Par Tiburce Koffi
Prologue : les cavaliers de l’apocalypse
Présidentielles ivoiriennes : le conte dramatique d’une longue crise
Pour démasquer davantage
« l’Appel de Daoukro »
La campagne présidentielle 2015 vient de s’ouvrir, succédant ainsi à celle, conflictuelle et ensanglantée de 2010 qui nous a conduits à la grande déchirure. Hier, comme aujourd’hui, des signes avant-coureurs ne me rendent pas optimiste sur l’issue de ce scrutin. Et pour cause : cette présidentielle devrait être celle du réajustement et du retour à la normalité électorale. En tant que telle, elle devrait signer la fin de la longue transition que connait ce pays depuis le décès du président Houphouët-Boigny dont la succession continue de provoquer houles et tempêtes, mettant ainsi tous les régimes qui se sont succédés jusque-là, sous le sceau de régimes de transition ; et ce, malgré (et à cause de) l’élection (un plébiscite presque) de Bédié, en 1995. Ce fut, on le sait, un scrutin de la tricherie organisée par Konan Bédié qui, sans aucune vision des conséquences immédiates et futures de cet acte, mit en place un dispositif judiciaire et administratif des plus scélérats pour empêcher Alassane Ouattara, son redoutable rival politique d’alors, d’être candidat.
Pour octobre 2015 (20 ans après cette fourberie dont nous continuons de payer les conséquences), la paire Bédié-Ouattara est sur le point de récidiver la même forfaiture. Avec, cette fois-ci, la forte complicité de Ouattara, l’ennemi d’hier devenu aujourd’hui le bien-aimé frère siamois ! Spectaculaire révisionnisme ! Leur machine de guerre s’appelle « L’Appel de Daoukro ». C’est, en réalité, une bombe dont les répercussions, si elle se déclenche effectivement, pèseront lourdement sur le devenir de la Côte d’Ivoire, un peuple en quête pathétique de reconstruction et de souveraineté nationales.
Ceux qui détiennent le troisième œil et la troisième oreille diront que tout cela a été ainsi tracé et fait afin que s’accomplisse la Parole du patriarche de Yamoussoukro : « Le vrai bonheur, on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdu. » En initiés aux signes scellés, ils ont certainement su décrypter ce message subliminal qui semble être la clé de cette cruelle crise qui nous aura tous éclaboussés ; et je les vois murmurer, les soirs de blues infini, mystiques impuissants et meurtris, ces paroles : « Félix Houphouët-Boigny a sans doute tenu à être ce vrai bonheur, l’unique voie et voix sans lesquelles ce pays sera voué à l’épée, au feu et à l’effroi sans fin. Conséquemment, il a tout mis en place pour que s’accomplisse la tragédie ivoirienne, après son règne. » C’est une forme tragique et narcissique d’auto-succession à l’infini !
Admettre cette thèse (qui est loin d’être farfelue), c’est conclure logiquement que c’est Félix Houphouët-Boigny qui a mis en place le dispositif de déflagration de la Côte d’Ivoire, afin qu’il devienne effectivement, aujourd’hui, demain et pour des siècles et des siècles, le regret-té Nanan Houphouët-Boigny ! Nous devenons ainsi un peuple fautif d’une faute énigmatique, lourde, transhistorique, une faute d’une gravité transcendantale dont la réparation exige, plus qu’un acte de reconnaissance du délit, un vaste repentir. Dans cette cruelle hypothèse, nous sommes amenés à conclure que les deux principales pièces du dispositif qu’il a savamment mûri pour le programme de désintégration de la Côte d’Ivoire après son règne royal, se nomment Konan Bédié Henri et Alassane Dramane Ouattara.
Et pourquoi pas : depuis pratiquement 1990 (soit 25 ans de cela – le temps d’une génération), la Côte d’Ivoire ne vit qu’au rythme des inélégances verbales, humeurs bellicistes, fantasmes et fantaisies de ces deux véritables agents de l’apocalypse dont les actes politiques pèsent lourdement sur l’actualité et le devenir de notre pays.
