En Côte-d’Ivoire la France impose toujours ses intérêts

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En 2010, la présidentielle avait opposé Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara, candidat soutenu par la France, débouchant sur une crise militaro-politique inédite. Aujourd’hui, la réélection de Ouattara est assurée, faute d’opposants sérieux ­ seul le taux de participation fait débat. Si le contexte est différent, les tensions perdurent, montre Fanny Pigeaud, journaliste spécialiste de l’Afrique, dans une enquête qui remonte le fil de la logique des intérêts des grandes puissances, la France au premier chef.

L’abstention a été la grande crainte d’Alassane Ouattara pendant la campagne électorale pour la présidentielle en Côte d’Ivoire. Au fur et à mesure que le jour du scrutin s’est rapproché, le président sortant, candidat à sa succession, a multiplié les messages appelant les citoyens à voter, et même à venir retirer leur… carte d’électeur. C’est un fait : cette présidentielle mobilise très peu les Ivoiriens. « Dans les quartiers, il n’y a aucune animation de campagne, contrairement à ce qui se fait d’habitude », constatait un journaliste cinq jours avant le vote. Ce manque d’intérêt s’explique facilement : les conditions pour un scrutin transparent et équitable ne sont pas réunies, comme l’ont dénoncé plusieurs candidats.

POURQUOI DONC ALLER VOTER? LES IVOIRIENS SAVENT QUE LES CONDITIONS POUR UN SCRUTIN TRANSPARENT ET ÉQUITABLE NE SONT PAS RÉUNIES.

La Commission électorale indépendante (CEI), chargée d’organiser et de superviser l’élection, est majoritairement composée de membres pro-Ouattara, le Conseil constitutionnel aussi, ce qui ne laisse guère de place au suspense. Cette situation rappelle et est la conséquence directe des événements qui ont marqué la présidentielle de 2010 opposant Laurent Gbagbo, président sortant, à Ouattara. À l’époque, les dirigeants occidentaux ont tout fait pour convaincre l’opinion publique que Ouattara était le vainqueur d’un scrutin transparent et juste. Une enquête approfondie permet de comprendre que cette histoire officielle n’est qu’une version tronquée de la réalité. Que voit-on lorsque l’on retrace les faits de cette période 2010 ? On découvre notamment que les résultats ont été trafiqués dès le premier tour au profit de Ouattara ; que les urnes ont été bourrées dans la zone où régnaient depuis 2002 les Forces nouvelles (soit 60 % du territoire), la rébellion pro-Ouattara, toujours armée ; que le taux de participation du second tour a été l’objet de manipulations.

On se rend compte que Ouattara avait déjà le contrôle de la CEI ­ ce que les médias occidentaux n’ont pas relevé. Cinq ans après, les jeux apparaissent donc déjà faits pour les Ivoiriens : à quoi bon voter lorsque l’on sait par avance que le processus est opaque et contrôlé par un candidat ?

Impossible de ne pas prendre en compte une autre donnée, déterminante en Françafrique : en 2010, Ouattara était soutenu par la France. Gbagbo, qui voulait instaurer une relation d’égal à égal avec Paris, gênait les officiels français. Ancien du FMI, Ouattara, ami, entre autres, de Nicolas Sarkozy, semblait plus à même de protéger les intérêts militaires et économiques français en Côte d’Ivoire et en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, Ouattara conserve l’appui de Paris. Or, les événements de 2010 ont montré aux Ivoiriens de quoi était capable la France pour imposer ses choix : elle a mené contre Gbagbo une guerre médiatique, diplomatique, économique, militaire.

Elle a fait voter des résolutions au Conseil de sécurité de l’ONU dont elle s’est servie pour intervenir militairement et qu’elle a outrepassées. Sans le dire, elle a combattu sur le terrain l’armée régulière de la Côte d’Ivoire, avec l’aide, entre autres, du Burkina Faso de Blaise Compaoré. La période 2010-2011, ainsi que les 10 années qui l’ont précédée donnent ainsi à voir le portrait saisissant d’une France prête à tout pour conserver son empire colonial. Mais l’histoire n’est pas finie : le 10 novembre s’ouvre le procès de Gbagbo devant la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye, où l’ex-président est en détention provisoire depuis quatre ans. Tout indique que cet événement sera, contrairement à la présidentielle, suivi de très près par les Ivoiriens. Même s’ils doutent de l’impartialité de la CPI, dont 10 % du budget est financé par la France.

A lire : À lire: « France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée », de Fanny Pigeaud. Éditions Vents d’ailleurs, 2015, 356 pages, 24 euros.

FANNY PIGEAUD

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