Yasmina Ouégnin «La Côte d’Ivoire a opté pour la monogamie…je ne roule pour personne» (interview)

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Par Connectionivoirienne.net

Dans ses bureaux annexes lui servant de cabinet privé dans le chic quartier de Cocody-Les-Ambassades, Yasmina Ouégnin consacre beaucoup de temps à recevoir des gens de toutes conditions. La députée n’avait certes, pas imaginé cela il y a 4 ans quand elle se présentait aux législatives mais elle y trouve toute une passion. D’habitude de bonne humeur, la fille de Georges Ouégnin reste néanmoins attachée à des principes : la constance, le service de l’intérêt général. Là est tout le problème qui l’oppose aux dirigeants actuels du Pdci qui lui ont infligé une sanction. Elle en parle dans cette interview comme elle aborde bien d’autres sujets de la vie sociopolitique
Députée de Cocody depuis décembre 2011, quelles sont vos satisfactions et éventuellement vos déceptions à un an des prochaines législatives ?

Au nombre des satisfactions, j’apprécie le contact permanent que j’ai su maintenir avec la base qui me communique le vécu réel des populations et me permet d’être imprégnée de leurs préoccupations. J’ai ainsi l’opportunité d’anticiper leurs besoins et d’identifier les voies à explorer en vue de leur procurer des lendemains meilleurs. Il y a certainement des attentes qui seront comblées au fil du temps, mais pas de déceptions en tant que telles pour le moment.

Entre l’idée que vous vous étiez faite de cette fonction de député et la pratique tout au long de ces années est-ce qu’il y a un hiatus ?

Assurément !! Hors du microcosme politique, on perçoit bien différemment la vie publique en général et le quotidien des parlementaires en particulier. Partagée entre mon travail législatif et le maintien du contact permanent avec les populations, la députée que je suis s’est mise au service de la nation de manière quasi-exclusive…

Pensez-vous avoir réalisé vos promesses ou bien faut-il un autre mandat pour y arriver ?

Je n’ai pas fait de promesses particulières aux habitants de Cocody puisque le mandat du député ne s’exécute pas sur un mode programmatique. Il n’y a donc pas, de ce point de vue, de résultats à constater en termes de réalisations socio-économiques, d’édifices ou d’infrastructures etc…
Par contre, je pourrai mettre en évidence mon total engagement à défendre les intérêts des populations dans le cadre de mes attributions de parlementaire, ainsi que l’assistance et le soutien personnel portés çà et là quand cela était nécessaire et possible. Quel que soit donc le nombre de mandats que les électeurs de ma circonscription voudront bien me confier, je resterai à leur disposition et à leur service avec la même détermination.

Yasmina Ouégnin élue en 2011 sous la bannière Pdci et 4 ans après sous sanction disciplinaire avec suspension temporaire. Comment vivez-vous personnellement cette sanction de votre parti ?

Je suis zen et sans état d’âme car cette décision ne vise en aucun cas à m’exclure du parti, je reste une militante active du Pdci-Rda bien qu’interdite d’accès aux réunions du Bureau Politique. Par ailleurs, l’agenda que m’impose le mandat que m’ont confié les populations de Cocody ne me laisse pas le temps de me préoccuper de moi-même. Cette mesure dite « disciplinaire » représente à mes yeux un épiphénomène et je continue de rester concentrer sur l’essentiel : mon rôle d’élue du peuple, représentante de la nation.

Est-ce qu’avec le temps, il vous arrive de regretter les motifs évoqués pour cette sanction ?

Cette décision a été prise sans même que j’ai été entendue, sur des motifs dans lesquels je ne me reconnais nullement. Comment voulez-vous donc que je regrette quoique ce soit ? Si regrets il y a, c’est certainement de constater une fois de plus que les textes de notre parti sont foulés au pied par ceux-là même qui sont commis à leur application et à garantir leur strict respect.

On vous a vu aux côtés d’un groupe de députés réfractaires à la nouvelle loi électorale, vous n’avez pas également soutenu l’appel de Daoukro lancé par le président Bédié. Et si tout cela était à refaire ?

Permettez-moi de rectifier : il ne s’agissait pas d’être contre la loi électorale mais plutôt de s’interroger sur les critères de composition de la Commission électorale indépendante en adressant une requête au Conseil Constitutionnel aux fins d’obtenir des éclaircissements. Concernant l’appel de Daoukro, je reste droite dans mes bottes… Comprenez que mes positions se fondaient sur des principes démocratiques qui n’ont pas encore été remis en cause.

A l’occasion de la présidentielle, l’on a pensé que, opposée à l’appel de Daoukro, vous auriez fait campagne aux côtés des irréductibles du Pdci. Certains vous ont même soupçonnée de rouler pour Charles Konan Banny. Finalement on ne vous a vu nulle part, vous contentant d’un appel anti-boycott. Comment expliquez-vous cette position de prudence ?

Demander au peuple de s’investir massivement dans ce processus électoral est pour moi un acte de haute portée républicaine. En certaines occasions, il faut savoir jouer positivement de l’influence qu’on pourrait avoir pour faire bouger les lignes. Cela est à mon sens plus utile que de donner dans « l’agit-prop » ou de se mettre en vedette sur les manchettes de journaux pour sa propre gloriole. Cela dit, il est bien de rappeler qu’à l’occasion de ce scrutin je ne roulais pour personne.

