Le duo armée-politique: frein ou aide à la démocratie africaine?

Wattao

Par Zakri Blé Eddi sur Libreafrique.org

«L’armée n’est ni préparée ni habilitée à jouer un rôle politique »[1]. Cette pensée de Dominique Bangoura semble expliquer qu’entre l’armée et le pouvoir politique, existe une incompatibilité. Pourtant, si les constitutions africaines rarement retiennent l’armée comme une institution, du moins comme un corps occupant une place particulière dans la gestion du pouvoir politique, celle-ci tend à jouer fatalement en Afrique un rôle plus important que sur des continents économiquement plus développés. En témoigne les coups d’Etat militaires qui semblent connaître un regain d’intensité depuis quelques années. Dès lors la question suivante se pose avec acuité : l’intrusion régulière des militaires en politique fragilise-t-elle la démocratie ou lui vient-elle à son secours ?

Démocratie et Armée, un couple qui semble voué au divorce

Si pour certains, l’intrusion de l’armée dans la vie politique n’est pas contraire aux idéaux démocratiques car elle peut aller dans le sens de la modernisation politique du pays[2], force est de constater que démocratie et armée font difficilement bon ménage. En effet, l’intervention militaire dans l’arène politique ne contribue pas à plus de démocratisation. Cet argument ne paraît pas révocable quand on jette un regard sur le bilan des régimes militaires pour constater que partout où ils sont apparus, ils ont été un véritable frein à l’enracinement de la démocratie et à la promotion d’un Etat de droit. Ces régimes militaires se sont caractérisés par une concentration du pouvoir, obtenue souvent par la suspension de la constitution et la dissolution des institutions républicaines. D’ailleurs, certains régimes militaires ont même constitué le lit d’une violation massive des droits de l’homme. Ainsi, sous le régime de Moussa Dadis Camara en Guinée, a-t-on assisté le 28 septembre 2009 au massacre d’opposants dans un stade de Conakry. En Côte d’Ivoire, pendant la transition militaire, « c’était le séjour en enfer des droits fondamentaux de la personne humaine, sous le règne du C.N.S.P. (Comité National de Salut Public) », expliquait KOFFI Konan Elisée[3]. Tout ce qui précède nous amène à dire que les militaires se sont révélés souvent pires que le mal qu’ils dénonçaient. N’est-ce pas sans doute pour cette raison que Samuel Huntington affirmait que le militaire doit rester sourd aux questions non-militaires ?[4] Qu’en est-il alors des coups d’Etat censés donner un coup de pouce à la démocratie ?

Peut-on parler de « coup d’Etat pro-démocratique » ?

D’aucuns font une distinction entre coups d’Etat pro-démocratiques et coups d’Etat antidémocratiques, les premiers ayant pour objet de créer les conditions de l’essor de la démocratie, les deuxièmes ne favorisant pas l’épanouissement de cette démocratie. Une telle distinction est-elle valable ? Un coup d’Etat n’est-il pas, par définition et par principe, opposé aux règles démocratiques ? En quoi serait-il alors « salutaire » ? Il faut dire que si le qualificatif démocratique ou salutaire est souvent utilisé pour caractériser un coup d’Etat, c’est que celui-ci aurait permis de débloquer une situation ou une crise que vit le pays. L’exemple le plus récurrent est celui dans lequel le coup d’Etat interviendrait pour sauver la démocratie pris en otage par une élite dirigeante qui ne veut plus se soumettre aux lois de la République issues de la volonté populaire, c’est-à-dire la Constitution, mère de toutes les autres lois. L’exemple du Niger en est une illustration parfaite. Face au refus du Président Tandja de respecter la Constitution qui lui interdit un nouveau mandat, l’Armée prend le pouvoir en février 2010, assure la transition, organise l’élection présidentielle et rend le pouvoir aux civils. En agissant ainsi, les militaires ont sans doute donné un nouveau souffle au processus démocratique bloqué par un groupe de personnes. Mais, est-ce pour autant qu’il faut encourager ou légitimer le coup d’Etat ? A cette question, évidemment que l’on répondra par la négative. Car, un coup d’Etat reste un coup d’Etat. Qu’il soit pro-démocratique ou antidémocratique, le coup d’Etat se traduit toujours par l’usage de la force, de la violence. Tout le contraire de la démocratie qu’Abraham Lincoln définie comme « le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple », c’est-à-dire que dans un système démocratique, le pouvoir vient du peuple, il est exercé par le peuple pour ses propres intérêts. C’est pourquoi s’il est vivement souhaitable d’éviter le coup d’Etat, il est encore impérieux de procéder à une démilitarisation du système politique.

La nécessaire démilitarisation de la sphère politique africaine

Pendant plusieurs décennies, les armées africaines se sont politisées. La mauvaise gouvernance des dirigeants peut, en partie, en être la cause. En effet, certaines fois, les militaires ont été poussées à interférer dans le champ politique pour mettre fin au dictat de certains politiques. Mais face à la récurrence de ces coups de force, source d’instabilité chronique pour les pays africains, s’impose la recherche de pistes de solutions susceptibles de démilitariser la sphère politique. Une piste de solution non négligeable consisterait pour les Etats à constitutionnaliser des règles claires et prévisibles encadrant à la fois l’intervention et le retrait des forces militaires dans des cas d’exception, notamment la menace de la démocratie dans un pays. Cette situation exceptionnelle devant justifier l’immixtion des forces militaires dans l’arène politique doit être constatée en cas d’existence d’un régime autoritaire (c’est-à-dire un régime se manifestant par la concentration entre les mains du Président de tous les pouvoirs étatiques, la restriction des libertés d’association, d’expression et d’opinion, le bannissement des opposants, et l’absence de respect des droits de l’homme), et de refus du Président de l’alternance démocratique. Cette volonté de se maintenir au pouvoir devant être constatée par la levée du verrou limitatif du nombre de mandats présidentiels ou par la tentative.

Mais, cette dérogation doit rester exceptionnelle car rien ne remplace l’existence de mécanismes institutionnels et pacifiques pour résoudre les crises politiques. L’existence de brèches institutionnelles et de vides juridiques donne l’occasion à certains de prendre la démocratie en otage. D’où la nécessité de sécuriser le cadre juridique organisant l’appropriation et la répartition de pouvoir dans les pays africains.

ZAKRI Blé Eddie, Chercheur – Côte d’Ivoire – Le 2 novembre 2015

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