“En Côte d’Ivoire l’affaire Tanoh-Ecobank est un mauvais signal sur l’impartialité de la justice du pays”

Tanoh

Un conseiller du président fait trembler Ecobank

Par Xavier Monnier (contributeur le Monde Afrique)

Son CV fleure bon la nouvelle intelligentsia africaine, celle appelée à prendre les rênes du continent pour accélérer son développement : étudiant brillant passé par l’institut polytechnique de Yamoussoukro dans les années 1980, boursier de la prestigieuse université d’Harvard au début des années 1990, vice-président de la Société financière internationale – filiale de la Banque mondiale – jusqu’en 2012. Ephèmère dirigeant d’Ecobank, qu’il quitte avec fracas moins de deux ans après sa nomination, Thierry Tanoh a intégré le secrétariat général présidence de la République ivoirienne à l’été 2014.

A cinquante ans passé, l’ancien expert-comptable embrasse la carrière politique. Et se voit derechef confier un poste d’adjoint et de sensibles dossiers, à l’instar du litige frontalier entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, un tracé maritime aux forts relents pétroliers. Une ascension exemplaire pour le gendre de l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, encarté au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), qui en fait un candidat possible à la primature.

Enchaînement de victoires judiciaires

Mais Thierry Tanoh, ce sont aussi des victoires judiciaires à répétition contre son ancien employeur, Ecobank, la grande banque africaine aux 36 filiales à travers les continent, aux 20 000 salariés et aux 20 milliards de dollars de fonds détenus. Durant l’été, M. Tanoh a lancé une procédure de saisie de biens du géant bancaire en Côte d’Ivoire pour un montant de 9,39 milliards de francs CFA (environ 15 millions d’euros), dernier épisode de la guerre qui l’oppose à son ancien employeur.

Nommé directeur général d’Ecobank en 2012, Thierry Tanoh en est éjecté en mars 2014 après des mois de crise dont les premières secousses sont venues du Nigeria. Alerté par une lettre de la chef du département des risques sur de présumées manipulations comptables, la Security and Exchange Commission, gendarme de la bourse nigériane, mandate le cabinet d’audit KPMG pour enquêter sur la banque.

Le rapport rendu le 16 décembre 2013 égrène les carences de la direction: absence de vision stratégique, conflits d’intérêts, manque de transparence dans la rémunération de la direction, faible implication des dirigeants dans la mise en place de comportements éthiques… Une liste de griefs suffisamment importante pour que la SEC – qui a le pouvoir de révoquer un dirigeant d’une entreprise côté à la bourse nigériane en cas d’entorse à la loi – demande la tenue d’une assemblée générale extraordinaire et recommande la nomination d’un nouveau dirigeant. Un coup de grisou qui va se transformer en aubaine pour Thierry Tanoh.

Ce n’est pas l’Assemblée générale qui le démet de ses fonctions en mars 2014, mais le conseil d’administration de la banque. Un de ses contempteurs, Daniel Matijla, le représentant de l’actionnaire sud-african Pic Conseil, signe à cette occasion une lettre au vitriol à son encontre. Dénonçant pêle-mêle son « incompétence », ses « manipulations politiques », son « immaturité », le document fuite dans les médias financiers américains.

Une solide assise politique

En janvier 2015, le tribunal de commerce d’Abidjan, saisi d’une plainte en diffamation du désormais secrétaire général-adjoint de la présidence, condamne Daniel Matjila et Ecobank, solidairement, à verser 7,5 milliards de francs CFA à Thierry Tanoh et 200 millions de francs CFA par jour de retard dans l’exécution de la décision. Le jugement sera même alourdi en appel à 9,39 milliards. Une somme que l’étoile montante de la politique ivoirienne cherche désormais à recouvrer.

En parallèle, le tribunal du travail de Lomé, siège de la banque, a condamné Ecobank à 5,7 milliards de francs CFA pour licenciement abusif. Soit un pécule total de 15,09 milliards de CFA (20 millions d’euros) pour le néophyte politique ivoirien.

Aucune des contre-attaques intentées par les avocats de la banque ne s’est jusqu’à présent montrée efficace. La Haute cour de justice de Londres qui avait bloqué un temps les tentatives de recouvrement de Tanoh s’est finalement rétractée. Saisie d’une plainte de la banque pour vol et abus de confiance, la justice togolaise a refusé d’instruire une procédure judiciaire en raison de l’immunité diplomatique dont jouirait l’ancien directeur général de la banque. « C’est un mauvais signal envoyé aux acteurs économiques qui souhaitent investir en Côte d’Ivoire quant à l’impartialité de la justice, grince William Bourdon l’un des avocats d’Ecobank. L’excès de proximité entre hommes d’affaires et pouvoir politique, en affaiblissant l’Etat de droit, est contraire à la sécurité juridique dont les opérateurs ont besoin. »

Un vœu pour l’instant pieux. Le président ivoirien Alassane Ouattara, lui-même, a donné mandat à son premier ministre, Daniel Kablan Duncan, pour résoudre le litige loin des tribunaux.

Xavier Monnier contributeur le Monde Afrique

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