi l’ensemble des droits citoyens dont il mérite, d’ailleurs mieux que tous ses contempteurs, de jouir, pour services éminents rendus à son pays, à la Côte d’Ivoire et à l’Afrique pendant plus de trente ans. En attendant que son pays natal le réhabilite pleinement, ce qui serait bénéfique à la réconciliation nationale au Burkina Faso, quoiqu’on en pense.

Mais, allons plus loin. Car au final, c’est la Côte d’Ivoire qui s’honore de cette naturalisation du président Blaise Compaoré, pour au moins quatre raisons, que je m’en vais maintenant examiner.

La Côte d’Ivoire pose ainsi un acte de reconnaissance envers un Grand Africain, qui a contribué à sauver les Ivoiriens et les Africains de Côte d’Ivoire de la tragédie haineuse du régime de l’ivoirité, mené de main de traître par un certain Laurent Gbagbo, lui-même oublieux de la solidarité agissante du président Compaoré envers lui quand il était opposant de Félix Houphouêt-Boigny. En effet, s’il avait le sens de l’humanité, Laurent Gbagbo, du fond de sa prison de La Haye, demanderait à ses partisans de ne pas contester la naturalisation ivoirienne de Compaoré, lui qui reçut des centaines de millions et des documents de voyage du Burkina de Blaise Compaoré, quand il lui fallut fuir la Côte d’Ivoire ou mener ses activités d’opposant politique ivoirien.

La Côte d’Ivoire montre ainsi que l’ère du mépris du mossi en Côte d’Ivoire est résolument close. Faut-il rappeler que le président Ouattara fut longtemps injurié, traité de boyordjan et de môgossi dans ce pays, dans la même ambiance de mépris, alors même que sa citoyenneté ivoirienne était incontestable comme le rappela Félix Houphouët-Boigny en personne en 1990? C’est la Côte d’Ivoire qui sort grandie par cet acte fort. Elle accueille un frère, grand et monumental fils de l’ethnie mossi du Burkina Faso, pour dire aussi à tous ceux qui, dans les forêts, campements et chaumières, continuent de nourrir des sentiments quasi instinctifs d’hostilité envers les trois millions d’immigrés burkinabé de Côte d’Ivoire. En naturalisant le président Compaoré, la Côte d’Ivoire rappelle aux Ivoiriens et aux Burkinabé, que les deux peuples sont frères-jumeaux, pour l’éternité, par-delà les intrigues et les combines politiciennes de tous bords.

La Côte d’Ivoire montre par cette naturalisation, que les Africains doivent apprendre à résoudre leurs problèmes en Afrique, entre Africains. Non seulement, il n’est plus nécessaire, à la moindre crise politique en Afrique, que des anciens Chefs d’Etat aillent se réfugier en Europe, en Amérique, loin de leurs terres natives., mais en plus, la possibilité de garantir la dignité et la liberté des anciens chefs d’Etat africains en Afrique permet à tous ceux qui s’apprêtent à quitter le pouvoir çà et là en Afrique de ne pas redouter leurs jours de retraite. Il y a une vie avant comme après le pouvoir d’Etat. Le président Blaise Compaoré l’illustre à merveille. J’ai le bonheur de constater, chaque fois que je retrouve le président Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire, qu’il va comme un charme, entre famille, sports, livres et films, convivialité chaleureuse et méditations spirituelles. N’est-ce pas tout à l’honneur de la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara de rejoindre ainsi son propre idéal moral?

La Côte d’Ivoire montre par cette naturalisation exemplaire aux citoyens et peuples africains que nos pires frontières actuellement en Afrique sont mentales. Les frontières géographiques héritées de la colonisation sont des chaînes honteuses dont il faut se débarrasser , par la double voie de l’intégration socioéconomique des régions et de l’intégration géopolitique du continent à court et long terme. De telle sorte que ceux qui pestent contre cette naturalisation, somme toute normale, sont en réalité les anti-panafricanistes les plus hypocrites de l’histoire politique de ce continent.

En conclusion, remercions donc la République de Côte d’Ivoire, et tout particulièrement le président Alassane Ouattara, pour la grande leçon de panafricanisme concret administrée à tous les citoyens, peuples et Etats d’Afrique contemporaine. Espérons qu’elle fasse tâche d’huile et qu’un jour, on puisse enfin dire sans complexe d’infériorité ni de supériorité : « l’Afrique est vraiment aux Africains! »

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