Le président Bédié à l’occasion du dernier bureau politique a appelé les partis du Rhdp à revenir au Pdci dans le cadre du parti unifié. Un commentaire ?

Comme vous vous en doutez je n’étais pas à cette réunion et pour cause… Mais j’y vois une volonté de rassembler, dans un seul creuset, toutes les forces qui se réclament du père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne. En cela, je suis la première heureuse de constater que les positions actuelles du Président du Pdci-Rda sur cette question et celles que j’ai toujours défendues se rejoignent. Toutefois, concernant les modalités pratiques de la mise en œuvre de ce projet, il faut s’attendre à de nombreuses difficultés. Les enjeux politiques à moyen et long termes qui donnent plus de relief aux ambitions personnelles qu’à l’unité des Houphouëtistes, pourraient mettre en péril ce chantier.

Comment jugez-vous l’élection présidentielle qui vient de s’achever et les résultats qui en sont issus ?

Je me réjouis qu’à l’occasion de ce scrutin notre pays n’ait pas connu de troubles et de violences comme ce fut malheureusement le cas à toutes les présidentielles depuis 1995, année du « Boycott actif ». J’ose espérer que nous avons ainsi passé le cap de la maturité démocratique. Les résultats sont connus de tous et il appartient à chacun de les interpréter selon sa propre lecture des dynamiques sociopolitiques du moment.

Le chef de l’Etat a annoncé comme prochain chantier, une modification de la constitution. En tant que député comment accueillez-vous cette nouvelle et de quelle manière tout cela devrait être mis en œuvre ?

C’est à bon droit que le Chef de l’Etat propose une modification de notre constitution. En effet, la loi fondamentale d’un pays n’est pas figée et doit en temps opportun suivre l’évolution du contexte sociopolitique. A cet égard, afin de régir le fonctionnement des institutions et de réguler la vie politique pour les prochaines décennies, des aménagements pourraient être introduits. Toutefois, je préfère attendre de prendre connaissance des amendements proposés avant d’émettre le moindre commentaire.

Sur la question de la réconciliation nationale, le Rdr a récemment proposé une mesure d’amnistie générale, rejoignant finalement le Fpi. Est-ce votre position dans un contexte où plusieurs centaines de personnes croupissent en prison depuis 2011 sans jugement et des milliers d’autres sont toujours en exil ?

Le débat national sur cette question appelle la manifestation sans réserve de la Vérité, seule capable d’apaiser les nombreuses victimes de toutes les crises traversées. Il importe que l’histoire récente de notre pays soit connue de tous. En constituant ce socle mémoriel pour les générations futures, nous pourront anticiper de telles tragédies afin que cela ne se répète plus jamais en Côte d’Ivoire. Les Ivoiriennes et les Ivoiriens espèrent que les conclusions des travaux de la défunte CDVR et les audiences de toutes les personnes qui ont accepté de témoigner seront rapidement diffusées.
Ce n’est qu’après que la lumière sera faite sur tout ce qui s’est passé, que les responsabilités et les culpabilités seront clairement déterminées que l’amnistie ou toute autre forme de pardon pourrait avoir du sens.

L’actualité est marquée par l’affaire des écoutes téléphoniques impliquant le chef du parlement. Rarement des députés se sont prononcés sur ce sujet. Madame la députée beaucoup d’Ivoiriens voudraient comprendre votre silence sur ce sujet.

Je ne suis pas plus silencieuse que le reste de la classe politique sur cette affaire qui au demeurant se limite pour l’instant à des articles de presse et autres publications, relayés par des supputations sur les réseaux sociaux. Il est plus élégant et sage, de ma part, de réserver une quelconque opinion jusqu’à ce que ce dossier prenne éventuellement une dimension officielle.

Comment envisagez-vous votre avenir politique à l’horizon 2020. Est-ce que vous partagez le rêve de certains de vos admirateurs de briguer un jour la magistrature suprême ?

Reconnaissez avec moi que les lignes politiques bougent en permanence dans notre pays et qu’il serait bien présomptueux pour quiconque de prédire le cours des choses d’ici cette échéance. Pour l’heure je m’attèle à jouer le rôle que les électeurs m’ont confiée, et à garder intact mon engagement à servir la cause de l’intérêt général, là où les circonstances l’exigeront avec, bien sûr, la caution démocratique des citoyennes et citoyens ivoiriens.

Quel est le secret de votre humilité quand on sait que vous êtes la fille de George Ouégnin. Vous conduisez vous-même votre voiture, vous riez avec tout le monde y compris les pauvres etc. ?

Je suis reconnaissante à lui et à ma mère pour l’éducation et les valeurs transmises. Quelques principes m’ont été également enseignés par mon expérience de la vie. Dans toutes ces sources vous trouverez les éléments qui m’aident à me mettre certainement à l’abri de toute tentation d’orgueil et de vanité.

Que répondez-vous en tant que femme parlementaire aux hommes politiques qui prônent la légalisation de la polygamie ?

C’est un choix que je n’approuve pas bien entendu… La Côte d’Ivoire a opté pour la Monogamie depuis la loi sur le mariage de 1964. La marche de la nation ivoirienne ne se faisant pas à reculons, je m’y opposerai en usant des voies de droit offertes. J’appelle la société ivoirienne à dire NON à toute forme d’initiative tendant à valoriser des pratiques d’époque.

Par S. DEBAILLY
Ph : Yasmina Ouégnin

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