J’ai jugé utile, à l’entame de cette présidentielle, de soumettre au lectorat quelques réflexions que continue de m’inspirer la crise ivoirienne, car ses brasiers ne sont pas encore éteints. Je commencerai volontiers mon propos sous forme de conte, en exposant, pour aujourd’hui, les points focaux de cette crise. Afin de respecter les codes de ce genre littéraire, les acteurs de cette histoire seront des personnages plus ou imaginaires, et porteront des surnoms. Voici ce conte, chers concitoyens.
Premier épisode : palabres millénaires autour du trône impérial
« C’était, il y a de cela 25 000 ans, avant, bien avant Yasswua Kpli que, plus tard, les Blancs appelleront Jésus-Christ, dans un empire appelé Bois-Yhinkro-des-caïmans ! A peine y avoir ‘‘débarqué’’ pour une mission de ‘‘sauvetage économique’’, John Dramalass, fils du pays, mais ayant jusque-là passé sa vie au service du pays des Xtsimos, peuple voisin des Bois-Yhinkrofouês, John Dramalass dit Dollar-fatchê, disais-je donc, choque les technocrates locaux en n’hésitant pas à disqualifier le plan de redressement précédemment proposé par d’illustres collaborateurs de l’Empereur. Ceux-ci ont pour noms : Com-Way Kawfy, Art-Ceine Ushairas Wan et bien d’autres respectables cadres de l’empire, aux compétences avérées. Mais John Dramalass n’observa aucune marque d’élégance ni de respect à l’endroit de ses devanciers ; en ‘‘Monsieur sait tout’’, il a jugé nul ce qui a été fait avant lui ! Première offense aux technocrates du pays.
Aux critiques que les uns et les autres font de son plan à lui, il répond, hautain et doctement prétentieux : « Je mets au défi quiconque de me proposer meilleur plan.» Kawn Bed de Oukroda, économiste averti et illustre personnage de l’empire, piqué dans son orgueil, du haut de ‘‘son’’ perchoir (il était Président du Sénat), en proposa alors un. Ce fut-là, le commencement des hostilités entre John Dramalass et la classe politique du pays ; tout cela encouragé par le silence complice de l’Empereur Bois-Yhin de Yam.
• An 1993 av JC. L’Empereur Bois-Yhin de Yam, après d’affreux millénaires à souffrir d’une rage de dents, finit par se casser la patte ! Dans ce climat de deuil impérial, John Dramalass et une poignée de partisans tentèrent d’accaparer le pouvoir impérial. C’était sans compter avec la vigilance de Kawn Bed qui, en héritier de l’Empereur, veillait au grain. John Dramalass, publiquement désavoué, quitta le pays, mécontent, et jurant de prendre ce pouvoir, tchoco tchoco (coûte que coûte) !
– Bois-Yhinkrofouês, et vous autres gens d’ailleurs, m’entendez-vous ?
– ‘’Ouiiiii’’ !!!, me répondrez-vous certainement, en choeur !
Continuons donc le conte de l’Empire de Bois-YhinKro-des-caïmans.
• Ans 1995-1999. Les faits : Kawn Bed, à la tête de l’empire, évince dans des conditions louches, John Dramalass de la liste des aspirants au trône. Il fit ensuite de son élimination politique, la pierre angulaire de son règne. Il le traqua donc comme on le ferait d’un chacal. Acculé, las d’errer de capitale en capitale en indésirable quidam, John Dramalass, asséna : « Je bombarderai cet empire moribond au moment opportun, et il chutera. » Entre-temps, ses affidés, en alliance avec Wooden-Laur, un opposant farouche déjà du temps de l’Empereur Bois-Yhin, auront violemment saboté ce scrutin : l’empire connut ainsi son premier exode de populations civiles terrorisées (en majorité, sinon principalement des paysans Léoubas de l’ouest de l’empire). Il y eut des morts. C’était une rébellion en miniature. Au centre de cette tragédie, trois noms : Kawn Bed, John Dramalass et Wooden-Laur.
