Lider relève les grands contrastes entre Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire et John Magufuli de Tanzanie, un iconoclaste africain
Le 25 octobre 2015, il y a un mois jour pour jour, des élections présidentielles se tenaient parallèlement en Côte d’Ivoire et en Tanzanie. John Pombe Magufuli, titulaire d’un doctorat en chimie, ministre des Travaux publics et candidat du parti au pouvoir Ccm, a remporté le scrutin avec 58% des votes (soit 8,9 millions de voix obtenues) et remplacé Jakwaya Kikwete, son prédécesseur issu du même parti, qui avait accompli ses deux mandats autorisés par la constitution.
La semaine dernière, un dîner d’Etat était prévu à l’occasion de l’ouverture du parlement, budgétisé à hauteur de 84 millions de francs cfa (300 millions de Tzs). Le nouveau président de la République John Magufuli a réduit le budget à 7 millions de fcfa et a ordonné que le reste soit utilisé pour acheter des équipements pour l’hôpital public de Muhimbili à Dar es Salam : 300 lits d’hôpitaux et matelas et 600 draps ont pu être acquis avec ces fonds.
Le 23 novembre 2015, il a annoncé qu’il n’y aura aucune cérémonie officielle pour la fête de l’Indépendance le 9 décembre, l’argent devant être utilisé pour résoudre des questions plus pressantes. En lieu et place, il a suggéré que la fête nationale soit plutôt l’occasion d’une journée de nettoyage individuel et collectif de l’environnement.
Deux jours auparavant, le samedi 21 novembre 2015, un groupe de cinquante personnes était sur le point de partir pour une tournée des pays du Commonwealth, mais le président Magufuli a ramené cette liste à quatre personnes, économisant 168 millions de fcfa de deniers publics en frais de billets, d’hébergement et de per diem.
Dans la foulée, il a pris une série de décisions : les voyages à l’étranger ont été drastiquement réduits, les ambassades pouvant parfaitement accomplir les missions sur place et à moindre frais. En cas d’absolue nécessité de voyager, une autorisation spéciale doit obtenue du président de la République lui-même ou du secrétaire général. Plus personne, en dehors du président de la République, de la vice-présidente et du premier ministre, n’est autorisé à voyager en 1ère classe. Plus aucun atelier ou séminaire ne doit être organisé dans des hôtels coûteux alors que tant de salles de conférence sont disponibles dans les ministères.
Le président Magufuli a fait remplacer les véhicules V8 des ingénieurs du service public par des pick ups, plus appropriés pour les travaux qu’ils sont appelées à effectuer. Les indemnités de séance ont aussi été supprimées, également pour les députés, car rien ne justifie le paiement d’indemnités pour un travail pour lequel un salaire mensuel est déjà perçu.
Depuis son élection il y a un mois, le nouveau président tanzanien a littéralement appuyé sur le bouton de réinitialisation de son pays, le reparamétrant sur les «réglages d’usine» laissés par feu Julius Nyerere.
Le 6 novembre, jour suivant sa prise fonction, alors que les collaborateurs de la présidence lui faisaient faire le tour des installations, il a décidé de marcher jusqu’au ministère des Finances, leur a dit de se ressaisir, demandé pourquoi certains employés n’étaient pas en place et a ordonné à la direction générale des impôts la suppression de toutes les exonérations fiscales, tout le monde devant s’acquitter de l’impôt, en particulier les riches et les «grands types».
John Magufuli s’est aussi rendu de façon inopinée à l’hôpital Muhimbili et, après avoir traversé et vu de ses propres yeux les pires endroits et recoins du lieu, habituellement dissimulés aux visiteurs importants, il a renvoyé le directeur, le conseil d’administration de l’hôpital et ordonné que tous les équipements non fonctionnels (qui amènent les gens à se rendre dans des cliniques privées appartenant à quelques docteurs exerçant par ailleurs dans des hôpitaux publics) soient réparés dans un délai de deux semaines, sous peine du renvoi du directeur nouvellement nommé. Les équipements ont été réparés en trois jours.
Enfin, la semaine dernière, pour l’ouverture officielle du parlement, le président Magufuli n’a pas pris l’avion pour se rendre à Dodoma, mais a parcouru en voiture les 600 km depuis Dar Es Salam. Il a drastiquement réduit la taille du convoi présidentiel, et même celle de la délégation qui se déplace avec lui. Le choix de son premier ministre, un technocrate inconnu doté d’une réputation de grand travailleur incorruptible, a laissé sur le carreau tous les gros calibres aspirant à la fonction. Cela est-il vraiment surprenant de la part d’un président de la République qui a demandé que tous ceux qui souhaitaient passer le voir (certains avec des cadeaux) pour le congratuler pour sa victoire électorale, le félicitent exclusivement par téléphone ?
Après les visites impromptues du ministère des finances et de l’hôpital Muhimbili, le port –administration la plus corrompue, remplie de fonctionnaires retardataires et voleurs– est subitement devenu l’endroit le plus efficace. Plus de cargaisons manquantes, les procédures sont exécutées rapidement et les demandes habituelles de pots-de-vin pour sortir les conteneurs ont disparu.
Pour finir, l’annonce a été faite que tous ceux qui ont acheté des sociétés d’Etat lorsqu’elles ont été privatisées, mais qui, vingt ans plus tard, n’en ont pas fait quelque chose, doivent immédiatement relancer ces industries, sous peine de renationalisation.
Quel contraste avec Alassane Dramane Ouattara, lui aussi vainqueur, dans des conditions particulièrement antidémocratiques et calamiteuses, des élections présidentielles organisées en Côte d’Ivoire le même 25 octobre 2015, dont les premiers actes ont été de mettre le gouvernement en vacances pour un mois, avant de partir lui-même en voyage privé en Europe, et de parcourir à bord de sa flotte présidentielle, les sommets européens et capitales occidentales, accompagné comme à son habitude d’une suite dithyrambique.
Vivement 2020, et l’arrivée au pouvoir du Pr. Mamadou Koulibaly, la seule personnalité politique ivoirienne dont le programme prévoit la mise en place de mesures aussi iconoclastes que celles de John Magufuli, avec en plus des réformes profondes du système, comme la distribution gratuite des titres fonciers aux populations rurales, le passage au régime parlementaire et la sortie du franc cfa, qui permettront non seulement un meilleur contrôle du personnel politique, mais également une lutte efficace contre la pauvreté et un accroissement de la liberté d’entreprendre.
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