Dans une interview accordée conjointement à l’AFP et à Radio France le 23 octobre mais largement passée sous silence en raison de la campagne électorale, Alassane Dramane Ouattara a tracé les contours de sa succession et assuré qu’il ne restera pas plus de trois années supplémentaires à la tête du pays. Reste que ceux qui patientent dans les couloirs du palais depuis son irruption à la tête du pays en avril 2011 risquent tous de se jeter dans la bataille avant l’heure et provoquer une chute collective du régime.
Félix Houphouët-Boigny n’aimait pas parler de son successeur.Alassane Dramane Ouattara, lui, si. Avant même son score soviétique de la présidentielle, d’une certaine manière déjà écrite en raison du processus électoral largement patrimonialisé, le chef de l’état sortant avait déjà indiqué à des journalistes français, qui le soupçonnent de modifier la constitution pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats, qu’il ne s’y risquera pas. Et que mieux, il ne terminera pas son deuxième mandat.
« Je voudrais reprendre cette activité (de consultance, ndlr) et je peux vous dire que je n’exclus pas de ne pas finir mon deuxième mandat. Si après trois ou quatre ans, ça va bien, pourquoi ne pas demander à un vice-président de prendre les choses en main ? J’ai vu que partout où il y a des postes de vice-président, cela a bien marché. Au Ghana et au Nigeria, quand le président est décédé, cela a bien marché. En Afrique du Sud, quand Thabo Mbeki a été évincé, c’est le vice-président qui a pris le relais. Je voudrais m’inspirer des meilleures pratiques et m’assurer qu’une fois que nous passons à une autre génération, les choses continueront de bien se passer », promet-il.
Sous cet angle, Alassane Dramane Ouattara joue les parfaits démocrates pas vraiment accrochés au pouvoir. Sauf que la réalité de la vie politique ivoirienne nous oblige à nous méfier de ce genre d’apparences, y compris même le goût immodéré de Ouattara pour le pouvoir. Y a qu’à voir comment il a refusé le recomptage des voix en 2010 pour préférer la guerre pour s’en rendre compte. D’autre part, son dernier passage en force montre à quel point, Alassane Dramane Ouattara n’est pas du genre à risquer son pouvoir, y compris à travers une simple discussion politique. Les enjeux de cette annonce doivent donc être trouvés ailleurs.
Pourquoi s’en va-t-il ? Et à quoi répond donc cette vice-présidence ?
En Afrique, évoquer la santé d’un chef de l’état peut ouvrir les portes de la prison. Sauf qu’aujourd’hui, c’est la meilleure hypothèse. Et dans ces conditions, donner le pouvoir à celui que son clan restreint aura choisi semble correspondre le plus à la nécessité de ce départ annoncé. Parce qu’au demeurant, une telle transmission du pouvoir peut aider à couvrir ses arrières. Cela dit, c’est toujours un risque d’ouvrir sa succession même à travers la constitution.
L’exemple de Félix Houphouët-Boigny permet de situer les dangers. D’autant plus que le but de la manoeuvre est d’avance connue. Il s’agira en effet de couper l’herbe sous les pieds de Guillaume Soro qui s’impatiente, lui également, à la tête de l’assemblée nationale. C’est lui en effet qui n’aurait plus aucun pouvoir de prendre la tête de l’état en cas de coup dur. Soro perdrait ainsi son face à face avec Hamed Bakayoko qui, comme les apparences l’indiquent clairement, se présente comme le principal héritier du régime.
En effet lors de l’opération de Ouattara pour une sciatique en France, c’est bien le ministre de l’intérieur qui remplaça le chef de l’état malade à la tête de l’état. Alors que le président de l’assemblée nationale était interdit de visite, c’est lui et Dominique Ouattara qui avaient le droit de visiter le malade et de décider de la marche à suivre.
La campagne pour la modification de la constitution risque donc d’être animée. Avec d’un côté l’opposition menée par le parti de Gbagbo qui ne jure que par le départ de Ouattara au motif qu’il « n’a pas été élu » et le président de l’assemblée nationale obligé de jouer sa survie politique, il risque d’y avoir du mouvement.
A moins que, comme à son habitude, le président de l’assemblée choisisse de faire le mort et laisser le piège se refermer sur lui. Selon certaines indiscrétions, c’est lui qui aurait pourtant refusé que les législatives se fassent avant l’année prochaine comme le souhaitait Alassane Dramane Ouattara pour aller au bout de son mandat.
Bref, on verra dès mars si Soro peut exiger plus du régime de Ouattara pour rester dans la course au pouvoir dans notre pays.
Sévérine Blé
Source: Aujourd’hui N° 989
du 09 novembre 2015
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