• An 1999 av JC. John Dramalass, alors soutenu, contre toute attente, par Wooden-Laur (qui devient donc la troisième pièce du dispositif de déflagration du pays), frappe fort et fait déchoir Kawn Bed par une révolte d’apparence anodine. Wooden-Laur jubile, et salut le putsch ! Une bonne partie du peuple applaudit les insurgés. Le reste de la population et les cadres et militants du parti de Kawn Bed refusent de répondre à l’appel à la résistance lancé par ce dernier. La victoire des mutins est donc admise. Kawn Bed quitte à son tour l’Empire, pour l’exil. Je le vois d’ici, le cœur lourd de peine, murmurer sur le quai du navire volant qui l’amène hors du pays : Les traîtres ! Ils me le paieront, tous, un jour. Tous ! »
Gens d’ici et d’ailleurs, c’était, il y a de cela près de 20 000 ans ! Et cette tranche de mon conte, c’est une part de l’histoire de mon pays ».
Restituons à présent à nos personnages leurs véritables noms, pour bien nous installer dans l’Histoire. Bois-Yhinkro-des-caïmans, John Dramalass, Kawn Bed, Wooden-Laur et Bois-Yhin de Yam, ce sont, vous l’avez deviné : la Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Houphouët-Boigny. Reprenons à présent le cours de la tragédie qu’ils vont nous offrir à vivre.
Deuxième épisode : malheureux temps de violences
• An 2002. Ouattara, pressé d’arriver au pouvoir par tous les moyens, et le cœur chargé de récriminations (plus ou moins justifiées) contre la classe politique ivoirienne et contre certains journalistes de renom apôtres des thèses discriminatoires de Bédié , finance une rébellion qui plombe le pays pendant près de dix ans. Il se vengeait ainsi, outre les actes d’humiliations qu’il subissait de la part des partisans de Bédié, de la roublardise de Laurent Gbagbo et le Fpi qui se sont octroyé les gains du coup d’Etat, au détriment de ses affidés.
• Ans 2003-2010. Négociations internationales autour de la crise ivoirienne : Lomé, Marcoussis, Kléber, Pretoria, etc. Bédié se venge de Gbagbo en soutenant le camp des rebelles, et en mobilisant, pour le second tour du scrutin de 2010, le Pdci-Rda en faveur du commanditaire de la rébellion, Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo, un tantinet nihiliste et détesté par la France, tombe conséquemment, à la suite d’offensives militaires de l’armée française contre sa base de retranchement. Bédié jubile ! « Et d’un », se dit-il, sans doute.
• An 2014. Alassane Ouattara qui, depuis 2012, avait déjà déclaré son intention de se présenter à la prochaine présidentielle, sait cependant qu’il n’a aucune chance de la remporter dans des conditions de transparence. Ses ‘‘sondeurs’’ le lui ont dit. Et puis, il est réaliste : en 2010, au 1er tour, il n’a pu avoir que 32% des suffrages malgré toutes les fraudes qu’il y a eu au Nord où ses éléments ont bourré les urnes et déchiré les bulletins de vote favorables à Laurent Gbagbo. Heureusement que, grâce au silence de l’Onuci, et au soutien du Pdci-Rda au second tour, il a pu réaliser 52% des suffrages.
Il découvre alors qu’il n’est pas aussi populaire et aimé que le lui faisaient croire ses thuriféraires : les partisans de Gbagbo (qui a obtenu le suffrage de 47% de l’électorat – donc près de la moitié de la population votante) ne lui donneront jamais leurs voix. Et il le sait. Pis, malgré les réalisations infrastructurelles d’utilité publique qu’il a faites (routes et ponts), il sent, chaque jour, le refus de ce peuple de le porter de nouveau à la tête du pays. Mais il sait surtout que si le Pdci-Rda présente un candidat à ce scrutin, ses espoirs de conserver le fauteuil présidentiel seront ruinés. Que faire donc ?
La suite : les étapes d’échafaudage du plan Konan-Ouattara ou plan KO/chao.
tiburce_koffi@yahoo.fr
Normandie, septembre 2015
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